Aux funérailles de Madeleine Riffaud, des chants et de l'émotion
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Historien des idées autant que spécialiste de la littérature, Tzvetan Todorov nous a quittés le 7 février dernier à 77 ans. Une perte irremplaçable pour tous ceux et celles que la lecture de cet intellectuel humaniste a aidés à regarder et tenter de comprendre le monde et les ressorts des engagements humains.
« La vie humaine n'a pas de drapeau » : rendant hommage à la résistante Germaine Tillion, lors de son entrée (symbolique et non physique) au Panthéon, en mai 2015, Tzvetan Todorov reprenait alors la formule de l'ethnologue, « patriote de la liberté » qui avait su enquêter sur la société berbère dans les Aurès, sur le monde concentrationnaire au camp nazi de Ravensbrück où elle fut déportée en 1943, sur la torture et la société coloniale… « La vie humaine n'a pas de drapeau » : une vision du monde qui semble si bien correspondre au grand humaniste, Tzvetan Todorov, lequel nous a quittés ce 7 février 2017, à 77 ans, des suites d'une maladie neurodégénérative.
Né à Sofia, en Bulgarie, en 1939, amoureux et spécialiste de la littérature, en particulier des écrivains russes tels que la poétesse Marina Tsvietaïeva, Boris Pasternak, ou encore Vassili Grossman (l'auteur, notamment de Vie et Destin, fresque d'une magnifique humanité sur la société soviétique durant la « Grande Guerre patriotique », c'est-à-dire la Seconde Guerre mondiale), Todorov gagne la France en 1963, et poursuit son travail sur la littérature. Il s'intéresse en particulier à la façon dont s'élabore l'écriture littéraire, il se laisse séduire par le structuralisme qui, à la suite de Ferdinand de Saussure, pense la langue d'abord comme un système de relations entre des mots – ou d'autres éléments – et, à la suite de Claude Lévi-Strauss – ou de Jacques Lacan –, observe l'humain dans son rapport conscient ou inconscient aux autres comme être parlant, comme être social et communicant. Avec son ami Gérard Genette, il fonde au Seuil en 1970 la revue d'analyse et de théorie littéraires Poétique, dévorée par des générations d'étudiant·e·s.
Mais, au-delà du langage et de sa forme, Tzvetan Todorov s'intéresse aussi au sens et à l'éthique de l'œuvre. Dans Nous et les autres (Seuil, 1989) où il scrute la pluralité des cultures et, d'une autre façon, dans L'Homme dépaysé (Seuil, 1996), il pose sa réflexion regard moins sur l'exil que sur l'enrichissement permis par l'altérité, c'est-à-dire cette altération, cette ouverture du regard et de ses angles, générées par la rencontre avec l'Autre. Ainsi, tandis que le mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy institue le « ministère de l'Identité nationale », et que des revendications dites identitaires se substituent insidieusement à d'autres débats, ou confrontations, sociales par exemple, on entend ou on lit Tzvetan Todorov exécrer la xénophobie et défendre le multiculturalisme, contre la déculturation, comme il défendra la nécessaire reconnaissance de l'humanité et de la dignité des étrangers, des réfugiés que d'autres rejettent de façon essentialiste.
Dans La peur des Barbares (Robert Laffont, 2008), Tzvetan Todorov critique ainsi fondamentalement la thèse de Samuel Huntington prophétisant un « choc des civilisations ». Soulignant qu'il n'existe qu'une civilisation, humaine, il décrit en revanche la diversité mais aussi le métissage historique des cultures. Et met en lumière ce en quoi la barbarie consiste à nier l'humanité de l'Autre.
Todorov, qui grandi dans la Bulgarie de l'époque soviétique (et même stalinienne, puisqu'il avait six ans en 1945), et qui a connu le libéralisme occidental, non seulement se méfie des idéologies, s'interroge sur les ressorts des totalitarismes, mais cherche aussi à en comprendre les ressorts dans les sociétés libérales. Il relève ainsi cette tentation du conformisme, observant autrement ce que le médecin et philosophe Georges Canguilhem analysait dans Le normal et le pathologique, ou ce que le psychiatre Jean Oury a souligné en parlant de « normopathie ». Mais il interroge aussi la part totalitaire des utopies et des promesses de bien absolu, dont la plupart des commentateurs auront surtout retenu cette formule : « Il est possible de résister au mal sans succomber à la tentation du bien. » (Mémoire du mal, tentation du bien, Robert Laffont, 2000). Invitant à ne pas imaginer qu'un projet a pu être beau s'il a en réalité concrètement abouti à des tragédies, Todorov souligne en même temps : « Il ne faut pas s'endormir simplement parce que la démocratie est mieux que le totalitarisme », rappelant les dérives tragiques, potentielles et réelles, des « démocraties libérales », telles les bombes nucléaires américaines sur Nagasaki et Hiroshima…
On comprend dès lors le choix des figures emblématiques du XXe siècle (et du début du XXIe) que Tzvetan Todorov a choisi de peindre dans Insoumis (Robert Laffont, 2015) : d'Etty Hillesum à Primo Levi, de Boris Pasternak à Alexandre Soljenitsine, de Vassili Grossman à Romain Gary, de Nelson Mandela à Malcom X, de David Rousset à Margarete Buber-Neumann, de David Shulman à Edward Snowden… Et de citer, en exergue, Germaine Tillion : « Pour moi la résistance consiste à dire non, mais dire non c'est une affirmation… »
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