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INDUSTRIE

Électronique : une filière à développer d’urgence

20 avril 2021 | Mise à jour le 20 avril 2021
Par | Photo(s) : Ian Hanning / RÉA
Électronique : une filière à développer d’urgence

Pénurie de composants électroniques dans l'automobile, données mal sécurisées dans les hôpitaux… L'Europe paie cash l'absence d'investissement et de production de ces composants et, donc, sa dépendance vis-à-vis de l'Asie. La CGT plaide pour un investissement massif dans ce secteur stratégique.

Lignes de fabrication à ­l'arrêt chez Renault faute de semi-conducteurs, menaces sur des livraisons de composants clés dans divers secteurs – aéronautique, spatial, défense ­–, panique dans des hôpitaux victimes de pillage de données en pleine crise sanitaire… : la pénurie des composants électroniques vient de mettre en lumière brutalement les effets de décennies de casse ­industrielle et de délocalisations.

Le sujet était au centre d'une journée d'étude organisée le 16 mars dernier à Grenoble par les syndicats CGT de ­Soitec (qui produit des matériaux semi-conducteurs…) et STMicro (STMicroelectronics, multinationale française et italienne, fabriquant des puces électroniques). « Taïwan et la Corée du Sud représentent environ 43 % des capacités de production mondiale, contre 6 % pour ­l'Europe.

Thierry Breton, commissaire européen chargé de la politique industrielle, a évoqué récemment la création d'une usine de pointe de semi-­conducteurs en Europe avec l'annonce d'une alliance européenne pour la microélectronique dans 18 pays. La presse s'en est fait l'écho, mais pour l'heure, rien n'est concrétisé », devait constater Marc Leroux délégué syndical CGT de STMicro.

Guerre économique et erreurs stratégiques

Alors que la France était encore l'un des leaders mondiaux dans les cartes à puce il y a quelques années, elle n'est plus aujourd'hui que l'ombre d'elle-même. Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis ont réorienté leurs moyens d'espionnage vers la guerre économique. Le pays de l'Oncle Sam a déployé un immense arsenal d'outils technologiques et juridiques pour soumettre à sa loi le reste du monde, s'approprier les brevets.

C'est le cas notamment de la technologie des cartes à puce de l'entreprise française Gemplus, récupérée dans les années 2000 via un fonds de pension par les États-Unis. Les Américains veulent aussi empêcher l'extension d'entreprises concurrentes, c'est le cas du Chinois Huawei. Pour ce faire, les États-Unis ont mis en place un système de sanctions (comme la fermeture du marché américain, par exemple) contre quiconque commercerait avec telle ou telle entreprise.

Ces sanctions ont un impact bien au-delà de la Chine, comme en témoigne Nadia Salhi, ingénieure chez STMicro et responsable à la CGT du collectif Industrie : « Les États-Unis ont interdit de commercer avec Huawei dès l'instant où l'on utilisait de la technologie américaine pour produire nos composants. Or les outils de conception sont américains, les équipements sont aussi pour beaucoup américains. Il en résulte que les entreprises françaises ou européennes ne peuvent plus travailler avec Huawei, alors qu'il s'agissait de l'un de nos clients. »

La CGT planche sur une filière électronique d'avenir face à la crise des composants

Aux coups bas américains, il faut ajouter la balle que les Européens se sont eux-mêmes tirée dans le pied. Ainsi, avec la stratégie de Lisbonne [axe majeur de la politique économique et de développement décidé par le Conseil européen entre 2000 et 2010], appelant à sacrifier la production en Europe au profit, soi-disant, de la recherche, les délocalisations se sont multipliées.

Dans le secteur de l'électronique, cela s'est traduit par une dissociation entre la conception des puces, restée en Europe, et leur fabrication désormais délocalisée en Asie. Cependant, ce sont les États-Unis qui ont pris le leadership en matière de conception, tout en ­commettant cette même erreur de sous-traiter leur ­fabrication en Asie.

