À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
ENTRETIEN

« Gaza est en proie à un génocide »

7 mai 2025 | Mise à jour le 7 mai 2025
Par | Photo(s) : Thierry Nectoux
« Gaza est en proie à un génocide »

Paris, le 11 avril 2025. Hala Abou Hassira, ambassadrice de Palestine en France,
reçoit la Vie Ouvrière-Ensemble.

Alors que Benyamin Nétanyahou intensifie toujours plus les bombardements sur Gaza, et affirme préparer « la conquête » de l'enclave, la France annonce qu'elle va reconnaître l'État de Palestine. Une conférence de l'ONU réunira en juin la communauté internationale pour tenter d'arrêter le conflit, l'occupation et la colonisation. Un espoir pour Hala Abou Hassira, l'ambassadrice de Palestine en France. 

Après dix-neuf mois d'une guerre dévastatrice à Gaza, un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas (le mouvement islamiste palestinien) était en place depuis le 19 janvier. Mais celui-ci a été violé le 18 mars par l'armée israélienne et des frappes d'une ampleur sans précédent ont repris. Quel est votre bilan de la situation actuelle ?

Depuis le 7 octobre dernier, Israël mène un génocide à Gaza, qu'il occupe depuis cinquante-sept ans, visant à anéantir la survie de ses 2,3 millions d'habitants, obligés de se déplacer dans Gaza en permanence. Le bilan humain dépasse 51 000 Palestiniens tués, dont 17 000 enfants et 6 000 femmes, laissant 20 000 orphelins et 1 500 enfants amputés sans anesthésie, avec 10 000 disparus et 120 000 blessés livrés aux bombardements des centres médicaux et à l'interdiction totale, par Israël, de l'entrée des médicaments. Cette destruction sans précédent a rasé plus de 90 % de Gaza, ciblant hôpitaux, écoles et universités. Israël a assassiné plus de 1 000 médecins et 230 journalistes palestiniens depuis octobre 2023, ainsi que des humanitaires, comme les quatorze secouristes du Croissant-Rouge, prétendument terroristes. Ces actions visent à déshumaniser les Palestiniens, comme le prouve un rapport de l'ONU sur un corpus de trente-six frappes effectuées entre le 18 mars et le 9 avril, n'ayant ciblé – et tué – que des femmes et des enfants. Israël impose un blocus total depuis mars, privant 90 % des Gazaouis d'eau potable et utilisant la famine comme arme de guerre, ce qui est illégal selon le droit international humanitaire. Bezalel Smotrich, le ministre des Finances israélien, est allé jusqu'à annoncer qu'il ne laisserait pas entrer de farine dans la bande de Gaza.

Qu'en est-il de l'évolution de la colonisation israélienne en territoire palestinien ?

Bien que l'attention soit centrée sur Gaza, la situation en Cisjordanie est alarmante, avec une extension progressive du génocide. Israël a détruit Jénine et son camp de réfugiés, Tulkarm et ses camps, ainsi que Naplouse et les zones environnantes. Les « ordres d'évacuation » à Gaza étaient des expulsions, avec plus de 50 000 personnes sans espoir de retour en raison de la destruction massive d'infrastructures et d'hôpitaux. L'objectif de l'alliance entre le Premier ministre Netanyahu, le ministre de la Sécurité nationale Ben-Gvir et Smotrich est un projet colonial d'expropriation, d'expulsion et d'annexion. Il est crucial de reconnaître les crimes de guerre israéliens, de suivre l'avis de la Cour internationale de justice (CIJ) sur l'illégalité de l'occupation, et d'y mettre fin. La colonisation en Cisjordanie, avec plus de 700 000 colons, isole Jérusalem et fragmente le territoire palestinien. Le nombre de check-points a doublé, à plus de 950, limitant la liberté de mouvement. Emprunter la route est devenu un risque mortel notamment depuis que Ben-Gvir a fait distribuer plus de 150 000 armes aux colons israéliens, ce qui, dans les faits, leur a donné une liberté totale d'attaquer des Palestiniens qui sont déjà proches de l'anéantissement.

