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CINÉMA

Faire société

6 avril 2017 | Mise à jour le 6 avril 2017
Par | Photo(s) : Fidelio pour Le Cercle noir
Faire société

En total néophyte, Jean-Stéphane Bron, brillant documentariste suisse, filme l’Opéra Bastille le temps d’une saison. Excellence et lyrisme côté scène ; côté cour, tensions et agitation. Un portrait en forme de société. Passionnant et politique.
170405_L'opera AfficheL’Opéra, de Jean-Stéphane Bron.
1 h 50. Sortie nationale : 5 avril.

D’autres s’y étaient déjà collés, et pas des moindres. Sur le registre du documentaire consacré à l’Opéra de Paris, La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris, de Frederick Wiseman, s’attachait exclusivement – principalement à Garnier – à sa production chorégraphique. Alors, qu’attendre d’un documentaire sur cette institution culturelle française réalisé par un jeune cinéaste suisse qui n’avait même jamais assisté auparavant à aucune représentation d'aucun opéra ?

La question aurait pu se poser s’il ne s’était agi d’un des documentaristes les plus passionnants de sa génération. Jean-Stéphane Bron a commencé par frapper un grand coup, en 2003, avec Le génie helvétique, documentaire en forme de thriller qui se déroulait devant les portes closes d’une commission parlementaire devant autoriser (ou non) la culture des OGM. Ce fut ensuite son incroyable fausse reconstitution du procès Cleveland contre Wall Street qui marqua les esprits, en 2010, alors que la crise financière provoquée par les banques mettait à mort des villes entières.

 

Enfin, en 2013, L’expérience Blocher glaçait les regards en tant que portrait subtil et intime du leader d’extrême droite suisse Christoph Blocher, qui s'attelait du reste à vampiriser le film. À chaque fois, un dénominateur commun : la démocratie en train de se faire, mais la démocratie en train de céder sous le joug de la puissance industrielle, de la domination financière, des viscérales poussées nationalistes.

À chaque fois, une même démarche aussi : se glisser derrière la vitrine pour apercevoir les jeux de pouvoir et les forces en mouvement.

Et puis, ce L’Opéra. Filmée dans son contexte et à un moment stratégique : en 2015, alors qu’arrive un nouveau directeur, Stéphane Lissner, que s’en va un directeur artistique, Benjamin Millepied, que débute un jeune baryton-basse, Mikhail Timoshenko, mais aussi et surtout à l’heure des attentats perpétrés au Bataclan et des grandes mobilisations sociales contre la loi « travail » qui venaient fouler les premières marches du « château », place de la Bastille.

 

Filmée de l’intérieur : des répétitions intenses des danseurs et chanteurs jusqu’aux préparations des mises en scène avec les choristes en passant par les réunions de direction visant à accueillir le président de la République ou à décider des tarifs des spectacles. Tout y est. Y compris des séquences quasi comiques sur les craintes de la troupe face à la présence sur scène d’un énorme taureau pour le Moïse et Aaron d'Arnold Schönberg.

Des séquences aussi violentes que l’effondrement de cette danseuse au souffle coupé par l’effort fourni sur scène. Des séquences aussi stimulantes que celles du programme des « Petits violons » composé des 25 élèves de banlieue en apprentissage de plusieurs instruments.

Jean-Stéphane Bron filme une société de classes avec ses grandes étoiles et ses petites mains, mais une société qui fait corps chaque soir pour que le spectacle ait lieu. Comme si malgré l’utopie et la fragilité de l’entreprise collective, la démocratie, ça pouvait marcher.