3 septembre 2017 | Mise à jour le 4 septembre 2017
Par
Dee Brooks
| Photo(s) : Marcello Mencarini / Leemage
Le 27 décembre 1974, le coup de grisou de la fosse 3 bis Saint-Amé de Liévin fait 42 victimes. Le jour d'avant percutant roman de Sorj Chalandon résonne de colère et interpelle sur la responsabilité et la culpabilité.
« Ce drame n'a rien à voir avec la fatalité. Il aurait pu être évité. De la direction des Charbonnages de France au plus humble des surveillants, nous en sommes tous responsables. Et jamais personne n'a vraiment été jugé pour cela. »
Cette phrase est prononcée lors d'un procès, des décennies après la catastrophe et la mort du frère de Michel par un ancien contremaître de la mine. Cependant, l'homme n’est pas au banc des accusés… car c’est Michel qui y siège pour avoir tenté d’assassiner le petit chef pensant en faire ainsi une victime expiatoire et rendre justice dans une société où il y en a si peu.
Mais la réalité est bien plus complexe, et c’est aussi ce que ce procès romanesque, l’un des rebondissements inattendus du dernier roman de Sorj Chalandon, Le jour d’avant nous transmet. Ce n’est pas un hasard si Sorj Chalandon, journaliste et romancier (il est l’auteur de plusieurs romans d'une veine autobiographique) s’est attaché à cette catastrophe. Il travaillait au journal Libération depuis un an seulement lorsque la mine tua pour la dernière fois en 1974. Perdre sa vie pour la gagner… avait naître chez le futur écrivain une colère d'un noir charbon qui ne l'a plus quitté.
Cette colère, il en fait le moteur de Michel Flavent, son personnage dont le parcours a été totalement chamboulé par la disparition de Jojo, son grand frère. Ce Jojo qu'il adule, avec qui il voit le film Le Mans et découvre Steve McQueen, Jojo qui lui permet, le jour d'avant l'explosion de la mine, d'enfourcher sa mobylette en rêvant de la moto de Bullitt…
La colère de Michel Flavent est plus forte que tous ses autres sentiments, et elle redouble au départ de Sylwia (la veuve de Jojo qui repart vers sa Pologne natale), du suicide du père, un petit paysan qui déteste cette mine meurtrière, à la mort de la mère, usée par le chagrin. Quand Cécile, sa femme, meurt prématurément d'un cancer, plus rien ne retient Michel. Après le mausolée aux mineurs disparus qu'il cache dans un box, Michel veut passer à l'action « se venger de la mine ».
Sorj Chalandon évoque avec un style — d'autant plus bouleversant qu'il est sobre — cette vie des mineurs, la mort à petit feu due à la silicose qui fait que « Ce n'est pas parce qu'un mineur remonte qu'il est encore vivant ». Il ne construit pas pour autant un nouveau Germinal, mais, inscrit dans le courant de l'Histoire, Le jour d'avant, roman contemporain aux habiles rebondissements, qui interroge sur l'exploitation d'une majorité d'hommes pour le profit de quelques-uns. Son Michel est complexe, tourmenté, ambigu, et porte en lui une violence reflet d'un monde aux inégalités de plus en plus brutales.
Qui est victime, qui est bourreau, qui est coupable, qui est responsable ? Cette distribution des rôles est-elle immuable et la justice peut-elle seule apporter les réponses sans lesquelles il n'y a pas de paix individuelle ni sociale ? C'est le propre des grands livres de poser ces questions, et Le jour d'avant en est la belle, et très actuelle démonstration.