25 octobre 2019 | Mise à jour le 25 octobre 2019
La baisse globale des accidents du travail, qui concernent encore au moins 600 000 personnes par an, masque une hausse de ceux qui touchent les femmes et passe sous silence nombre de ceux non recensés par l'Assurance Maladie, selon des acteurs du secteur de la santé au travail et les dernières données disponibles.
Dans son dernier bilan (2017), la Caisse nationale d'Assurance Maladie (Cnam), qui ne comptabilise que les salariés du privé, parle de 530 salariés morts sur leur lieu de travail sans compter les 264 cas de morts sur leur trajet au travail ou les cas de suicides, soit plus de 10 personnes chaque semaine en France, un chiffre « stable ».
Avec une baisse quasi continue depuis 20 ans, le BTP reste le secteur le plus accidentogène, mais les accidents reconnus y sont en baisse de 29 % depuis 10 ans, alors que dans les secteurs de l'aide à domicile, les Ehpad, l'intérim et les soins à la personne (activités assurées à plus de 97 % par des femmes), ils ont augmenté de 45 % sur la même période, selon la Cnam.
« On n'est plus à l'époque de Zola, mais les moyennes écrasent tout et il faut toujours s'en méfier », explique à l'AFP Pascale Mercieca, chargée de mission à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et spécialiste de la prévention.
Femmes
« Quand on y regarde de plus près, il y a une grande différence entre les hommes et les femmes et il est capital d'en tenir compte si on veut mettre en place des politiques de prévention efficaces », souligne-t-elle.
En s'appuyant sur les données de la Cnam de 2001 à 2016, l'Anact a constaté que la baisse globale des accidents du travail (- 15,1 %, de 737 499 à 626.227) « masque » une hausse de ceux qui concernent les femmes, notamment leurs accidents de trajet : sur cette période, les accidents du travail déclarés et reconnus ont augmenté de 30,5 % pour les femmes et baissé de 29 % pour les hommes, même s'ils restent « deux fois moins élevés chez les femmes ».
« Certains secteurs d'activité sont en pleine expansion comme celui des services à la personne où les salariés, très majoritairement des femmes, enchaînent les missions sur des temps courts avec le risque de dommages corporels et avec des méthodes de prévention mal adaptées », explique Mme Mercieca.
Ubérisation
Elle s'inquiète aussi pour les nombreux travailleurs indépendants ou ceux des plateformes numériques (estimés à 200 000 selon les études), qui « gagnent leur vie en dehors de l'entreprise et échappent à ses cadres » comme aux statistiques officielles.
Il n'existe d'ailleurs aucun bilan global des accidents du travail pour l'ensemble de la population française active, nombre de professions relevant de régimes de protection sociale spécifiques, notamment les 1,4 million d'actifs agricoles, les 3 millions d'indépendants (artisans, commerçants, professions libérales) ou les 5,5 millions de fonctionnaires, non pris en compte dans le bilan de l'Assurance Maladie, sans parler des travailleurs non cotisants, non déclarés ou détachés.
Des millions de travailleurs dans l'angle mort des chiffres
Ils seraient ainsi « 10 millions » à se trouver « dans l'angle mort du recensement », selon Matthieu Lépine, professeur d'histoire francilien qui a entrepris un décompte systématique des accidents graves et mortels sur Twitter (@DuAccident) afin d'alerter sur le phénomène et de rendre justice aux victimes.
« Quand un livreur de Uber Eats est tué sur la route, je considère que c'est un accident du travail, même si juridiquement, c'est un accident de la route », souligne-t-il, en insistant sur les « risques » liés aux nouvelles formes de travail, caractérisées par « l'ubérisation et la précarité ».
Depuis janvier, 700 accidents graves
Entre janvier et mi-octobre, il a comptabilisé plus de 700 accidents graves dont 322 mortels, grâce à une observation attentive de la presse en ligne, de la presse quotidienne régionale et à des signalements directs. Premiers secteurs touchés, selon lui : le BTP, le monde agricole, les transports et la logistique, l'industrie, « des hommes, très majoritairement ».
Et un « bilan limité », regrette-t-il, en évoquant des infirmières ou des aide-soignantes, aux épaules, bras et poignets malmenés par des années de travail, « isolées » et dont les histoires sont « nettement moins médiatisées ». Interrogé à plusieurs reprises par l'AFP, le ministère du Travail s'est refusé à tout commentaire.