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ÉLECTIONS

Espagne : l’exigence anti-austérité

18 juin 2015 | Mise à jour le 7 mars 2017
Par | Photo(s) : Quique Garcia/AFP
Espagne : l’exigence anti-austérité

Les récentes élections municipales et régionales espagnoles ont montré une forte poussée des listes portées par des Indignés dans des villes comme Madrid et Barcelone. Quelles en seront les perspectives sociales et syndicales?

Entretien avec Christian Dufour, sociologue

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Comment analysez-vous les résultats des récentes élections espagnoles ? Est-ce un vote anti-austérité ?

Christian Dufour. Ce vote, pour des élections locales et régionales, n'était pas un référendum. Les partis de gouvernement classiques restent en tête. En outre, l'austérité n'est pas un «objet», c'est une politique, avec des partisans qui la mettent en œuvre. Dans ce sens, une opposition significative s'est manifestée pour désavouer les tenants de cette politique. Elle pèse dans les urnes et bénéficie d'une dynamique avec une efficacité dans le champ social. Elle prend le pouvoir dans des municipalités symboliques, Madrid et Barcelone en particulier. Son émergence suscite l'espoir, mais il faut se garder d'en surestimer l'ampleur actuelle.

 

Dans quel contexte social et économique ces changements interviennent-ils ?

Christian Dufour. Les effets des politiques menées depuis 2008 par les gouvernements successifs et leurs soutiens sont lourds: chômage, paupérisation, démontage du système social collectif, privatisations, etc. L'illusion d'être le «bon élève européen» s'est effondrée, avec les mirages des spéculations, immobilières en particulier. La société est insécurisée, la jeunesse émigre avec ses compétences toutes neuves. Les changements politiques récents suivent des mouvements partiels, jugés parfois sans lendemain, autour des «Indignés». Les résultats électoraux montrent qu'une solution politique est possible, qui ne se limite pas à de la protestation. Ce processus, en évolution, est fragile mais il existe.

 

Au vu des pressions subies par la Grèce, y a-t-il de réelles possibilités d'alternative à l'austérité en Espagne ?

Christian Dufour. Parce que l'austérité est un acte politique, la réponse est politique, sans en ignorer les conditions économiques, financières, etc. En ce sens, il y a une alternative pour la Grèce, l'Espagne… Mais cela supposerait que l'ensemble social dans lequel elles s'inscrivent, essentiellement l'Europe, se mobilise contre cette politique. L'illusion de «l'anti-austérité dans un seul pays» ne tiendra pas. La danse du ventre de la Troïka et de ses tenants autour de la Grèce le montre. Sans mobilisation externe à ces pays, en lien, bien sûr, avec la mobilisation interne, l'issue risque d'être fatale. Les partisans de la politique actuelle sont prêts à payer le prix d'un exemple contre les déviants, Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances allemand, en est l'interprète.

 

Quelle est la place du mouvement syndical dans ce contexte ?

Christian Dufour. Le mouvement syndical espagnol souffre – comme les autres, mais peut-être un peu plus – d'une perte d'audience auprès des salariés. Il peine à sortir de la politique d'institutionnalisation dans laquelle l’a installé le pacte de la Moncloa (octobre 1977), nécessaire pour aller vers la transition démocratique. Il semble également connaître des difficultés pour assumer sa forte attente à l'égard de l'Europe, qui a servi à ancrer le pays dans la transition. Aujourd'hui, le syndicalisme se trouve face à une forme de mobilisation et de militantisme qui n'entre pas aisément dans ses formats d'action ni dans ses traditions. Or, il va falloir remplacer la génération de l'après-franquisme et s'adapter à un pays durement touché par la dérégulation sociale…

 

Comment s'organise le mouvement social et, en son sein, le mouvement syndical ?

Christian Dufour. C'est la grande inconnue. Le mouvement actuel est passé de regroupements locaux et spontanés à une reconnaissance médiatique (grâce à des leaders d'opinion) puis à un début de reconnaissance électorale. L'objectif est de conquérir des sièges de députés fin 2015. Le mouvement social est donc en plein maelström, avec les possibilités et les risques que cela implique. Le syndicalisme ne se trouve pas au cœur de ce tourbillon, ce qui est à la fois un inconvénient et un avantage. Il a son propre agenda de transformation sociale à mettre en œuvre, essentiellement en renforçant son implantation dans les entreprises. Ce serait une vraie chance de conjuguer cette transformation interne avec un rapprochement du mouvement social.
(*) Christian Dufour est sociologue, rattaché au Centre de recherches inter-universitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT, Montréal) et ancien directeur adjoint de l’IRES.