10 octobre 2018 | Mise à jour le 11 octobre 2018
En conflit ouvert avec leur directrice, une vingtaine de salariés du théâtre d'Aubervilliers sont en grève depuis le 20 septembre. Ils dénoncent une gestion pathogène et demandent un audit social.
Le deuxième rassemblement de solidarité avec les grévistes organisé par le Synptac-CGT devant les portes du théâtre d'Aubervilliers, le 3 octobre, a été gratifié de la venue de Philippe Martinez en soutien aux salariés.
« Hasard ou coïncidence, on recevait dans la foulée une lettre de convocation à une réunion de négociation que nous réclamions depuis le début de la grève », se réjouit Sophie Lopez, déléguée syndicale Synptac-CGT. Une volonté de la direction d'ouvrir un dialogue social apaisé avec les représentants du personnel ? Il serait temps. En grève depuis un mois, et en souffrance au travail depuis quatre ans, ils espèrent une sortie de conflit par le haut.
Management pathogène
Dans cette crise qui couve depuis la prise de fonction de la nouvelle directrice du théâtre, Marie-José Malis, difficile de départager les origines du conflit. Côté cour, une figure artistique de sensibilité politique classée à gauche, Marie-José Malis, nommée directrice du théâtre de la Commune en 2014 à l'appui de ses honorables intentions de réinventer les missions du Centre national dramatique. Elle a, pour ce faire, carte blanche et mains libres accordées par ses deux tutelles que sont le ministère de la Culture et la maire d'Aubervilliers. Côté jardin, ses pratiques managériales qualifiées de « pathogènes » – rien de moins – par une majorité des salariés permanents, ses réorganisations incessantes des services vouées, selon eux, à évincer les « impurs » de son projet artistique.
Et ses coups bas, comme de se faire élire présidente du Syndeac – principal syndicat patronal – juste pour neutraliser la CGT, seul syndicat de salariés présent dans l'entreprise. « Nous voulions tous nous impliquer dans le projet artistique de Marie-José, mais elle nous a d'emblée considérés comme “cramés” du fait d'avoir travaillé avec d'autres artistes avant elle », témoigne Sophie Lopez.
À ce genre de déclarations s'ajoutent les pressions et répressions quotidiennes à l'endroit de salariés considérés par la directrice comme des obstacles à la réalisation de son projet. « Et de fait, en quatre ans, 12 permanents ont quitté leur poste par rupture conventionnelle », assure la syndicaliste. Forte de vingt ans d'ancienneté à l'accueil-billetterie du théâtre, elle est elle-même aujourd'hui menacée de licenciement en cas de refus des modifications de son poste : « L'idée est de recentrer mes fonctions sur la partie comptable et de me déposséder de l'accueil, qui est la partie la plus intéressante de mon travail. »
Autre cas emblématique, celui d'une salariée des relations publiques dont les problèmes de santé sont traités et suivis par la médecine du travail depuis toujours. Elle est soudainement considérée comme « persona non grata » au poste qu'elle occupe sans incident depuis quinze ans et invitée à une reconversion qui pourrait tout aussi bien aboutir au licenciement en cas de refus.
Bref, autant d'éléments qui contribuent à crisper ce conflit et à fracturer deux mondes irréconciliables : celui d'une artiste estimée, reconnue et investie par les institutions et qui considère, à tort ou à raison, le passé comme un frein. Et le monde des petites mains d'arrière-scène (régisseurs, agents d'accueil, relations publiques, communication, marketing…) qui se trouvent inexplicablement accusées d'obsolescence programmée. « Un journaliste du Monde m'a dit qu'il considérait normal de quitter son poste pour que l'artiste puisse constituer une équipe à sa main et réaliser son projet, comme si j'en étais l'obstacle. J'aimerais qu'il trouve tout aussi normal de quitter le Monde chaque fois qu'un nouveau rédacteur en chef est nommé dans une rédaction », s'agace une gréviste.
Pour une issue constructive
En réponse à une lettre de leur directrice qui dénonçait une sorte de cabale à son encontre, les grévistes ont dénoncé des pratiques de gestion « pathogènes », « un conflit âpre » et « l'anti-cégétisme » de leur direction. Quoi qu'il en soit des ressentis respectifs, les salariés ne désespèrent pas de trouver une issue constructive à ce conflit. D'où la reconduction quotidienne de la grève qui, bien qu'elle perturbe l'activité du théâtre, ne l'affecte pas au point de la paralyser. « Nous sommes là, tous les soirs, de 18 h à 20 h et nous sommes très soutenus, par la CGT du spectacle et par la CGT, par des intermittents de tous bords, par les citoyens qui ont besoin de comprendre ce qui se passe dans leur théâtre et viennent nous interroger », assure Sophie Lopez.
Malgré une fiche de paie divisée par deux du fait de la grève, le moral des troupes est plutôt bon : « Nous avons vécu une telle détresse, de telles humiliations, incompréhensions, contradictions absurdes que cette grève et toute la solidarité qu'elle fait naître nous offrent comme un exutoire », reconnait Sophie Lopez.
En réunion de négociation avec leur direction, lundi 8 octobre, les représentants des salariés vont réaffirmer leurs principales revendications, à savoir la réalisation d'un audit social – et non simplement comptable ou juridique – et la suspension des réorganisations de services en cours. Ils misent sur la continuité de la solidarité syndicale et sur l'intervention de l'inspection du travail – actuellement en pourparlers avec la direction et avec les représentants du personnel – pour rétablir certains droits bafoués par la direction. Toujours désireux de prendre toute leur part au projet artistique de Marie-José Malis, ils espèrent une sortie de conflit satisfaisante pour les deux parties.