Avant d'être « intermittents », ils sont artistes, techniciens, ouvriers du monde de la culture. Ce qui n'est pas une sinécure… Portrait, dans les coulisses de la création, à suivre sur la NVO. Rendez-vous avec Amélie Armao, conteuse et directrice artistique.
«As-tu un vrai travail ? » Cette question, Amélie Armao l'a souvent entendue, notamment lors des cours de conte qu'elle dispense à des amateurs. Difficile, la reconnaissance du travail artistique, qui ne se limite pas à ce que le spectateur découvre sur scène… Difficile de vivre de son travail et de saisir tous les méandres de l'intermittence, régime d'indemnisation chômage que le Medef (entre autres) aimerait tant voir disparaître. Difficile de faire comprendre que « faire le métier qui te plaît » – une autre remarque souvent entendue – se paie souvent au prix fort, hormis pour quelques rares étoiles au firmament du monde du spectacle.
Pour Amélie Armao, la rencontre avec le théâtre a été d'abord « pas très sérieuse, un hobby », par le biais « de cours à la MJC quand j'étais gamine ». Étudiant plus tard les sciences de l'éducation, elle inclut à son cursus universitaire des unités de valeur « théâtre », puis se rapproche d'une compagnie « en filant des coups de main, puis en jouant, petit à petit ».
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Cette expérience sur le tas est complétée par un stage de l'Afdas. « Depuis 1999, la compagnie pour laquelle je travaillais m'a permis d'avoir assez de cachets pour bénéficier du régime d'intermittence, sans avoir d'explications sur ce statut. J'ai bien eu des tracts, j'ai aussi cherché sur Internet, notamment pour les questions de renouvellement de droits, mais j'ai trouvé peu d'explications claires. À cette époque, à Pôle emploi, ils ne connaissaient pas et te renvoyaient sur un numéro vert, mais c'était difficile d'avoir de l'info. Ensuite, il y a eu la coordination des intermittents (Coordination des intermittents et des précaires d'Île-de-France) qui m'a permis de comprendre un peu mieux et, depuis, j'ai toujours gardé le “statut” car je bosse beaucoup. »
« Heureusement, précise Amélie Armao, on échange avec les autres, on demande des éclaircissements. Mais on passe beaucoup de temps là-dessus, car avec les employeurs, on est parfois démuni, on ne sait pas toujours quoi leur répondre. On doit faire des comptes, mais comment si on n'a pas d'horaires, pas de montants. Ça nous demande toute une gymnastique et d'y utiliser un “temps de cerveau” au détriment de ce que tu essaies de créer. Pourtant, au quotidien tu en as besoin, parce que quand tu es intermittent, par exemple, tu n'as pas le droit à la garantie des loyers impayés, tu es exclu du système, il y a souvent une clause dans les contrats de location. De même pour un prêt à la banque, ou à la CAF, tu n'existes pas, tu ne rentres pas dans les cases, tu es intermittent, chômeur, intérimaire ? J'ai même connu une personne à qui cette précarité a fait tellement peur qu'elle a tout arrêté pour devenir prof de français. »
Améliorer le système
Des propositions, des idées, Amélie en a quelques-unes, très concrètes et simples, pour améliorer le système. Maman, elle propose une réflexion sur des structures de garde des enfants des travailleurs « du soir » que sont les professionnels du spectacle vivant. « Il y a là un manque et quelque chose à inventer. » De même, précise-t-elle, si une petite structure théâtrale souhaite embaucher, il serait bien d'avoir une exonération de cotisations.