Que représente l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, surtout en ce qui concerne son soutien à Israël et ses propositions pour Gaza ?

C'est un feu vert pour l'annexion de la Cisjordanie et le génocide à Gaza, déjà amorcé par Biden qui, au lieu d'en suspendre la livraison, a fourni des armes pour massacrer Rafah, la prétendue « ligne rouge », et Gaza. Trump intensifie ces livraisons, rendant un cessez-le-feu urgent. Le projet « Riviera » n'est rien d'autre qu'une déportation des Palestiniens que ceux-ci rejettent : Gaza est leur terre depuis cinq mille ans et ce sont eux qui la reconstruiront.

Croyez-vous encore à une paix juste et durable à deux États ? Et avec quelles forces politiques ?

La paix était le choix stratégique des Palestiniens et de l'Organisation de libération de la Palestine, qui doit revenir gouverner Gaza avec l'Autorité palestinienne. Les accords d'Oslo reconnaissaient Israël en échange de justice pour les Palestiniens, fondée sur leur droit à l'autodétermination dans un État indépendant et souverain dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale. Si ces conditions ne sont pas réunies, la paix sera impossible. La priorité actuelle est cependant de secourir une population victime d'un génocide et d'un nettoyage ethnique.

Comment la communauté internationale peut-elle œuvrer à la protection des Palestiniens ?

Une présence des forces onusiennes est nécessaire pour protéger les Palestiniens, conformément à la Charte de l'ONU et à l'avis de la CIJ engageant la responsabilité des États. Des sanctions pacifiques et juridiques doivent être appliquées contre Israël pour ses violations du droit international, y compris des sanctions diplomatiques telles que l'arrestation de Netanyahu à la suite du mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI). Au lieu que Netanyahu soit accueilli avec générosité dans tel ou tel pays européen, il doit être arrêté. Il faut aussi geler l'accord entre l'Union européenne et Israël, de 20 milliards d'euros, tant qu'Israël ne respecte pas le droit international, et imposer un embargo sur les ventes d'armes. Les nations doivent reconnaître l'État palestinien pour préserver la solution à deux États, menacée par la colonisation, mais aussi par des lois israéliennes niant l'État palestinien et prônant la suprématie juive. Il est crucial de savoir si Israël s'engage réellement dans une solution à deux États, car l'alternative n'est autre qu'un État d'apartheid.

Que peut faire la France ?

La France, première puissance diplomatique européenne et membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, avec des liens historiques et culturels avec la région, a la légitimité pour être un acteur majeur de la paix et de la justice. Nous saluons avec force la récente déclaration du président Macron sur une possible reconnaissance de la Palestine – une reconnaissance tardive mais nécessaire. La France, qui en la personne du président Mitterrand avait présenté, en 1982, pour la première fois la solution à deux États devant la Knesset, le Parlement israélien, a le devoir de concrétiser cette vision. Ce sera l'objectif de la prochaine conférence onusienne coprésidée par la France et l'Arabie saoudite, et l'on attend de la France qu'elle reconnaisse l'État de Palestine en amont.

« C'est bien la paix effective et la fin de l'occupation qui mèneront à la normalisation des relations arabo-islamiques avec Israël. »

Emmanuel Macron parle aussi de garantir la sécurité d'Israël dans la région…

Mais c'est la paix qui garantira la sécurité pour tous ! La Palestine reconnaît Israël ; Israël doit faire de même pour l'État de Palestine. C'est bien la paix effective et la fin de l'occupation qui mèneront à la normalisation des relations arabo-islamiques avec Israël.

Avec quels acteurs palestiniens ?

L'OLP est le seul représentant légitime du peuple palestinien. Le gouvernement palestinien est prêt à prendre ses responsabilités à Gaza, avec des forces de sécurité palestiniennes qui assureront l'ordre et la gestion quotidienne du pays et, surtout, commenceront par secourir la population.

« Le plan élaboré par le gouvernement palestinien, en coopération avec l'Égypte, […] est le seul plan viable pour sauver, secourir et reconstruire Gaza avec ses habitants. »

Les dirigeants de cinq acteurs régionauxont adopté un plan pour la reconstruction de Gaza. Est-ce une réelle alternative au projet de « Riviera » de Donald Trump ?

