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ÉLECTIONS TPE

Élections TPE : pour le meilleur ou pour le pire

26 janvier 2021 | Mise à jour le 1 février 2021
Par | Photo(s) : CHASSENET/BSIP
Élections TPE : pour le meilleur ou pour le pire

Du CAP au master, du e-commerce à la coiffure, en passant par la santé ou la culture… Si les millions de salariés des TPE se caractérisent par leur diversité, beaucoup ont en commun une forte autonomie et une relation directe avec leur employeur. Ils sont aussi nombreux à aspirer à de meilleures protection et représentation sociales, mais ils peinent à en imaginer leurs contours.

Guillaume, 34 ans, est arrivé au webmarketing après de longues études, en forme de route à virages, qui l'ont mené d'une licence de chimie à un master en médiation culturelle. Et c'est en autodidacte, le nez dans les bouquins, qu'il a appris les fondamentaux de la vente en ligne. Voilà un an et demi qu'il les met au profit d'une société de matériel de pesage.

« Je travaille sur l'architecture du site et le champ lexical qui permet de cibler les acheteurs », décrit-il. Nous sommes à Rodez, dans l'Aveyron, où Guillaume et sept collègues partagent un bâtiment d'un étage dans une zone d'activité, en bordure de la ville.

Ils comptent parmi les 3,3 millions de salariés (chiffres de la Dares au 31 décembre 2018) des très petites entreprises (TPE). Soit 19 % de l'emploi salarié privé, hors agriculture. Plus des trois quarts exercent dans le tertiaire, dont le commerce, l'hôtellerie-restauration, les transports, etc.

Les salariés des TPE témoignent d'expériences au travail très diverses, à l'image de ce salariat éclaté : positives et stimulantes pour certains, surtout lorsqu'ils les comparent à d'autres expériences professionnelles au sein de plus grandes entreprises, là où les chaînes hiérarchiques pèsent sur l'organisation et les conditions de travail. Pour d'autres, et parfois en même temps, les expériences sont synonymes de vulnérabilité, de carrières réduites, d'isolement…

Pour Guillaume, travailler au sein d'une si petite structure est plus le fruit du hasard qu'un choix réfléchi. Mais il apprécie. « Le management des grosses boîtes, j'ai détesté. J'avais l'impression que les salariés n'étaient que des outils. Je ne supportais plus le côté “chefaillons”, le flicage… » Forcément, quand les effectifs sont ceux d'une famille nombreuse, l'ambiance s'en ressent. « Je vois mon patron régulièrement, on discute de choses concrètes. Il n'y a pas de mystification des termes, moins de procédures, de strates de décision. Les échanges sont plus fluides, les intentions mieux comprises », estime-t-il.

À la clé, pour lui, une plus grande autonomie dans le travail. « J'ai des lignes directrices et je navigue autour. » Une liberté que ce jeune père met à profit pour développer de nouvelles compétences, mais aussi concilier vies professionnelle et privée : « En cas d'aléa de la vie, j'appelle le matin et c'est réglé, je peux prendre ma journée. » Dans une large mesure, la qualité des conditions de travail de ces salariés de toutes petites structures, qui sont parfois seuls avec leur patron, dépend donc de la nature de la relation qui existe avec ce dernier.

Un collectif de travail restreint, une représentation syndicale absente

De ce point de vue, d'une TPE à l'autre, et dans un même secteur d'activité, les choses peuvent changer du tout au tout. Ainsi, dans le centre de Sète (Hérault), Daniel, 40 ans, ne tarit pas non plus d'éloges sur son travail dans une petite entreprise – « le rêve total ! »

Il est l'unique employé de son patron, hormis un saisonnier l'été. Titulaire d'un CAP cuisine, il est arrivé en juillet 2019 dans ce restaurant posé entre les halles et les quais. Daniel et son employeur se sont rencontrés dans un établissement plus gros, plus prestigieux également, à la pression infernale. « Quand on est partis, c'était dans l'idée de ne pas revivre ce qu'on avait vécu, humainement parlant, insiste-t-il. On ne joue pas dans la même catégorie, mais on travaille avec plaisir et on a du respect l'un envers l'autre. »

En plus de vingt ans de carrière, Daniel a connu les TPE comme les brasseries de plus de 50 salariés. « Le métier reste le même, mais le travail est complètement différent », selon l'envergure de l'entreprise. Mais pas seulement : plus qu'ailleurs, les relations interpersonnelles imprègnent le quotidien des petites structures. Et si Daniel goûte à l'heure actuelle « la relation directe » avec son patron, gage selon lui d'une « meilleure compréhension », ça n'a pas toujours été le cas.

« J'ai travaillé dans une société familiale, se souvient-il. Quand le fils est arrivé, la communication ne passait plus. Il n'arrêtait pas de me rabaisser. » Dans une telle structure, point de collectif de travail ni même de représentant syndical afin de faire respecter les droits de chacun. « Je ne vais pas travailler pour faire la guéguerre. J'ai dit : “Merci, au revoir”. » Il a alors fallu, seul, retrouver un nouveau poste.