Conteuse et directrice artistique du Théâtre de l'Imprévu, Amélie regrette « que l'idée de troupe n'existe plus. Il en reste peu, chacun essaie de trouver sa solution, il y a plein de projets qui ne peuvent pas voir le jour. Moi, je fais de “l'autoproduit” : on met de côté un pourcentage pour faire fonctionner la structure, car quand tu n'as pas d'argent pour travailler et que tu veux travailler avec d'autres, il est difficile de demander à quelqu'un de s'investir dans ta démarche, sans garantie. J'ai la chance de donner des cours au conservatoire, car, pour moi, créer et transmettre c'est la même chose, et ces heures d'enseignement comptent pour le calcul des heures ouvrant droit à indemnisation chômage. Mais ça n'est pas le cas si tu donnes un cours dans un lycée ou une MJC, ou un centre social. Comme si ça n'était pas un vrai cours, du vrai théâtre ! Je ne demande même pas une reconnaissance, mais que ces heures soient perdues, c'est injuste. C'est seulement le statut du lieu qui change, mais c'est comme s'il y avait un public légitime et un public illégitime. »
Pourtant, Amélie ne cesse de faire en sorte que les publics se rencontrent, de décloisonner, de construire des passerelles, de lutter contre les préjugés et les exclusions. « C'est vrai que c'est aussi à nous d'expliquer, de faire connaître les coulisses du métier, car ils ne voient pas le travail qui est fait avant. À nous aussi de faire comprendre pourquoi et pour qui on fait ce métier. »
Social en scène
Dans les créations d'Amélie, cet engagement social est visible, unissant le conte et les récits de vie. Sur une base de collecte de témoignages, elle construit un récit où réel et imaginaire sont mêlés, comme elle marie aussi le théâtre et la photographie, le conte et la musique. Amélie s'adresse à ceux qui pensent que le théâtre, le conte, ne sont pas pour eux qui en sont éloignés. Ainsi, naissent Il était une fois là-bas ; Dans ma valise ; Consignés à vie ; Une pierre sur le chemin avec des stagiaires en mobilisation professionnelle. Puis Photo-souvenir, mis en scène avec des jeunes en parcours d'insertion.
JoolaLe 26 septembre 2002 à 22 h 55, le Joola, navire battant pavillon sénégalais, faisait naufrage au large des côtes de la Gambie entre le port de Ziguinchor (Casamance) et Dakar. Il s'agit de la plus grande catastrophe maritime civile mondiale puisque 1 863 des 1 928 passagers et hommes d'équipage embarqués ont trouvé la mort ou ont été portés disparus…
En 2014, Comme un cri poursuit cette ouverture à ceux qui n'ont pas la parole, puisque le spectacle s'inspire du témoignage d'un rescapé du naufrage du Joola. La même année, Le Cri des sardines est créé, d'après le roman éponyme écrit avec les bénéficiaires du RSA de l'espace insertion de Champigny-sur-Marne. « J'ai un questionnement sur la place de la culture. Mon engagement, c'est que les gens s'emparent du plateau, que les spectateurs découvrent leurs propres possibilités. » Positive, elle ajoute que « l'argent ne fait pas tout, et tous ces obstacles, ça te force aussi à imaginer : d'autres lieux, d'autres formes. Tu n'as pas de salle, il y a le spectacle de rue ; tu n'as pas de budget suffisant, mais tu as de l'imagination, de l'inventivité. »
Bien sûr, Amélie entend parfois qu'elle est « quelqu'un de privilégié, qu'elle fait ce qu'elle veut ». « Mais je n'ai pas de sécurité et, comme tout le monde, j'envoie un CV. Et je ne me sens pas privilégiée lorsque je fais une heure de trajet pour aller exercer mon métier dans un local au bas d'une tour pour être payée 20 € de l'heure ! Bien sûr, nombre d'employeurs profitent de cette précarité, notamment lorsqu'ils ont affaire à des jeunes qui débutent et qui donc vont dire “Oui”, surtout si le projet est intéressant. » Chez les artistes, comme dans l'ensemble du monde du travail, la précarité, le poids du chômage sur l'emploi sont omniprésents. Et la nécessité d'y apporter des réponses collectives s'y fait sentir comme ailleurs…
Biographie1978 : naissance à Nogent-sur-Marne (94).
1989 : premiers cours de théâtre.
1996 : rencontre avec Youssef Haddad et le conte à l'université Paris 8.
2000 : Photo-souvenir, première mise en scène avec des jeunes
en parcours d'insertion.
2014 : Le Cri des sardines, d'après le roman écrit avec des bénéficiaires
du RSA de Champigny-sur-Marne (94).