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CINÉMA

Ixcanul

24 novembre 2015 | Mise à jour le 28 février 2017
Par | Photo(s) : ARP sélection
Ixcanul

Portraits d'une femme, d'une famille et finalement d'un peuple tout entier, Ixcanul est un premier film guatémaltèque à cheval entre deux mondes. Une rencontre entre la culture maya et la société moderne au goût amer. Impressionnant et imposant.

Ixcanul est le portrait d'une jeune Maya de 17 ans, qui vit avec sa famille au pied d'un volcan du Guatemala et se prépare à un mariage arrangé.

Elle en aime un autre et rêve de découvrir le monde, mais sa condition de femme de la communauté Cakchiquel lui assigne une voie toute tracée. Sa rencontre avec le monde moderne sera à double tranchant : transportée malade et enceinte à l'hôpital, elle sera sauvée mais son bébé, volé.

Programmé au festival Cinélatino, Rencontres de Toulouse, en mars dernier, le film avait notamment remporté le prix de la critique internationale (Fipresci). Ce fut l'occasion de rencontrer Jayro Bustamante, son réalisateur, pour parler de son premier long-métrage autant que des enjeux de société qui le traversent.                                                             

Quelle est l’origine du film?

À l'origine, il y a ma rencontre avec Maria, le vrai personnage, il y a environ quatre ans. En tant que médecin, ma mère était chargée de campagnes sociales et médicales dans la région Cakchiquel. C'est dans ce cadre qu'elle a rencontré Maria et me l'a présentée alors que je travaillais sur mon premier projet de film.

D'emblée, il m’est apparu nécessaire de raconter cette histoire. Je l'ai écrite et laissée de côté avant de m'y remettre en avril 2013. Il fallait que ça mûrisse… La problématique indigène est complexe, d'autant plus pour un métisse. J'avais besoin de mieux la comprendre et de me sentir prêt à la raconter. Avant de me lancer dans la réécriture du scénario.

Comment vous y êtes-vous pris ?

J'ai organisé des ateliers d'expression avec un groupe de femmes indigènes encadré par des travailleurs sociaux. On utilisait le théâtre pour leur donner la possibilité de parler des problèmes de discrimination qu'elles rencontrent. Ces femmes ont une grande force, mais très peu de liberté : elles font partie d'une société matriarcale, mais ont hérité du machisme de la colonisation espagnole. Elles doivent constamment user de stratégies de contournement pour prétendre arriver à leurs fins. J'espérais trouver parmi elle les actrices du film. Ce ne fut pas le cas.

 

Le récit du film est l'histoire de Maria, que vous avez rencontrée après le vol de son bébé.

Oui, ma rencontre avec le vrai personnage a lieu dans la dernière séquence du film. L'intérêt était de comprendre comment on en arrive à être cette parfaite victime. À partir de là, je me suis lancé dans une investigation fiction pour construire le récit.

 

Pourquoi avoir choisi de faire une fiction plutôt qu'un documentaire sur un sujet réel comme celui-là ?

Je n'ai pas choisi. Il n'a jamais été question de faire un documentaire. Je ne voulais pas parler de l'après, seule possibilité dans ce cas. Je voulais raconter comment elle en était arrivée là.

 

Comment avez-vous choisi les actrices ?

Tout le monde ne veut pas devenir acteur, j'ai proposé à des gens qui n'y voyaient aucun intérêt. Ensuite, j'ai rencontré Maria Telon – qui joue la « mère » – parmi une troupe de théâtre dans la région du volcan d'eau face au volcan où nous avons tourné le film. J'y ai également trouvé Marvin Coroy, qui joue el Pepe. Je les ai suivis en tournée de village en village, je les ai vus jouer et j'ai fini par leur proposer les rôles. En parallèle, je menais des castings « sauvages » sur les marchés.

Au village de Santa Maria de Jésus, au début, je tenais un stand intitulé « casting » qui n'attirait personne et puis nous avons affiché « offres d'emplois » et là, plein de gens sont venus… et nous avons pu trier ceux qui avaient un intérêt pour le métier de comédien et ceux qui ne recherchaient qu'un gagne-pain. C'est comme ça que j'ai trouvé tous les autres comédiens. Tout le village a défilé.

