Le rôle des unions régionales CGT en débat lors du 52e congrès
Lors du 52e congrès de la CGT à Dijon, l'un des sujets des annexes statutaires proposés aux votes était la mise en place d’unions régionales. Le thème, avec des soutiens... Lire la suite
107 syndicalistes du monde entier, issus de 70 pays ou territoires et de 90 organisations : la CGT a organisé, dimanche 12 mai, à la veille de l'ouverture de son congrès, à Dijon, une conférence internationale sur l'avenir du travail. Comme Pierre Coutaz (conseiller confédéral au secteur international) l'a rappelé d'emblée, une telle participation internationale constitue un record dans l'histoire récente de la confédération.
Avec une centaine de dirigeants de la centrale de Montreuil, les invités internationaux ont pu débattre toute une journée autour de quatre thèmes à l'occasion de tables rondes introduites par les analyses de plusieurs chercheurs spécialistes du syndicalisme ou du droit du travail.
Il s'est agi d'abord de faire le point des inégalités dans le monde, des processus de confiscation des richesses produites, de spoliation des ressources naturelles, des réformes imposant l'austérité dans plusieurs pays, des migrations générées par ces situations et les conflits armés et de la solidarité avec les migrants.
Une seconde table ronde a permis d'approfondir les « révolutions du travail », en revenant à la fois sur les attaques contre ses régulations, sur le développement du travail informel, et sur ce qu'induit la révolution numérique. À l'issue de ce tour d'horizon, deux tables rondes ont permis, l'après-midi, d'approfondir le rôle du syndicalisme international, avec un focus particulier sur l'Organisation internationale du travail (OIT).
Pour Thomas Coutrot, économiste et statisticien du travail (ancien porte-parole d'Attac et cofondateur des Économistes atterrés), qui a introduit la première table ronde, jamais l'humanité n'a connu une double crise, sociale et environnementale, au niveau de celle que nous vivons aujourd'hui, poussant une partie de la planète sur les routes de la migration.
Elle passe notamment par des politiques austéritaires et par l'érosion du compromis fordiste (l'échange de sa force de travail dans un cadre de subordination contre un accès à la consommation et à la protection sociale…), appelant à repenser le travail lui-même.
Il s'agit d'en réhabiliter la part vivante, d'y trouver du sens, et de fonder la démocratie au travail indispensable à la démocratie dans la cité.
Plusieurs intervenants rappellent les effets délétères du développement du travail informel, des attaques contre les droits sociaux, le droit du travail, les droits à la retraite, au chômage, à la protection sociale, aux congés payés… Asmaou Bah, secrétaire générale du Synem, en Guinée, décrit par exemple les conditions et les luttes des travailleuses domestiques, parmi lesquelles des petites filles, souvent victimes de violences — voire de viols — et privées de l'accès à l'éducation.
Les uns et le autres dénoncent le dumping social, fiscal, environnemental qu'organisent notamment les multinationales, et la mise en concurrence entre les salariés au détriment de l'indispensable solidarité. Modi Gautam (secrétaire général du NTUI, Inde) le souligne : ces crises exacerbent les défis auxquels il s'agit de faire face, comme la montée dangereuse des nationalismes et des racismes.
Mais les évolutions du travail, ce sont aussi ses bouleversements technologiques, la révolution numérique. Pierre Musso, politologue, invite à se méfier du « techno-catastrophisme » : si la précarisation est bien réelle, il faut se défier des discours qui prédisent la « fin du travail » et des récits de cette nature, dans le cadre d'une confrontation qui est aussi culturelle et idéologique. Il n'y a pas, rappelle-t-il, de déterminisme technologique, mais des choix à opérer pour favoriser autonomie et créativité.
