25 décembre 2021 | Mise à jour le 3 janvier 2022
Francis Bartholomé, président du Conseil national des professions de l’automobile annonce un tsunami sur l'emploi chez les concessionnaires et demande au gouvernement d’améliorer sa prise en charge du chômage partiel. L'annonce a fait bondir José Doliget, responsable CGT des services de l'automobile.
Francis Bartholomé, président du CNPA, a déclaré qu'il y aurait 60% des concessionnaires qui prévoient des suppressions d'emplois au premier trimestre. La situation est-elle aussi grave ?
Non, c'est inexact et Francis Bartholomé force le trait pour obtenir de nouvelles aides. Il faut savoir qu'on nous a imposé au terme d'une seule cession de négociation un accord d'activité partielle (APLD) qui a été rédigé par les juristes du CNPA. Et maintenant son président dit que ça ne va pas ! On se moque de nous. Si véritablement, il y a 60% des concessionnaires qui envisagent des suppressions d'emplois, alors le rôle du CNPA est d'inciter à utiliser cet accord APLD afin d'éviter de licencier. C'est aussi de permettre de former les personnels parce que les contreparties de cet accord consistent notamment en des prises en charge importantes par l'État pour la formation. Francis Bartholomé dit que l'accord APLD ne convient pas et que l'Etat devrait verser 84% comme dans le tourisme lors du premier confinement. En réalité, le risque existant sur l'emploi n'est pas lié au manque d'approvisionnement des composants électroniques, mais à la modification structurelle qu'essaient d'imposer les constructeurs. Par ailleurs, il a fallu mettre en place très rapidement notre accord APLD. Or il y a dans la convention collective nationale des services de l'automobile, l'article 6.4 qui dit qu'en cas de force majeure réduisant l'approvisionnement en véhicules, les entreprises doivent verser une prime complémentaire aux vendeurs qui maintient leur niveau de rémunération. Ce que nous vivons est donc prévu, et les vendeurs ont donc leur salaire sécurisé. Seulement, les entreprises n'ont pas voulu trouver les solutions pour maintenir le salaire des vendeurs. Ils ont préféré sortir l'accord APLD, parce que c'est tellement plus pratique de faire financer par l'État.
On voit apparaître des ventes en ligne de véhicules. Est-ce la fin des concessionnaires ?
C'est ce qu'ils veulent imposer. Et ils profitent de la pénurie de composants pour accélérer ce nouveau modèle de distribution avec un rôle affaibli des groupes privés. Il y aurait de plus en plus de ventes directement assurées par le constructeur qui prendrait la main sur la partie marge et rémunération de la vente. Des discussions sont en cours pour avoir en 2022 la refonte du règlement d'exemption de la distribution automobile. Les constructeurs poussent très fort pour que le réseau de distribution ne soit plus constitué de concessionnaires, mais d'agents. Actuellement, les concessionnaires achètent les véhicules aux constructeurs et les revendent aux clients. Si avec le nouveau règlement européen nous devenons des agents, c'est le constructeur qui vend et verse simplement une commission. Il y a quelques mois, Carlos Tavarès déclarait à la presse que la distribution pompait 30% sur les marges véhicules et que son objectif était de réduire ce coût. Les concessionnaires ont réagi par l'intermédiaire du CNPA, mais cela n'a rien changé.
Quel est l'objectif de Francis Bartholomé avec ses déclarations sur l'emploi ?
Agnès Pannier Runacher a annoncé une enveloppe de 300 millions d'euros à destination de la filière automobile parce que les constructeurs ont pleuré sur l'approvisionnement en puces électroniques. Le CNPA voudrait s'octroyer une partie de ces 300 millions pour pouvoir effectuer la mutation de la nouvelle donne de la distribution. Ils veulent cannibaliser les aides alors que le réseau ne va pas si mal que ça. Malgré la conjoncture et la baisse de marché de 23%, le réseau de distribution Renault ne perd pas d'argent, mais en gagne quasiment à 0,5% du chiffre d'affaires, ce malgré la conjoncture et une baisse de marché de 23% par rapport à 2019. S'il y a des difficultés dans les entreprises, libre à elles d'utiliser l'accord APLD (que par ailleurs nous n'avons pas demandé). Or pour que l'APLD soit validé par l'État, il doit faire l'objet d'un rapport économique sur la situation de l'entreprise. Et si l'entreprise va bien, l'État doit refuser l'accord APLD. Dans ces conditions, déclarer que l'accord APLD n'est pas bon alors qu'on nous l'a imposé dans une forme qui ne nous convenait pas, c'est encore une fois se moquer de nous. Cela s'inscrit dans la révolution structurelle qu'ils veulent imposer au métier. Leur objectif est aussi de s'approprier une grosse partie de la valeur absolue sur la partie purement distribution des véhicules neufs. Les deux constructeurs nationaux sont sur la même stratégie de vendre beaucoup plus cher, quitte à vendre moins.
Que préconise la CGT en matière de stratégie industrielle et de fonds publics ?
