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TRAVAILLEURS SANS PAPIERS

Enquête judiciaire, grève : une communauté Emmaüs du Nord dans le viseur

28 août 2023 | Mise à jour le 28 août 2023
Par | Photo(s) : Mathieu Dréan
Enquête judiciaire, grève : une communauté Emmaüs du Nord dans le viseur

Grève et marche, de Lille à Saint-André-Lez-Lille, des travailleurs sans-papiers d'Emmaüs qui dénoncent leurs conditions de travail, leurs rémunérations, les fausses promesses et le travail dissumulé de la direction de la communauté Emmaüs de la halte Saint-André-lez-lille le 26/08/2023

Elles et ils triment quarante heures par semaine contre un maigre pécule et l’espoir d’un titre de séjour. Pour dénoncer un traitement jugé indigne, 21 « compagnes » et « compagnons » sont en grève depuis début juillet dans une communauté Emmaüs de la métropole lilloise.

 

« Humiliations », « insultes », « menaces », « racisme »… Le quotidien décrit à la Halte Saint-Jean, à Saint-André-lez-Lille (Nord), n’a rien à voir avec les valeurs revendiquées par le mouvement Emmaüs, créé par l’Abbé Pierre. En mai, le parquet de Lille a lancé une enquête pour « traite d’êtres humains » et « travail dissimulé », dévoilée par le site StreetPress. Une perquisition a suivi en juin. Pour dénoncer des conditions de travail indignes et des promesses de régularisation non tenues, vingt-et-un « compagnes » et « compagnons », soutenus par la CGT et le Comité des sans papiers du Nord (CSP 59), se sont mis en grève début juillet. Sans papiers, originaires de Guinée, du Niger, du Nigéria, du Gabon, du Surinam, de Côte d’Ivoire, d’Algérie ou du Congo, ils ont d’abord été « bénévoles » avant de devenir – du moins le croyaient-il – « compagne » ou « compagnon » d’Emmaüs. Ce qui leur permet d’accéder à une chambre sur place et, normalement, sur la base de « 40% du SMIC », de « bénéficier de tous les droits qui découlent du régime général de la protection sociale : arrêt de travail et indemnités journalières, accident du travail, retraite, etc. », précise Emmaüs France. Un statut déjà précaire mais qui, visiblement, n’est même pas respecté à Saint-André. La communauté tient un magasin de vaisselle, meubles, électro-ménager, vêtements et jouets. « C’est nous qui gérons tout, collectons, réparons, mettons en rayon, étiquetons les prix », confie Ibrahima Yattara, Guinéen, arrivé ici en 2018. Quarante heures de travail hebdomadaires, avec seulement deux semaines de vacances annuelles. Une fois le loyer et les diverses redevances versées à la communauté, notamment pour la nourriture, « il nous reste environ 150 euros », assure-t-il.

Si tu n’est pas content, tu prends ta valise et tu retournes au pays

Arrivée du Nigeria il y a 5 ans, Happy Patrick, sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, est logée à Emmaüs Saint-André avec son mari et ses quatre enfants. « J’ai travaillé jusqu’à la veille de mon accouchement », assure-t-elle, et « même une semaine [de congés après l’accouchement], ça a été difficile à obtenir ». Elle ajoute que cette année, ses vacances lui ont été retirées. Son mari, lui, aurait vu un arrêt de travail de deux semaines, après une opération du dos, réduit à trois jours. Responsable désignée ? La directrice (1), qui serait habituée de réflexions du type : « je ne paye pas quelqu’un qui ne travaille pas » ou « si tu n’est pas content, tu prends ta valise et tu retournes au pays. » Les grévistes décrivent également une surveillance constante, des fouilles dans leurs chambres et une main-mise sur leur existence. « Nous ne pouvons pas aller aux Restos du cœur et si tu réclames une attestation de logement, elle demande ce qu’on veut faire avec », explique Happy Patrick.

Tromperie sur la régularisation

Selon Emmaüs France, sur 122 communautés, 117 ont le statut d’Organisme d'accueil communautaire et d'activités solidaires (OACAS), régi par le Code de l’action sociale et des familles. Outre un cadre social – cependant très léger -, les « travailleurs solidaires » des OACAS peuvent obtenir un titre de séjour au bout de trois ans. Mais les compagnes et compagnons de Saint-André, qui ont découvert récemment que leur communauté n’a pas adopté ce statut, estiment qu’on les a trompés concernant leur régularisation. Ibrahima Yattara a enregistré fin juin une conversation avec la directrice, qu’on entend évoquer un « titre provisoire », soumis à une « enquête », bientôt délivré par la préfecture. « C’était faux », conclut-il.

Annonce d’un audit

Dans un communiqué, le conseil d’administration de la Halte Saint-Jean dément les mauvais traitements et soutient « pleinement [l’]action » de sa directrice. Emmaüs France demande au contraire sa mise « en retrait » et annonce un « audit externe ». Devant le manque de coopération de Saint-Jean, Emmaüs France envisage de « nouvelles mesures ». Réaction bien timorée, juge Stéphane Vonthron, du CSP 59 et de la CGT du Nord, qui mise sur « l’intelligence collective de la lutte » pour sortir de l’impasse. « L’absence de titre de séjour est un frein aux droits des travailleurs », commente de son côté Gérard Ré, chargé au sein du Bureau confédéral de la CGT de suivre ce dossier, qu’il évoquera prochainement avec le délégué de Gérald Darmanin chargé de l’immigration.Le mouvement de Saint-André est-il susceptible de s’étendre ? La grève a été décidée le 22 août à la communauté de Grande-Synthe, près de Dunkerque, toujours dans le Nord.

 

(1) Contactée par NVO.fr, celle-ci n’a pas donné suite.