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DROITS DES FEMMES

Femmes tunisiennes : des droits récents mais des blocages

18 mai 2017 | Mise à jour le 30 mai 2017
Par | Photo(s) : Bapoushoo
Femmes tunisiennes : des droits récents mais des blocages

La rencontre du 27 avril entre l'Urif-CGT et l'URTT, l'union régionale de Tunis du syndicat UGTT, a permis d'évoquer la situation des femmes dans la société tunisienne. Retour sur les combats syndicaux pour l'émancipation des femmes, condition du progrès social et économique de toutes les sociétés.

Tunisie post-révolution : les femmes, leurs droits, leurs conditions d'émancipation comme prérequis indispensable à l'émancipation de toute la société. Cette ambition progressiste, bien engagée depuis la révolution de 2011, a connu des avancées significatives durant toute la période de transition démocratique. Les femmes y ont joué un rôle majeur, notamment en refusant catégoriquement d'être constitutionnellement considérées comme le « complément de l'homme », proposition portée avec force pressions par le parti islamo-conservateur Ennahdha.

Par leur détermination et leurs luttes contre ces pressions régressives, les femmes tunisiennes, militantes de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) comme d'autres organisations de la société civile, ont ainsi arraché deux avancées majeures : l'article 21 de la nouvelle Constitution de 2014, qui consacre l'égalité des droits et des devoirs entre femmes et hommes, et l'article 46 qui impose aux institutions d'œuvrer à la protection des droits des femmes et de garantir l'égalité des chances. Un texte très progressiste au regard des autres pays de la région. Seulement voilà : dans la société tunisienne, ce préalable constitutionnel tarde à se traduire concrètement dans les faits.

Les femmes sont les plus touchées par la précarité

« Malgré cet arsenal législatif très important, la situation des femmes actives reste insatisfaisante », annonce d'emblée Sihem Boussetta Jouini, de l'URTT. Quelques chiffres pour s'en convaincre : les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes par le chômage qui atteint des niveaux alarmants, 30 % chez les jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, par exemple. Seules 34,5 % des femmes bénéficient d'une couverture sociale et seules 50 % d'une assurance-maladie. Plus grave encore, la situation des femmes en milieu rural où seules 11 % disposent d'une couverture sociale : on mesure bien l'ampleur de la fracture qui s'est créée entre milieux urbains et régions rurales.

À ces inégalités sociales s'ajoutent de nouvelles difficultés, effets collatéraux de la grave crise économique et monétaire – le dinar est en chute libre – qui menace le pays de tous les dangers. Au point que la situation devient dramatique dans les secteurs d'activité informelle, premiers pourvoyeurs d'emplois pour les femmes. « Face à ce constat et sachant que la situation faite aux femmes est l'indice le plus parlant du niveau de progrès d'une société, l'UGTT s'est fixé pour priorité de lutter contre toutes les formes de discrimination et d'exclusion », assure Sihem Boussetta Jouini, cela, aussi bien sur le lieu de travail que sur les lieux de combat syndical.

Un congrès révolutionnaire

C'est dans le droit fil de cette orientation que des avancées notables ont été entérinées par le 23e congrès de l'UGTT. Il se tenait en janvier 2017 sous le slogan « Loyauté à la Tunisie, fidélité aux martyrs et engagement pour les travailleurs » et a consacré soixante-dix années de lutte des femmes pour une meilleure représentation au sein des instances dirigeantes du syndicat. Ainsi, trois femmes ont été désignées, respectivement au bureau exécutif, au comité du règlement intérieur et au sein de l'instance de contrôle financier et administratif.

Autre décision significative de ce congrès : l'instauration du principe des quotas qui impose la présence de deux femmes au moins dans chaque structure du syndicat. Ce principe n'entrera en vigueur qu'à partir du prochain congrès, mais le processus de transformation du fonctionnement de l'UGTT engagé en faveur des femmes est, lui, d'ores et déjà lancé. Il nourrit d'ailleurs la réflexion et les débats au sein de l'organisation syndicale comme de la société civile que l'UGTT continue, par ses actions et campagnes, de sensibiliser à cette question prioritaire de l'égalité entre femmes et hommes. « Nous travaillons actuellement avec la société civile à un projet de loi globale contre les violences faites aux femmes, pour l'interdiction de l'inceste, contre le viol et pour l'égalité des salaires. Il s'agit à présent de faire pression pour que ce projet de loi soit adopté », explique ainsi Sihem Boussetta Jouini.