Dans ce contexte, le syndicalisme est amené à renforcer son investissement international, les solidarités entre les travailleurs, les organisations syndicales internationales. Jean-Marie Pernot, politologue, met en lumière la spécificité de la construction de ces organisations (comme la Confédération européenne des Syndicats et la Confédération syndicale internationale) lesquelles, contrairement aux confédérations nationales, se sont construites « d'en haut », non à partir de modèles revendicatifs, mais en parallèle à la constitution de grandes institutions, qu'il s'agisse de l'OIT, ou bien des institutions européennes, tandis que l'évolution des politiques économiques, ou sociales, appellent aujourd'hui à renforcer leurs capacités de mobilisations.
Le syndicalisme est appelé à faire contrepoids non seulement aux politques des entreprises, mais aussi à celles des États – et de l'Union européenne — souligne Unai Calvo Sordo des CCOO espagnoles, en organisant les travailleurs non pas seulement là où les syndicats sont forts, mais aussi là où sévit la précarité.
Pour Shalva Lazariashvili, de la GTUC de Georgie, il est important à la fois de protéger les acquis syndicaux — et ça l'est d'autant plus dans un pays comme le sien qui s'est avéré laboratoire des réformes ultralibérales — et de trouver de nouvelles règles, de formuler un nouveau contrat social, de promouvoir le droit du travail.
« Avec la solidarité, out est possible », dit-il. Keisuke Fuse, du Zenroren (Japon), développe une analyse analogue, rappelant les luttes solidaires de travailleurs d'Amazon, Uber, Mac Donald's, ou Renault-Nissan.
Pour Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, l'avenir du syndicalisme international passe par le développement de relations syndicales indépendantes des calendriers des entreprises et des États (dont les G7, G20…). Le syndicalisme doit inventer ses propres rythmes, qu'il s'agisse de rencontres, d'élaboration revendicative, de luttes.
Il en appelle à un effort pour prendre en compte la diversité des situations dans le monde, à refuser la concurrence entre les travailleurs, à revendiquer ensemble, et met en garde contre les tentations nationalistes, les risques de dérives amenant à croire qu'il faut s'occuper d'abord de ce qui se joue chez soi, en oblitérant les reculs ailleurs : il n'existe pas de « forteresses au milieu du désert », dit-il. Et d'en appeler aussi à un soutien renforcé avec les migrants. Philippe Martinez appelle aussi les confédérations syndicales internationales à être plus vigilantes quant aux atteintes aux libertés de militants dans le monde, dès qu'ils sont victimes de répression (parfois le licenciement, parfois même la prison).
Reza Shahabi, syndicaliste (Vahed) à la régie des transports publics de Téhéran (Iran), en témoigne. Arrêté lors du défilé du premier mai, sortit de prison la vieille de son voyage en France contre une caution équivalant à 150 fois son salaire, il a été licencié pour fait syndical voici dix ans et déjà fait six ans de prison ces dix dernières années. Nombre de ses camarades croupissent encore dans les geôles du régime. Mais Reza Shahabi en appelle aussi à se méfier des impérialismes qui, prétendant défendre les libertés, génèrent en fait les guerres en particulier au Moyen-Orient.
Son analyse fait écho à celle de Rafael Freire (CSI Amériques) qui met notamment en lumière la déstabilisation que subissent les gouvernements progressistes sur tout le continent et les résistances des travailleurs.
C'est toute l'importance de la production de normes et de droit avec au cœur le droit des travailleurs, sa défense, sa protection, son développement, comme le rappelle Alain Supiot, juriste et professeur au collège de France. C'est le rôle de l'OIT.
Une organisation onusienne mise à mal et menacée dans ses missions voire dans son existence par un patronat offensif, par les grandes multinationales ou des États défaillants, alors même, comme le rappelle Bernard Thibault, que la moitié des travailleurs du monde ne jouit pas du droit syndical et du droit à la négociation collective, que la majorité demeure privée du droit du travail et de protection sociale.
La mobilisation syndicale internationale du 17 juin à Genève à l'occasion du centenaire de l'OIT sera l'occasion de revendiquer, dans la solidarité, l'application des normes de l'OIT et l'effectivité des droits des travailleurs, partout dans le monde.
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