8 juillet 2017 | Mise à jour le 9 juillet 2017
Par
Dee Brooks
| Photo(s) : Clement Mahoudeau / IP3
« Parce que la dignité humaine est la loi qui valide toutes les autres, elle ne se soumet à aucune d'elles ». La plume acérée de Fatou Diome dans Le bleu de la Roya, l'un des textes du brillant recueil Ce qu'ils font est juste, fait écho au livre de Klaus Vogel, fondateur de SOS Méditerranée.
Hasard du calendrier,Tous sont vivants, témoignage de Klaus Vogel recueilli avec brio par Valérie Peronnet et Ce qu'ils font est juste, ouvrage collectif où 26 auteurs « mettent la solidarité et l'hospitalité à l'honneur », sont parus en même temps.
Si le premier nous raconte comment un capitaine de la marine marchande allemande démissionne et passe à l'action, car il ne supporte plus sans rien faire que des milliers de migrants se noient dans les eaux de Méditerranée, le second pointe avec talent une époque où la loi dispose que «toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France » encourt jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. »
Après le délit de sale gueule, le délit de solidarité ? Comment peut-on même, dans un pays dont la devise est « Liberté, Egalité, Fraternité », ne serait-ce que penser à accoler ces deux termes : délit et solidarité ?
Au mépris de toute l'histoire de l'humanité -pétrie de migrations, de mélange de populations- sont aujourd'hui ciblés ceux que l'on désigne comme « étranges étrangers » et stigmatisés ceux qui ne font que leur tendre une main secourable.
Délinquant, celui qui aide son prochain ? Que prônent toutes les religions ? Qu'est-il écrit au fronton de nos mairies ? Quelles valeurs défendons-nous ?
Quel pays n'a pas été constitué de vagues de migrations successives au gré des péripéties de l'histoire, du climat ? L'Autre ne gagne-t-il pas à être connu plutôt que chassé et les ponts ne sont-ils pas des ouvrages plus dignes que les murs et les barbelés ?
« Où va l'humain, quand la solidarité mène au tribunal ? La non-assistance à personne en danger, normalement punie par la loi, est-elle devenue la nouvelle vertu encouragée par le législateur ? »
L'humour, la poésie, la fantaisie débridée, la littérature de la plus belle eau (remarquable Fatou Diome) et le dessin d'Enki Bilal rappellent la dignité de l'esprit de résistance et l'obscénité de l'égoïsme et de l'indifférence. Les plumes qui se sont mises au service de cette cause sont souvent célèbres, toujours fraternelles, talentueuses et conscientes de l'importance de la réflexion d'Albert Einstein : « Ne fais jamais rien contre ta conscience, même si l’Etat te le demande. »
Heureusement, tous les « désobéissants » suivent la sage maxime du mathématicien, et pas seulement sur les flots de Méditerranée… Parmi eux, Klaus Vogel qui relate dans Tous sont vivants comment, en 2014, l'Italie mettait un terme à l'opération Mare Nostrum portant secours aux migrants en Méditerranée. Quittant alors une situation très confortable dans la marine marchande, le capitaine allemand se bat pour affréter un premier navire et créer l'association européenne SOS Méditerranée.
Ce parcours individuel qui va rencontrer les ravages collectifs de migrations poussées par la misère, les conflits, Valérie Péronnet l'a recueilli avec sensibilité. Klaus Vogel y raconte un chemin lié à l'histoire de son pays, de sa famille, à tout ce qui l'a fait ce qu'il est : un homme qui un jour se lève et dit « Non ».
A l'heure où l'Italie menace de fermer ses ports, étouffée par l'égoïsme européen, ce « Non » résonne de plus en plus fort. Un refus qui s'est matérialisé, à l'heure de la parution du livre, par dix-huit mille vies sauvées. Car, dit simplement Klaus Vogel « Il n'y a pas si longtemps, c'était nous, sur les bateaux »…