Des réformes en jachère

Mais le contexte actuel de grande précarité économique rend plus difficile de donner la priorité à l'égalité. D'autant que, depuis la révolution et la transition démocratique, bien d'autres projets de loi pourtant indispensables au redressement du pays ont été laissés en jachère, faute de volonté politique. C'est le cas d'un projet phare sur l'économie sociale et solidaire porté par l'UGTT, toujours pas débattu au Parlement. C'est aussi le cas du principe de dialogue social tripartite (État, syndicats de salariés et syndicats patronaux), inscrit dans la Constitution de 2014, qui demeure inapplicable faute de traduction juridique. « Ces projets pourraient vraiment résoudre beaucoup de problèmes, mais la majorité parlementaire, de droite, n'est pas intéressée, alors nous continuons de mobiliser la société civile pour exercer un maximum de pression », expose Ahmed Groun.

Une part grandissante de la population considère que les slogans de la révolution ont donc été trahis. À l'enthousiasme des premières conquêtes en matière de droits humains, de démocratie et de droits des travailleurs, s'est aujourd'hui substitué un sentiment de désillusion qui menace d'évoluer en colère sociale.

Ce 27 avril, tandis que la délégation de l'URTT rencontrait l'Urif-CGT à Paris, des manifestations éclataient dans le sud du pays pour réclamer des augmentations de salaires, des emplois dignes et la mise en œuvre, urgente, des réformes de la transition démocratique. Au même moment, la fédération patronale UTICA appelait l'UGTT à « faire preuve de compréhension à l'égard des entreprises qui, en difficulté, ne sont pas en mesure d'honorer, pour le moment, leurs engagements d'augmentations salariales ».

Priorité aux droits des femmes

« Nous vivons un moment très difficile de crise économique, aggravée par le glissement du dinar qui impacte toute l'activité, avec une montée en flèche du travail précaire, en particulier dans l'économie informelle où le maillon faible, c'est toujours les femmes, comme dans le secteur du tourisme qui était pourtant le premier pourvoyeur d'emplois féminins. Sans compter les tentatives de certains, à l'instar d'Ennahdha, de profiter de l'immobilisme de l'État pour “revenir en arrière” sur les conquêtes de la révolution », explique Sihem Boussetta Jouini.

Si l'UGTT a pu, jusqu'ici, jouer son rôle d'organisateur et de canalisateur de la colère sociale, elle redoute désormais d'être vite débordée par la recrudescence des mouvements sociaux. La question des droits des femmes, de leurs aspirations à l'autonomie, n'en demeurera pas moins une priorité pour l'UGTT : « Nous allons intensifier nos efforts pour gagner l'égalité des droits, la reconnaissance des femmes en tant qu'agents sociaux et économiques, et poursuivrons notre combat contre toutes les formes de discrimination, tous les clichés et stéréotypes, la précarité dans le travail et toutes les violences faites aux femmes », concluait Sihem Boussetta Jouini.

Droits des femmes : un enjeu majeur pour toute la CGT Échanger sur les droits des femmes en Tunisie, mais aussi confronter les situations dans chaque pays, tels étaient les objectifs de la rencontre organisée par l'Urif-CGT le 27 avril. « Nous voulons mieux ancrer la question de l'égalité professionnelle pour qu'elle soit défendue dans les entreprises et dans les négociations », a indiqué Camille Montuelle (secrétaire de l'Urif-CGT) en ouverture de la table ronde du 27 avril. « La question des droits des femmes dans les rapports de domination fait désormais partie de nos statuts et de tous nos congrès. Elle fait aussi l'objet d'une charte pour l'égalité entre femmes et hommes, à laquelle chacune de nos organisations peut adhérer afin de concrétiser cet enjeu au sein de la CGT ». Comme à l'entreprise.

Lutter contre les inégalités: c'est l'affaire de tous
Car de fait, les inégalités demeurent, en particulier dans le monde du travail, malgré les nombreuses luttes engagées par la CGT. En Île-de-France, où la moitié du salariat est féminin, la question des inégalités entre femmes et hommes est même prégnante. Elle se pose avant tout en termes de salaires et de précarité dans les secteurs et métiers sous-­rémunérés car dévalorisés, qui sont les principaux pourvoyeurs d'emplois féminins. Mais elle se pose aussi, et de plus en plus, au sein des catégories « cadres » où les femmes restent discriminées en termes de rémunération et de possibilités de carrière. D'où la nécessité d'avoir des revendications à l'entreprise, l'objectif étant d'aider les militants à porter cette revendication de l'égalité professionnelle dans les négociations d'entreprise. Idem s'agissant de la question des violences sexuelles et sexistes faites aux femmes dans le milieu professionnel, « un long combat que nous menons aussi, en parallèle, au sein de la CGT, avec les outils dont nous nous sommes dotés pour que l'égalité professionnelle, la lutte contre les violences et le sexisme soient l'affaire de tous nos militants, et pas seulement des femmes ».