 

Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ?

Nous avons répété pendant 3 mois, si on peut appeler ça des répétitions. C'était plutôt un travail de confiance, qui supposait que les « acteurs » s'emparent des rôles, des personnages, qui parlaient leur langue, le cakchiquel, mais qui n'étaient pas eux. Le scénario était écrit en espagnol, ce qui a supposé un gros travail de traduction cakchiquel. Mais au fur et à mesure, j'ai laissé de côté ma technique de comédie initiale pour un travail pour lequel ils ont été beaucoup plus partie prenante qu'initialement prévu.

Je me suis laissé imprégner et il y a des jours où, au lieu de répéter avec Maria Mercedes, par exemple, le personnage principal, nous montions au sommet d'une montagne embrasser des arbres pour les besoins du film.

 

Une certaine dimension spirituelle a également fait partie de la préparation du tournage…

C'est exact. La dimension spirituelle de la nature dans la culture maya suppose qu'on ne peut pas travailler n'importe où sans avoir au préalable demandé l'autorisation à la terre. Pour faire nos essais sur le volcan, par exemple, il fallait attaquer par un rite particulier à une certaine heure de l'aube pour demander son feu vert à l'âme du volcan … Au départ, on faisait du yoga en guise de préparation physique et pour favoriser un climat de confiance. Progressivement, les rites mayas s'y sont substitués et nous sommes passés à pratiquer « l'adoration avec le feu divin ». On allait sur le volcan, on allumait un feu sacré fait de cierges, de sucre et de différentes offrandes, et nous méditions devant le foyer jusqu'à ce qu'il s'éteigne.

Durant tout le tournage, nous avons intégré un mode de fonctionnement en totale communion avec la nature. On ne pouvait par exemple pas travailler de scène avec un serpent avant d'avoir parlé avec l'esprit du serpent, icône de la culture maya.

 

Les mariages arrangés sont la règle chez les Mayas ?

Ce n'est pas la règle, mais c'est fréquent. Le rêve de l'émigration, lui, est partagé par tous les Guatémaltèques, pas seulement par les Mayas. Le Guatemala est un pays dont l'identité est « cassée », depuis le début, par une mauvaise conquête, une mauvaise colonisation et par une nouvelle phase de mauvaise reconquête et mauvaise recolonisation américaine. Le Guatémaltèque veut être tout sauf guatémaltèque parce qu'on lui a toujours appris qu'il était le plus bas dans l'échelle sociale ; et l'Indien encore plus que le métisse. Dans les villages proches des villes, beaucoup de Mayas parlent espagnol, mais plus on s'éloigne et moins c'est le cas. Sachant que, selon les recensements, le pays est constitué à 60 % de Mayas.

En réalité, c'est plutôt environ 80 % de Mayas et 20 % d'occidentaux, c'est-à-dire que 80 % de la population ne possède pour ainsi dire pas les codes des 20 % de la classe dominante et gouvernante. Tout est beaucoup plus compliqué pour eux. Bien sûr, les choses changent depuis le prix Nobel de la paix à Rigoberta Menchu, devenue icône des peuples indigènes mondiaux. Mais la pire insulte au Guatemala reste encore « indien » et c'est de loin la plus utilisée.

 

Les vols de nouveau-nés sont-ils un fait de société ?

Jusqu'en 2008, le Guatemala, était le premier pays exportateur d'enfants adoptés « légalement » dans le monde. Il y a eu et il y a encore beaucoup de corruption mêlée à ces trafics. Cela vient de l'époque de la guerre, quand des femmes indigènes étaient faites esclaves sexuelles dans des casernes militaires. Les enfants nés de ces exactions n'étant pas désirés, un vrai commerce est né à la fin des années 1980. On les présentait comme des orphelins de guerre, et le Guatemala est devenu la destination idéale pour qui voulait adopter un enfant rapidement. Les parents adoptifs ayant en outre le sentiment d'une bonne cause… Chaque Guatémaltèque connaît dans son entourage une femme qui a vécu cela.

 

Entretien réalisé et traduit de l'espagnol par Dominique Martinez.

 

Ixcanul, réalisé par Jayro Bustamante. Sortie nationale : le 23 novembre. 1 h 31.