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Mai-juin 68

Mai 1968 : Une lame de fond

15 août 2018 | Mise à jour le 16 juillet 2018
Par | Photo(s) : Gérard Bloncourt / Rue des Archives
Mai 1968 : Une lame de fond

Changements démographiques, économiques, 
sociaux, politiques, culturels… le mouvement de grève de 1968, deux ans après l'accord d'unité d'action CGT-CFDT, 
n'est pas né de rien.

Plusieurs millions de salariés en grève durant plusieurs semaines : nul n'aurait pu imaginer, aux prémices du printemps 1968, l'ampleur, l'étendue géographique, l'intensité de ce moment social le plus large de l'histoire contemporaine ni la détermination de ses acteurs. Pour autant, 68 ne relève évidemment pas du coup de tonnerre dans un ciel serein. Si la violence de la répression policière contre le mouvement étudiant – entamé dès le mois de mars – a cristallisé les colères, si l'appel de la CGT et de la CFDT, suivies par la Fédération de l'éducation nationale et Force ouvrière, à une grève générale de protestation contre cette violence s'est traduit par la manifestation d'un million de personnes le 13 mai à Paris et par de nombreuses manifestations dans tout le pays, c'est que couvaient une colère et des exigences sociales qui avaient déjà mobilisé des milliers de salariés depuis des mois, et même des années.

En fait, le printemps social de 1968 s'inscrit dans un contexte à la fois économique, social, syndical, politique, culturel, qui a modifié la société et le monde du travail et fait émerger des revendications nouvelles dans l'entreprise comme dans la cité.

La société française change

La France de 1968 n'est plus tout à fait celle de l'après-guerre. Elle a changé démographiquement. Avec le baby-boom d'après 1945, les moins de 20 ans représentent à peu près le tiers de la population. La scolarisation s'est étendue, en particulier car elle est passée de 14 à 16 ans en 1959. De 1962 à 1968, le nombre d'étudiants a doublé : on en compte alors quelque 600 000. L'université parisienne ancre ses nouveaux locaux dans la banlieue ouvrière, comme à Nanterre. Mais, s'il s'est élargi, l'accès à la formation et aux études demeure encore marqué par l'origine sociale, et les enfants d'ouvriers et d'agriculteurs peinent à entrer à l'université. C'est du reste en 1970 que Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron publient aux éditions de Minuit La Reproduction – Éléments pour une théorie du système d'enseignement, dans lequel ils analysent les mécanismes de la « reproduction » sociale.

Le pays sort aussi d'une nouvelle guerre, en Algérie, où beaucoup des grands frères de ces moins de 20 ans ont été envoyés. Mais pour la première fois, l'horizon, pour la société française, n'est plus celui de la répétition des guerres. Conjugués, l'expérience de la guerre et l'horizon nouveau contribueront pour une part à la mobilisation contre la guerre au Vietnam, tandis que plusieurs romans ou films interrogent ce qui est encore appelé les « événements » d'Algérie.

Ainsi des Parapluies de Cherbourg, de Jacques Demy en 1964, ou du roman Elise ou la vraie vie, de Claire Etcherelli, qui paraît en 1967 et dont Michel Drach fera un film en 1970. Ce roman dit aussi la place réservée aux travailleurs immigrés, que le patronat a fait venir en nombre dans les entreprises automobiles depuis les années précédentes. C'est en 1966 que se constitue la Fédération des associations de soutien aux travailleurs immigrés (Fasti) qui regroupe alors 156 associations et revendique le droit à l'égalité dans le travail et pour l'accès au logement ailleurs que dans des bidonvilles…

Le mauvais partage des « Trente Glorieuses »

En 1979, l'économiste Jean Fourastié, qui a été conseiller économique au Commissariat au plan à la fin des années 1940 puis à l'Organisation européenne de coopération économique avant de devenir éditorialiste au Figaro, invente une expression qui fera florès concernant la période allant de la fin de la guerre en 1945 jusqu'à la première crise du pétrole en 1973 : les Trente ­Glorieuses. Pour lui, en Europe et aux États-Unis, ces années se caractérisent non seulement par le baby-boom, mais aussi par la reconstruction économique de pays en ruines après la guerre, avec une forte croissance industrielle et le plein-emploi.

En fait, en France, l'économie évolue et la nature du travail avec elle. L'essor industriel concerne la chimie, l'automobile, l'électroménager… Des chaînes de montage s'installent en Normandie, en Bretagne, dans les pays de Loire… faisant appel à une main-d'œuvre ouvrière nouvelle, notamment parmi les femmes et les travailleurs immigrés. S'imposent, dans les usines et les ateliers, l'automatisation des tâches, l'intensification du travail chronométré au nom de la rationalisation qui robotise les êtres humains et fait dépendre leur salaire de leur productivité, tandis que les travailleurs immigrés sont cantonnés aux tâches les plus dangereuses ou insalubres. Si la croissance économique avoisine les 5 % par an, elle s'appuie sur des gains de productivité arrachés aux salariés de l'ordre de 5 % jusqu'au milieu des années 1960, et atteignant même ensuite 5,8 %. L'Europe se construit alors dans une logique de compétition et de concurrence.

En revanche, d'autres secteurs sont en crise, comme les mines ou l'industrie textile. Le chômage frappe de vieilles régions industrielles et houillères. Jacques Chirac, alors secrétaire d'État à l'Emploi du gouvernement Pompidou, crée l'ANPE en juillet 1967, dans une France qui compte alors un peu plus de 300 000 privés d'emploi.

L'impact de l'unité d'action syndicale

Les Trente Glorieuses n'ont donc pas la même saveur pour tous. Si le pouvoir d'achat moyen progresse, si le patronat a compris que produire plus suppose de pouvoir vendre davantage sur le marché intérieur (qu'il s'agisse d'automobiles, d'électroménager, de télévisions…), si les besoins de production favorisent les promotions internes des catégories ouvrières vers celles de techniciens ou d'agents de maîtrise, il n'empêche que le compte est loin d'y être pour tous. Les années 1960 sont aussi celles du développement de mobilisations et de grèves pour des revendications nouvelles dans les entreprises, qui concernent l'organisation même du travail, les conséquences du chronométrage et l'autoritarisme managérial qui fait écho à l'autoritarisme du pouvoir d'État.

C'est dans ce contexte que le 10 janvier 1966, la CGT et la CFDT signent un accord d'unité d'action. La CFDT est née deux ans plus tôt de la déconfessionnalisation de la CFTC. Le CNPF (l'organisation du patronat français) adopte quant à lui en 1965 une charte libérale contre « l'interventionnisme » de l'État. Et le pouvoir gaulliste entend modifier l'esprit de solidarité au fondement de la Sécurité sociale par des ordon­nances engagées en 1967. L'accord entre la CGT et la CFDT aura alors pour effet d'encourager et de stimuler les luttes unitaires des femmes et des hommes salariés durant les années qui suivent. Berliet, SNCF, Rhodiaceta, RATP, Dassault… le nombre de jours de grève dépasse allègrement les trois millions en 1966 et atteint les quatre millions en 1967. Un record depuis le début de la Ve­ République.

Et c'est bien tout cela qui déborde en 1968. Transformant les mouvements des années précédentes en vaste et long mouvement de grèves et d'exigences nouvelles.

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