Ce plan, élaboré par le gouvernement palestinien en coopération avec l'Égypte, a été adopté par le sommet arabe et l'Organisation de Coopération islamique (OCI). Il est soutenu par la France et a été présenté à l'ensemble des partenaires internationaux, y compris les États-Unis. Ce n'est pas une alternative : c'est le seul plan viable pour sauver, secourir et reconstruire Gaza avec ses habitants.

Comment le syndicalisme international peut-il agir en faveur de la paix ?

Le syndicalisme vise la justice. Nous saluons le soutien de la CGT aux Palestiniens, mais l'action intersyndicale, internationale et locale doit être renforcée, notamment par des initiatives communes avec les partenaires palestiniens. Actuellement, la priorité des syndicats est surtout de secourir la population. Le travail est, quant à lui, un défi majeur, avec l'interdiction d'accès à Israël pour 120 000 Palestiniens et la destruction massive d'emplois en Cisjordanie, à hauteur de 32 %, et à Gaza, à 70 %.

Que pensez-vous de la plainte déposée par l'Afrique du Sud devant la CIJ contre Israël ?

La démarche de l'Afrique du Sud, qui a connu la ségrégation et des crimes contre l'humanité, est une démarche juste. À la suite de sa plainte, la CIJ a ordonné des mesures immédiates (arrêt des opérations militaires, aide humanitaire) qu'Israël ne respecte pas. La Cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt contre Netanyahu et Gallant [ancien ministre de la Défense, NDLR] pour avoir utilisé la famine comme arme et bloqué l'aide humanitaire. En tout état de cause, la voie juridique est cruciale, et nous espérons que d'autres pays, comme le Mexique, le Brésil, la Turquie, l'Égypte et l'Espagne, rejoindront la démarche de l'Afrique du Sud.

Les manifestations en Israël contre la « réforme » judiciaire n'ont pas intégré la demande de justice pour les Palestiniens ni la fin de l'occupation.

La voie juridique vise à renforcer les institutions internationales, comme la CPI et la CIJ, d'un système multilatéral créé après la Seconde Guerre mondiale pour prévenir l'atrocité des crimes. Il est crucial de résister à l'affaiblissement de ce système, face à la paralysie du Conseil de sécurité, dont la mission est de préserver la paix et la sécurité mondiale menacées par Israël. Les manifestations en Israël contre la « réforme » judiciaire n'ont pas intégré la demande de justice pour les Palestiniens ni la fin de l'occupation. En dehors de quelques voix, les actuelles mobilisations pour les otages israéliens ne concernent pas l'arrêt du génocide.

Il est essentiel de libérer le territoire de l'État de Palestine pour permettre des élections libres et donner une voix à la jeunesse.

Netanyahu manipule les opinions israélienne et internationale en se concentrant bien davantage sur l'anéantissement du Hamas [organisation islamiste et nationaliste palestinienne], sans atteindre cet objectif, que sur la libération des otages, sa priorité étant sa survie politique. Le peuple palestinien, victime d'un génocide, réclame un cessez-le-feu et aspire à la démocratie. Depuis 2006, Israël empêche que se tiennent des élections dans les territoires occupés. Le président de l'État de Palestine, Mahmoud Abbas, souhaite organiser des élections présidentielles et législatives cette année, c'est une exigence palestinienne. Il est essentiel de libérer le territoire de l'État de Palestine pour permettre des élections libres et donner une voix à la jeunesse.

Qu'attendez-vous de la conférence internationale coprésidée par l'Arabie saoudite et la France en juin prochain à New York ?

J'espère que la France reconnaîtra l'État de Palestine et que la conférence onusienne avec 194 pays débouchera sur des outils concrets pour la solution à deux États, marquant la fin de l'occupation et de la colonisation. La communauté internationale doit faire preuve de courage pour apporter, enfin, une solution juste et sanctionner l'occupation.Cet article a été publié dans Ensemble – n° 35 / mai 2025.