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ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES

Entretien - Un an de pandémie et à l’heure du 8 mars, quel bilan pour les femmes ?

5 mars 2021 | Mise à jour le 5 mars 2021
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Infirmières, caissières, enseignantes ou cadres… Après une année de pandémie durant laquelle les femmes ont été en première ligne et à l'aube du 8 mars, quel bilan tirer des inégalités entre les femmes et les hommes ? Entretien avec Rachel Silvera, autrice d'un dernier ouvrage, « Le genre au travail, recherches féministes et luttes de femmes ».

Rachel Silvera, Féministe et économiste est maîtresse de conférences à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense.

Nous sommes le 8 mars. Presqu'un an après le début du confinement pour cause de crise sanitaire, quel bilan tirez-vous de cette période au regard de l'activité des femmes ?

La crise sanitaire et le confinement ont été des miroirs grossissants des inégalités de genre. C'est rare qu'une crise économique et sociale ait autant d'impact sur les femmes.

Quand, au cœur de la pandémie, nous applaudissions chaque soir à 20 heures les professions qui étaient en première ligne face au Covid-19 et grâce à qui la continuité économique et sociale du pays était maintenue, nous applaudissions en réalité une très grande majorité de femmes : des infirmières (87 % de femmes), des aides-soignantes (91 %), des aides à domicile et des aides ménagères (97 %), des agentes d'entretien (73 %), des caissières et des vendeuses (76 %), des enseignantes (71 %).

Le paradoxe c'est voir d'un côté Emmanuel Macron invoquant l'article de la Déclaration des droits de l'Homme selon lequel « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune » et de l'autre, de voir le même ne pas être au rendez-vous pour ce qui concerne les niveaux de rémunération et la reconnaissance salariale, même symbolique, de ces métiers dont l'utilité a été révélée depuis un an.

Qu'est-ce qu'on a fait pour toutes ces personnes qui ont continué à travailler la boule au ventre, qui n'ont bénéficié de moyens de protection que très tardivement, et qui sont loin d'être toutes prioritaires pour la vaccination ? Le gouvernement avait annoncé qu'il y aurait davantage qu'une prime Covid-19, et de vraies négociations. On en reste, pour l'heure, à une mission qui ne prend pas en compte le genre de ces emplois.

Quels déséquilibres et quelles inégalités peut-on relever dans le cadre du télétravail ?

Le télétravail a été très violent pour tous les salariés, mais là comme ailleurs, les femmes ont trinqué davantage. D'abord parce qu'elles ont dû cumuler travail à la maison, responsabilité des enfants (suivi scolaire, etc.), tâches domestiques exacerbées en raison de la fermeture des écoles — pas de cantine ou plus de femme de ménage pour ceux qui en avaient les moyens.

Ça a été une véritable explosion du temps contraint, notamment pour les mères de famille (voir enquêtes INED et UGICT CGT). Dans tous les cas de figure, ce sont les femmes qui ont été les plus nombreuses à télétravailler tout en s'occupant de leurs enfants (48 % de femmes contre 37 % des hommes). Dans l'enquête UGICT, 43 % des femmes ont déclaré avoir fait plus 4 heures de travail domestique par jour contre 26 % des hommes.

Enfin, l'enquête INED a montré qu'en moyenne 25 % des femmes télétravaillent dans une pièce dédiée où elles peuvent s'isoler, contre 41 % des hommes : la plupart du temps, elles doivent partager leur espace de travail avec leurs enfants ou d'autres membres du ménage. D'où une forte augmentation des TMS, de l'anxiété, du stress et même des situations de détresse. De surcroît, les violences conjugales ont explosé.

 

Ces inégalités constituent un sujet majeur. C'était un enjeu avant la crise, ça l'est d'autant plus aujourd'hui. Rachel Silvera

 

Quelles conséquences pour les premiers de corvée, ceux qui se sont révélés indispensables à la continuité économique et sociale, alors que des négociations sur leurs salaires sont en cours ?

Les « premiers » de corvée sont infirmières, aides-soignantes, aides à domicile, agentes d'entretien, caissières, enseignantes, exerçant des professions structurellement dévalorisées où il y a entre 70 et 80 % de femmes. Il n'y a pas que cette crise qui révèle cela.

À savoir qu'on suppose que ce sont des activités naturelles des femmes, que ce n'est qu'une prolongation de ce qu'elles font déjà chez elles. Comme si ces professions n'exigeaient pas de vraies qualifications en termes de diplômes, de technicité, de responsabilité et de charge physique ou nerveuse. Systématiquement, on brade les diplômes, l'État étant pleinement partie prenante de cette conception puisqu'un grand nombre de diplômes d'État sont de fait considérés comme des diplômes « au rabais ».

Il aura fallu attendre 2010 pour que le diplôme d'infirmière soit reconnu Bac+3 ; mais on en a profité pour leur ôter la reconnaissance de la pénibilité qui leur permettait de partir en retraite 5 ans plus tôt, ce qui est scandaleux. Ces inégalités constituent un sujet majeur. C'était un enjeu avant la crise, ça l'est d'autant plus aujourd'hui. La solution passe par des négociations dans ces branches professionnelles, le commerce, l'aide à domicile, le nettoyage…

Le souci c'est que, bien souvent, on se heurte au fait que ce sont des emplois individuels très isolés. C'est donc l'enjeu syndical de demain : comment les regrouper, les structurer, quand l'employeur est une personne en perte d'autonomie comme dans l'aide à domicile (où il y a quatre conventions collectives). L'exemple serait celui de l'industrie, où les ouvriers ont connu des conquêtes sociales et une certaine reconnaissance, grâce à la création d'un rapport de force.

C'est tout l'intérêt du 8 mars, une journée largement dédiée aux luttes des femmes et aux revendications des premières de corvées, une journée de mobilisation à laquelle appellent 3 organisations syndicales et 39 associations féministes. Plus que jamais, cette année, cette journée est essentielle. Des applaudissements, ça ne suffit pas.

Mi-février sortait « Genre au travail, recherches féministes et luttes de femmes », un livre que vous avez coordonné avec Nathalie Lapeyre, Jacqueline Laufer, Séverine Lemière, Sophie Pochic. Pourquoi ce livre ?

Parce qu'on ne voulait pas que le travail du réseau de recherche Mage (marché du travail et genre) reste dans des bouquins pour spécialistes. Nous voulions nous adresser au plus grand nombre possible de femmes, de salariées, étudiantes, etc. L'idée, c'était de proposer ce dialogue entre des recherches d'un côté et des témoignages d'actrices, de femmes syndicalistes, des femmes appartenant à des associations féministes.

Une des prouesses est d'avoir été plus de quarante intervenantes à participer, aussi bien des jeunes thésardes que de vieilles professeures émérites. La diversité vient aussi d'une large représentation syndicale — CGT, FSU, CFE-CGC, CFDT, FSU, Solidaires — et également associative — avec des associations féministes bien connues comme le CNDF (collectif national pour le droit des femmes), d'autres, plus récentes, comme Osez le féminisme et aussi de plus petites associations qui travaillent en ligne, etc.

Pour rendre cet ouvrage vraiment accessible, nous avons alterné entre des articles de recherche courts et des entretiens avec des actrices sociales ; nous espérons que les uns et les autres pourront servir à éclairer ces problématiques et faire avancer l'égalité femmes hommes.

Vidéo – 8 mars : Grève féministe et manifestations des « premières de corvées » de la crise

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