Pour ce qui concerne la CGT, nous prônons la conditionnalité des aides, mais voyons comment ils les utilisent. Lorsqu'au sortir du premier confinement, Luca de Meo et Jean-Dominique Senard (dirigeants de Renault) convient Macron et Castex à Douai (59) pour présenter
le projet d'usines de batteries, ils ont obtenu des aides pour cela. Et ils ont assuré à l'exécutif que huit ou neuf modèles sortiraient du Nord à brève échéance. Or huit mois plus tard, Renault conditionne la sortie de ces huit ou neuf modèles à la signature d'un plan de compétitivité triennal. Par ailleurs, Renault négocie actuellement avec un acteur chinois le développement d'un véhicule électrique auxquels nos ingénieurs ne sont pas associés. Encore une fois, Renault prétendait auprès de l'exécutif que le véhicule électrique ce serait en France. Mais ce qui se prépare avec les véhicules dits du dernier kilomètre, c'est du 100% chinois et du réimporté. Ceci, bien sûr, pour obtenir les taux de rentabilité les plus hauts possible. Pour résumer leur stratégie, c'est moins de volume, donc moins de sous-traitants et un gain unitaire par voiture le plus élevé possible. Or si on veut une transition écologique plus rapide, il faut modérer les prix de vente quitte à revenir à des schémas plus anciens où la rentabilité sur une gamme de voitures s'obtenait au bout de trois ou quatre ans, et pas dès sa commercialisation. Ce sont ces prix abordables qui permettaient de faire du volume et donc une transition écologique plus rapide.
Pour autant, il y a un impact de la crise des composants électroniques dans cette situation…
Cette crise a un impact, mais les constructeurs choisissent les véhicules sur lesquels ils les montent. On les installe sur les véhicules les plus rentables, et pas forcément sur les véhicules qui répondent à la demande du client. Il y aura certainement du battage sur les chiffres et la baisse de marché automobile de 23% par rapport à 2019. Mais cette baisse de marché n'est pas uniquement liée au fait qu'on ne puisse pas livrer les véhicules, mais aux choix qu'opèrent les constructeurs. Or ils sont toujours dans cette stratégie de vendre moins de véhicules mais plus chers, et on assiste dans la dernière période à une flambée des prix des véhicules neufs. Ceux-ci ont augmenté en tarif, tandis que les aides qui sont allouées pour pouvoir faire des remises importantes ont fondu. Et donc sous prétexte de la crise des composants, les clients ne peuvent plus avoir de remises sur le prix des voitures. La voiture neuve est devenue un bien de luxe.
Mais tous les types de véhicules ne sont donc pas touchés de la même manière…
Oui, et on peut toujours obtenir assez rapidement les véhicules haut de gamme, soit les modèles électriques. Aujourd'hui, par exemple, il n'y a pas de problème de livraison pour les Zoé qui permettent des exonérations de taxes pollution (taxe CAFE à Renault). Par contre, les répercussions s'opèrent sur les volumes de production avec plusieurs sites en arrêt tandis que les constructeurs continuent à gagner énormément d'argent avec des marges opérationnelles très importantes. Quand les constructeurs décident de ne pas alimenter un site en puces électroniques, l'Etat paie les salaires.
Comment la CGT entend-t-elle réagir ?
Récemment, nous avons créé un groupe au niveau européen avec le syndicat IndustriAll sur les services de l'automobile et plus particulièrement sur la distribution automobile. Nous l'avons décidé pour résister aux projets européens sur la distribution automobile prévues en 2022. Actuellement la loi protège les distributeurs, mais elle a évolué dans le temps et cette protection s'amoindrit. Les groupes de pression des constructeurs d’automobile font tout pour imposer le modèle d'agents au niveau européen. Mercedes vient de réussir à transformer ses concessionnaires en agents. Comme toujours, l'objectif des constructeurs est de récupérer encore un peu plus de valeur ajoutée. Ce que la CGT revendique pour la distribution automobile, c'est la même chose que ce qu'elle réclame avec en aval avec le projet de loi GM&S sur la responsabilisation des donneurs d'ordres vis-à-vis de ses sous-traitants. Avec IndustriAll, nous allons donc porter une loi GM&S 2 étendue à la filière aval mais portée au niveau au niveau européen. Le fondement de ces revendications est une juste répartition de la valeur ajoutée sur l'ensemble de la filière des distributeurs jusqu'aux sous-traitants de rang 2 et 3. Ceci pour que tout le monde puisse vivre et gagne équitablement sa vie, permettre la pérennité de l'emploi, avoir des salaires décents.
Cela signifie donc une action concertée des syndicats au niveau européen…
Oui, et c'est en ce moment que ça se joue et c'est pour cela qu'avec le groupe européen nous ayons directement accès à Bruxelles et à contre-carrer les lobbyistes et groupes de pression des constructeurs automobile. Leur projet est que le client achète directement la voiture en ligne tandis que les concessionnaires ne feront remettre les clés au client. Ceci n'était pas possible précédemment. La précédente tentative de modification de la réglementation européenne portait sur la possibilité d'écart de tarification entre la vente en ligne et la vente en concession. Cela aurait eu un impact direct sur l'emploi et la disparition des vendeurs.
Et en France, comment la CGT des services de l'automobile aborde-t-elle le début année ?
En France, les concessionnaires représentent environ 310 000 emplois. Nous allons continuer à accompagner les vendeurs dans les territoires. Nous allons veiller à ce que les groupes qui ne passeraient pas par un accord de chômage partiel de longue durée respectent l'obligation légale d'appliquer la convention collective, et donc d'assurer un maintien de salaire à l'ensemble des vendeurs. Les constructeurs sont responsables de ce qu'il se passe aujourd'hui. C'est à eux qu'il revient de donner plus de moyens aux concessionnaires pour qu'ils puissent maintenir des niveaux de salaires corrects. Alors certes, il y a une pénurie de puces et il y a la baisse de maché de 23% par rapport à 2019, mais les composants arrivent quand même et 1,6 millions de véhicules ont été commercialisés. S'il y avait une pénurie complète les chiffres seraient bien plus bas.