Conscients du risque stratégique, les États-Unis tentent désormais, sous pression de leur gouvernement, de réinstaller des fonderies (fabrication) sur leur territoire. Finalement, les Européens ont été distancés par les États-Unis sur la conception et par l'Asie sur la fabrication : « Aujourd'hui, on survit sur l'existant. Mais faute d'avoir investi, nous avons laissé échapper les technologies et les productions qui auraient permis de sécuriser les données, par exemple les données de santé. En fait, si on ne maîtrise pas le logiciel inclus dans le composant et le composant lui-même, il y aura un problème », estime Nadia Salhi.

Mais la syndicaliste de remarquer qu'outre-Rhin, les choix ont tout de même différé de ceux de la France : « Bosch a décidé il y a quelques années de produire ses propres composants pour l'automobile et maintenant, l'entreprise le met en œuvre, mais fait un peu cavalier seul en Europe. Huawei était accusé de mettre des logiciels espions. On voit donc que même les constructeurs veulent maîtriser le contenu de l'électronique dans les voitures. » Les Allemands ont été bien moins zélés que les ­Français pour désindustrialiser. Il en résulte que la taille de l'industrie en Allemagne équivaut aujourd'hui à trois fois celle de la France.

Rattraper les retards technologiques

Pour Guy Moulas, auteur d'une expertise du cabinet Sécafi sur la microélectronique, le retard technologique européen est critique : « Les prochaines technologies de semi-conducteurs vont baisser à cinq nano [nanomètres] et les plans sont déjà prévus à Taïwan et en Corée pour passer à trois nano. Ici, nous en sommes toujours à 28. Pour revenir au niveau de la Corée du Sud et de Taïwan et rattraper plusieurs années de retards, il faudrait mettre au moins 20 à 30 milliards d'euros sur la table et lancer une fonderie dans la microélectronique. Une seule de ces usines coûte 12 milliards. »

Récemment, Fabrice Lallement et Franck Perrin, respectivement représentants CGT au sein du Comité stratégique de filière (CSF) de l'électronique et du CSF industrie et technologie de la santé ont interpellé Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l'Industrie, sur le rôle des présidents de ces CSF, patrons plus soucieux de sécuriser les aides gouvernementales pour les donneurs d'ordre que de défendre l'ensemble d'une filière stratégique avec ses sous-­traitants.

Les syndicalistes exhortent le gouvernement à faire le lien entre les industries clientes de l'électronique (dans le médical, l'automobile, le bâtiment etc.), afin d'identifier les besoins en composants et cartes électroniques. En lien avec les CSF, un travail en amont permettrait d'élaborer des projets communs pour reconstruire des industries souveraines.

Des propositions concrètes

Pour la CGT, maintenir l'emploi ne suffit donc pas. Il est urgent d'engager des projets majeurs et créateurs d'emplois. Les entreprises existantes en Europe peuvent être à l'origine d'un projet de coopération de recherche et de développement industriel. Cela nécessite des investissements massifs pour rattraper le retard technologique accumulé sur les composants avec notamment l'implantation d'au moins une fonderie en Europe.

L'assemblage et la sous-traitance électroniques doivent aussi faire l'objet d'investissements d'ampleur pour être relocalisés. Ce secteur a été mis à mal en France, entre autres par des politiques de mise en concurrence par les donneurs d'ordre. La création d'un ou plusieurs consortiums français (éventuellement européens), afin de fédérer les nombreux besoins, puis de mutualiser les investissements, permettrait d'atteindre les volumes nécessaires.

Une démarche qui doit s'appuyer sur les acteurs de la sous-traitance déjà présents en France. Enfin, préparer l'avenir nécessite d'anticiper les besoins de formation. La CGT propose d'associer au plan d'investissement de la filière un plan de développement des compétences. Entre autres projets, elle demande concrètement la création d'une école de techniciens spécialisés à Grenoble.

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