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HOMMAGE

Disparition de Jean-Louis Moynot : « La CGT vient de perdre l'un des siens. »

12 mars 2025 | Mise à jour le 12 mars 2025
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Disparition de Jean-Louis Moynot  : « La CGT vient de perdre l'un des siens. »

Nous avons appris avec tristesse la disparition de Jean-Louis Moynot le 6 mars, à l'âge de 87 ans. Dirigeant de premier plan de la CGT et figure intellectuelle du syndicalisme, Jean-Louis Moynot a notamment participé aux négociations de Grenelle en 1968 et aura marqué des décennies l'histoire de la CGT.  Il est l'auteur de nombreux articles et d'ouvrages parmi lesquels « Au milieu du gué », écrit en 1982 et, plus récemment, « S'émanciper. Une vie de recherches » (2017). Ses obsèques se dérouleront le lundi 17 mars à 13 h30 au crématorium du Père Lachaise à Paris.  Maryse Dumas, membre du bureau de l'Institut d'Histoire sociale et ancienne secrétaire confédérale de la CGT évoque sa mémoire.

Jean-Louis Moynot nous a quittés le 6 mars dernier. Il avait 87 ans. Il fut un dirigeant de premier plan de la CGT. Elu en 1967, à 30 ans, membre du bureau confédéral de la CGT, il sut faire bénéficier le collectif de l'approche singulière qui était la sienne. Né dans une famille catholique, il fut militant de la Jeunesse étudiante chrétienne et de l'Unef. Agissant pour l'indépendance de l'Algérie il ne peut éviter d'y faire son service militaire. Dix-huit mois dans le contexte d'une guerre « sans nom », et contraire à vos convictions, une expérience qui vous marque à vie.  Ingénieur dans la métallurgie il devient dirigeant de l'UFICT métallurgie puis de l'UGICT. C'est l'ensemble de ce parcours de vie, la clarté et la vivacité de ses analyses qui lui valent d'être proposé à la direction confédérale et de rapidement y prendre ses marques. Il devient responsable de son secteur économique et la représente au Conseil économique et social.

Bouger les lignes

Moins d'un an après son élection, il participe aux discussions de Grenelle découlant du mouvement de mai 68. Dans la foulée, il participe, avec Henri Krasucki aux deux négociations sur l'aménagement de l'emploi et sur la formation continue qui se traduiront par deux accords nationaux interprofessionnels signés par la CGT traduits dans la loi en 1971. Adhérent du Parti communiste depuis 1970, proche de Georges Séguy, il accompagne de toute la force de ses convictions le processus de préparation du 40ème congrès de la CGT en 1978, à Grenoble. En 1977, son intervention devant la conférence confédérale des Femmes, fait grand bruit. La conférence est placée sous le signe « des questions qui font bouger ». Sans mandat confédéral, Jean-Louis Moynot ne se prive ni d'amener des questions, ni de faire bouger les lignes, ce qui ne lui fait pas que des amis. Pour ma part, c'est en 1978 que je l'ai rencontré pour la première fois, dans une réunion organisée par l'UGICT sur les nouvelles méthodes de management. Jeune militante à l'époque j'ai été impressionnée par la qualité de son propos et la clarté de son argumentation. Cependant l'écart était trop grand entre mon vécu de cadre de la Poste et les idées qu'il avançait. Je ne m'étais pas privée de le faire remarquer. Nous remémorant cette scène bien des années plus tard, j'ai été surprise qu'il ait été aussi attentif à l'intervention que j'avais alors prononcée, preuve de sa grande capacité d'écoute et de réflexion à partir de ce qui n'était pas ses idées propres.

Débats internes

L'histoire sociale n'est jamais un fleuve tranquille, celle de la CGT non plus. Il est difficile aujourd'hui d'imaginer ce que fut le climat de tensions internes dans la CGT des années 1980/1990. A la confluence entre les débuts du libéralisme outrancier prôné par Thatcher et Reagan, l'affaiblissement du camp soviétique dont on ignorait qu'il vivait ses dernières années, les affrontements entre le PS et le PC en perspective de l'élection présidentielle de 1981, et l'affaiblissement syndical, le débat interne dans la CGT est alors de plus en plus difficile. Jean-Louis Moynot ne renonce pas à faire valoir ses idées. Soupçonné de faire le jeu du camp réformiste, Jean-Louis Moynot se sent de plus en plus en difficulté pour exercer ses responsabilités. Avec Christiane Gilles, elle-même secrétaire confédérale chargée de l'activité « Femmes salariées », il démissionne du Bureau confédéral en juin 1981. Un an plus tard, il vient courageusement s'exprimer devant le 41ème congrès, à Lille, celui qui voit Henri Krasucki succéder à Georges Séguy. Présente à la tribune de ce congrès, car candidate à la Commission Exécutive Confédérale, je me souviens du silence glacial qui a accueilli l'intervention qu'il a courageusement prononcée jusqu'au bout.

Un certain cran !

Je n'étais en accord ni avec l'essentiel de ce qu'il disait, ni avec sa démission du bureau. Comme la plupart des militants je la ressentais comme une espèce de trahison à un moment où la CGT traversait de grandes difficultés. Je ne pouvais approuver l'idée que « certaines formes d'austérité sont nécessaires pour sortir de la crise », ou celle selon laquelle, la CGT portait une part de responsabilité dans le recentrage de la CFDT : « sous prétexte de clarté, nous avons repoussé la CFDT du côté où il fallait l'empêcher d'aller ». Je n'ai cependant pas partagé les sifflets qui ont accompagné cette partie de son intervention et trouvé que Jean-Louis Moynot avait un certain cran. On ne peut réécrire l'histoire mais on peut se demander si une meilleure culture du débat interne n'aurait pas permis à la CGT de ne pas se priver des qualités de ce dirigeant sans pour autant affadir les positions de fond de l'organisation. Georges SEGUY lui-même s'interrogera par la suite en regrettant de ne pas l'avoir soutenu davantage. Puis les chemins de la CGT et de Jean-Louis Moynot s'éloignent, avant de se croiser à nouveau sous l'impulsion de Louis Viannet devenu secrétaire général de la CGT. Les deux militants se rencontrent, s'apprécient. On croise de plus en plus souvent Jean-Louis dans les locaux de la CGT à Montreuil.

La CGT évolue, Jean-Louis Moynot aussi. Son soutien ne fera défaut à aucun des dirigeantes et dirigeants qui se succéderont jusqu'à nos jours. Je me souviens avoir moi-même fait appel à lui, lorsqu'au début des années 2000, j'ai été chargée de conduire la délégation CGT sur la négociation de la Formation professionnelle continue. Je voulais en connaitre l'historique et Jean-Louis a très volontiers répondu à mes questions. Nous nous sommes ensuite rencontrés de loin en loin à l'occasion d'initiatives diverses organisées par la Confédération. C'est à ces occasions que j'ai pu aussi mesurer ses qualités humaines, le respect qu'il manifestait à l'égard des militantes et militants, l'attachement qu'il avait pour l'organisation. C'est bien un des siens que la CGT vient de perdre. Que sa famille, ses proches veuillent bien accepter nos plus sincères condoléances.

Maryse DUMAS