5 septembre 2018 | Mise à jour le 6 septembre 2018
Nous sommes dans l'âge de la surveillance et de son corollaire, la réduction de la liberté d'expression. Dans son documentaire Free Speech, le jeune Tarquin Ramsay questionne les lanceurs d'alerte et interpelle sur la remise en question de ce droit fondamental.
En sacrifiant la liberté d'expression pour une hypothétique sécurité, on risque fort de perdre l'un et l'autre. Cette paraphrase d'une déclaration de Benjamin Franklin pourrait tout à fait résumer les interrogations que Tarquin Ramsay, tout jeune réalisateur britannique de Free Speech, porte depuis l'âge de quinze ans. Après un pari avec son père qui le met au défi de réaliser un film sur le sens de la liberté d'expression, Tarquin Ramsay va d'abord commencer par questionner les élèves de sa classe, tenter des micros-trottoirs. Ayant atteint les limites de ces procédés, il va ensuite entamer cinq années de périple cinématographique dont Free speech est l'aboutissement. Tout naturellement, il va se tourner vers les lanceurs d'alerte, les journalistes, les hackers et activistes de mouvements de protection des droits de l'homme à l'ère numérique.
Avec le culot du novice, il va ainsi rencontrer notamment John Kiriakou, ex-analyste de la CIA – poursuivi pour avoir révélé l'usage de la torture pendant les guerres en Afghanistan et en Irak sous le gouvernement de G.W. Bush – , Jérémie Zimmermann – cofondateur de la Quadrature du Net –, Jacob Appelbaum – militant du logiciel libre et hacker du projet Tor – , Andy Müller-Maguhn – porte-parole de l'organisation berlinoise de hackers Chaos Computer Club –, Rop Gonggrijp – hacker néerlandais et l’un des fondateurs du fournisseur d’accès internet XS4ALL –, sans oublier le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, interviewé dans l'ambassade équatorienne où il est reclus depuis 2012.
Ce dernier insiste sur la notion de la « liberté de communiquer », pierre angulaire de toute société et condition sine qua non qui garantit la possibilité d'exercer les autres libertés publiques. Sans liberté de communiquer et de s'exprimer librement, pas de liberté d'association, de liberté de manifester, de liberté syndicale, de liberté de la presse, etc.
Capitalisme de surveillance
Communiquer avec l'autre, nous dit ce film, c'est aussi lutter contre la politique du « faire peur » et son attirail de mesures liberticides sans précédent, notamment en Europe. Le prétexte du terrorisme, aboutissant à restreindre les libertés des sociétés qui en sont victimes et à encadrer leur mode de vie n'est pas la moindre des ambiguïtés, puisque supprimer ces libertés et ces modes de vie est précisément le but proclamé de nombre des organisations terroristes ! Cette liberté de communiquer et d'exprimer son opinion n'est-elle pas la première mise sous l'éteignoir par toutes les politiques autoritaires ?
Dans l'un de ses films, Michael Moore montrait combien lucrative était cette politique du « faire peur » – notamment pour le marché des armes aux États-Unis – politique qui enferme toute une société dans un cercle vicieux dont les plus pauvres sont les premières victimes. Mais le contexte ainsi créé ouvre un boulevard aux sociétés de surveillance et autres entreprises de cryptage parfois très opaques, véritables « marchands d'armes numériques ».
On peut reprocher des maladresses à Free Speech : la voix off atone, le manque de pistes concrètes sur la manière de résister aux lois sécuritaires et aux politiques liberticides. Il n'en demeure pas moins que ce film participe à la prise de conscience, même si l'on se doute que sa diffusion peinera à atteindre le public qui en aurait le plus besoin.
Free Speech, réalisé par Tarquin Ramsay. 1 h 19