Plus d'autonomie, mais aussi d'isolement

« On peut tomber sur des gens sympathiques comme sur des gens “puants” – passez-moi l'expression », confirme Hélène, 57 ans. Titulaire d'une maîtrise d'économie, elle a eu la chance de tomber dans la première catégorie lors de sa reconversion tardive dans le secrétariat médical.

Elle exerce en CDI dans un cabinet d'ophtalmologie situé en Bourgogne-Franche-Comté. Une chance « exceptionnelle », pour son profil « atypique » lors de son embauche – « 53 ans passés » –, sans doute facilitée par la taille de l'entreprise. « Les médecins ont à peu près mon âge, juge-t-elle, et dans ce genre de petites structures, la personnalité joue beaucoup. »

Reste la particularité de composer en quasi-tête-à-tête avec des patrons qui plus est sans culture RH. « Ce ne sont pas des gestionnaires. Ils disent, globalement : “Nous, on soigne, vous gérez le reste. À vous de faire en sorte que ça tourne”. » Avantage, pour Hélène et ses collègues secrétaires : « Une totale liberté pour agir, pour gérer les emplois du temps. C'est rare, cette autonomie à ce niveau de qualification. » La limite : « On n'est pas représentées du tout s'il y a un souci. »

Connaître et défendre ses droits : pas facile

Coadministratrice dans une TPE de la production musicale, à Paris, Anne-Laure (le prénom a été modifié) partage son temps de travail avec trois collègues. Elle aussi a flairé les pièges d'un huis clos parfois un peu trop resserré. Le « fonctionnement familial » la motive autant qu'il la limite. Notamment en matière de carrière.

« Le sentiment d'appartenance à la boîte est plus fort, mais c'est ce qui fait que, même si j'ai envie d'un poste plus important ailleurs, je n'arrive pas à partir, constate-t-elle. J'aurais l'impression de les laisser tomber. » Quand un conflit l'a opposée à un collègue, son patron ne s'est par ailleurs révélé d'aucun secours : « Je me suis retrouvée un peu seule et incomprise. Le boss ne sait pas gérer ça. » Pas plus qu'il ne l'a soutenue dans le développement d'un projet, ni qu'il « n'aime » « parler d'argent ».

« Dès qu'on touche à ces questions-là, on est maintenus dans le flou », déplore Anne-Laure. Il en va pourtant, dans une relation qui demeure de subordination quelle que soit la taille de l'entreprise, de la rémunération du travail. Pas qu'une petite question, donc. Anne-Laure se dit qu'un interlocuteur extérieur, capable de l'aider à « connaître [ses] droits et répondre à [ses] questions » aurait pu lui faciliter la vie. Mais elle reconnaît aussi n'avoir « jamais eu la curiosité de chercher ».

Des tête-à-tête asymétriques

Les TPE échappent à l'obligation d'élire des représentants du personnel. En cas de difficulté, à chacun de trouver des ressources. Titulaire d'un bac pro, Alison, coiffeuse de 26 ans, a subi le harcèlement d'une patronne qui multipliait les propos vexatoires. « Elle a voulu me pousser à un abandon de poste, sans me licencier pour autant », se souvient-elle. C'est son père, routier, qui lui a conseillé de la menacer d'un recours aux prud'hommes.

Alison travaille aujourd'hui au sein d'un salon de coiffure d'une zone commerciale de Bruay-la-Buissière, dans le Pas-de-Calais, avec sept salariés. Un « bon salon », où elle se sent « bien encadrée » et où, dit-elle, « les problèmes se règlent entre nous ». Si bien qu'elle ne ressent pas, pour le moment, le besoin d'être mieux représentée. Les élections professionnelles dans les TPE qui démarrent en janvier ? Elle n'en a jamais entendu parler. Pareil pour Daniel : le cuisinier sétois confesse ne « jamais » s'y être intéressé, faute de percevoir « l'intérêt et les répercussions » sur sa situation.

« Ça me dit quelque chose… », avance pour sa part Anne-Laure. Si les syndicats de salariés lui semblent un monde étranger, éloigné de son activité, elle estime pourtant que, dans sa branche, les employés des TPE se sentent souvent isolés. Et qu'ils gagneraient à être mieux représentés, notamment en matière de rémunération. « Les salaires sont faibles, rappelle-t-elle, et comme il y a ce côté “passion”, on se sent obligés de tout accepter. »

Hélène aussi aimerait que les secrétaires de cabinets médicaux aient plus de moyens de faire entendre leur voix, qui n'est pas celle de leurs homologues de l'hôpital ou des labos. Mais elle estime « compliqué de fédérer les gens, de leur faire prendre conscience de leurs intérêts communs ». Elle préfère pour l'heure s'y essayer au sein d'une association professionnelle de secrétaires médicales. « Mais c'est déjà compliqué, les gens ont tendance à adhérer quand ils ont besoin et à disparaître après… » Autant d'expériences qui mettent davantage en lumière la responsabilité des organisations syndicales pour aider ces millions de salariés à connaître leurs droits, mais aussi à les défendre. Et à s'organiser.

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