« Grand froid » et coup de chaud
C'est l'hiver, les nez coulent, la grippe attaque, le « grand froid » nous rattrape. Les hôpitaux sont débordés par les malades, les personnes à la rue risquent la mort par hypothermie, les prédictions sur les centrales nucléaires sont sombres : elles pourraient ne pas répondre à la demande énergétique exponentielle… Bref, un hiver, un peu plus rude que d'habitude (on parle de températures proches de celles de 2012) suffit à révéler l'indigence dans laquelle nos gouvernements successifs ont placé, année après année, nos services publics.
« L'hôpital, estime Marisol Touraine, ministre de la Santé, est sous tension mais en aucun cas débordé. » À la mi-janvier, le virus de la grippe avait déjà touché près de 800 000 personnes, dont 52 n'ont pas pu être réanimées à l'hôpital.
La situation des hôpitaux est au plus mal quand un épisode viral – doublé de conditions climatiques prévisibles, et finalement de saison – suffit à rendre malades les établissements hospitaliers français. C'est qu'entre temps, la fièvre libérale est passée par là : amputation des budgets, fermeture de 100 000 lits, suppression de milliers de postes… le personnel hospitalier qui manifestait en novembre 2016 est au bord de l'explosion. À Dreux (Eure-et-Loir), onze médecins urgentistes du centre hospitalier Victor-Jousselin viennent d’annoncer collectivement leur démission pour protester contre leurs conditions de travail et d'accueil des patients « difficilement supportables ».
Rien de nouveau sous le soleil givré d'ailleurs. En 2008, Laurent Brochard, professeur à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil, cosignait une lettre ouverte à la ministre de la Santé de l'époque pour « Sauver l’hôpital public ! ». Il y déplorait qu'on « demande aujourd'hui à l’hôpital public de fonctionner comme une structure privée. On nous reproche d’être en déficit, mais si on coûte cher, c’est justement parce que nous devons assumer ces missions de service public. C’est absurde de vouloir imposer à l’hôpital public le prisme d’une pure rentabilité ».
Dans le domaine énergétique, on peut se demander à qui, à quoi servent les effets d'annonce alarmistes sur les risques de coupures d'électricité, sinon à culpabiliser les ménages à qui on demande de faire attention à leur consommation pour éviter la surchauffe, voire la panne de nos centrales nucléaires ? Il faudrait peut-être rappeler à nos dirigeants d'hier et d'aujourd'hui le scandale qu'a été, dans les décennies 1960 et 1970, le choix politique d'équiper la quasi-totalité du parc locatif public de radiateurs énergivores, les célèbres « grille-pain » de nos HLM. Et aussi évoquer la débauche de notre société de consommation qui illumine publicités et grands magasins, potentiellement ouverts même le dimanche, tout en incitant chaque citoyen à devenir un consommateur accro à la dépendance de gadgets ménagers.
Dans un tel contexte, réclamer encore et toujours la suppression de centaines de milliers de postes de fonctionnaires est une course folle en direction d'un mur. C'est bien au contraire de services publics efficaces, protégés et protecteurs des usagers, que notre pays a besoin. Et si ces besoins sont particulièrement visibles en période de surchauffe… ou de grand froid, c'est bien toute l'année que les agents des services publics ouvrent à la cohésion d'une société française.
Casser les services publics, privatiser le secteur public industriel, démanteler le statut de la fonction publique – dont l'union générale de la fonction publique CGT (UGFF-CGT) célèbre les 70 ans, mardi 24 janvier lors de journées d'études – ne sont jamais la solution. Institués dans l'intérêt général et non pour la satisfaction d'intérêts particuliers, les services publics tissent le lien social qui fait tenir debout les classes moyennes et populaires. Les priver de cela, c'est les priver de tout.