Sans tirer les leçons ni de l'échec économique des politiques d'austérité menées jusqu'à présent, ni de la colère exprimée lors des élections municipales, le nouveau premier ministre, Manuel Valls, renforce les orientations de son prédécesseur et accélère leur mise en œuvre. Le Medef se réjouit et en demande davantage. Les salariés sont appelés à se faire entendre.
Les projets du nouveau Premier ministre pour mettre en œuvre le « pacte de responsabilité » voulu par François Hollande feront-ils l'unanimité dans leur propre majorité ? Le 21 avril, des députés de la majorité gouvernementale ont proposé au gouvernement non pas de renoncer aux 50 milliards d'euros d'économies accompagnant ce pacte, mais de prendre en compte une série de mesures alternatives à celles annoncées, afin de ménager les foyers les plus modestes et d'éviter la fronde. « Tout en gardant les 50 milliards d'économies et l'objectif de passer sous les 3 % du PIB, on peut épargner les plus modestes et dégager un consensus à gauche », a ainsi plaidé Karine Berger, députée (PS) des Hautes-Alpes, à l'issue d'un week-end de travail à la commission des finances.
Or, Manuel Valls, en dépit de la colère exprimée lors des municipales tant par l'abstention massive que par le basculement de nombre de villes à droite ou les succès du FN, entend non seulement poursuivre mais renforcer et accélérer la politique de son prédécesseur, telle que le Medef l'exige, il a consenti quelques mesurettes pour tenter de convaincre les députés de sa majorité de soutenir son plan.
Objectif de Manuel Valls :
« baisser le coût du travail »
Dès son discours de politique générale, le 8 avril, puis lors de ses rencontres avec les syndicats de salariés et le patronat, Manuel Valls a donné le ton, l'objectif et la méthode, en annonçant chercher en premier lieu à « baisser le coût du travail » au nom de la compétitivité des entreprises. En clair, en reprenant à son compte la rengaine du grand patronat et des gouvernements précédents, dont les salariés paient le prix lourd.
On sait pourtant que l'économie française ne souffre pas d'un déficit de compétitivité avec les pays dits émergents ou à « bas coût de main-d'œuvre », mais que plus de 85 % de l'augmentation du déficit commercial de la France, ces dernières années, est dû aux échanges à l'intérieur de l'Europe elle-même. Quant à l'Allemagne, où le pouvoir d'achat des privés d'emploi comme des milliers de salariés contraints aux « petits jobs » sous-payés s'est, il est vrai, considérablement dégradé, ce n'est pas le faible coût du travail qui fait sa compétitivité. Elle la doit bien davantage à la qualité de ses productions, à une moindre financiarisation de ses entreprises qui continuent à investir sur le territoire national.
Autant d'atouts qui manquent aux entreprises françaises, où la répartition de la valeur ajoutée est de plus en plus favorable aux actionnaires au détriment des salariés et de l'investissement. Un cercle vicieux puisque la réduction de l'emploi et du pouvoir d'achat, la dévalorisation du travail et en particulier du travail qualifié, la précarisation massive du salariat participent du rétrécissement du marché.
Le capital, en quête d'une rentabilité rendue moins attractive dans la sphère productive, la cherche dans les activités financières. L'objectif principal des dirigeants d'entreprises consiste à atteindre un taux de rentabilité maximal auquel ils ajustent la masse salariale et les investissements productifs. D'où leur exigence de réduction du « coût du travail » à laquelle accède volontiers l'ancien ministre de l'Intérieur.
Son objectif : le réduire de 30 milliards d'euros d'ici à 2016. En fait, l'allégement de cotisations patronales revêt une ampleur inédite. Sur les 30 milliards d'aides, 20 milliards (qui seront atteints en 2015, pour 12 milliards cette année) sont déjà dévolus au crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), lequel cible les salaires jusqu'à 2,5 Smic. En outre, les cotisations patronales seront entièrement supprimées au 1er janvier 2015 « au niveau du Smic », et le barème des allégements existants entre le Smic et 1,6 fois le Smic sera modifié en conséquence. « Pour les salaires jusqu'à 3 fois et demie le Smic » (c'est-à-dire plus de 90 % des salariés), les cotisations famille seront abaissées de 1,8 point au 1er janvier 2016. Pour les travailleurs indépendants et les artisans, Manuel Valls prévoit une « baisse de plus de trois points des cotisations famille dès 2015 ».
Baisse de l’impôt sur les sociétés
En outre, l'impôt assis sur les résultats des sociétés devrait baisser d'ici 2020, avec une première étape en 2017. La contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui concerne les entreprises ayant une activité dans le secteur concurrentiel et ayant réalisé un chiffre d'affaires d'au moins 760 000 euros (HT), serait supprimée en trois ans, outre la suppression d'autres taxes.
Sécurité sociale et collectivités dans le collimateur
Ces mesures vont donc peser sur le financement de la Sécurité sociale. Elles ne sont pas les seules. Ainsi le premier ministre a-t-il annoncé, ce 8 avril, une série d'autres mesures, dont une censée suffire à un « pacte de solidarité » pour les salariés ou foyers modestes : les salariés payés au Smic seront exonérés de cotisation à la Sécurité sociale à partir du 1er janvier 2015. Cela devrait leur permettre de toucher, en salaire net, 500 euros de plus par an… mais ce sera autant en moins pour les recettes de la Sécurité sociale. La mesure concernera aussi, mais de façon dégressive, les salariés payés jusqu'à 1,5 fois le Smic. Par ailleurs, le gouvernement entend alléger la fiscalité « sur les ménages modestes […] en particulier ceux qui sont entrés dans le champ de l'impôt sur le revenu ces dernières années alors même que leur situation ne s'était pas améliorée. »
Manuel Valls a également annoncé une série d'autres mesures. Parmi elles, une réforme territoriale importante. Elle passera par la réduction de moitié des régions (22 métropolitaines) actuelles d'ici 2017, une « nouvelle carte intercommunale, fondée sur les bassins de vie » au 1er janvier 2018, la suppression de la clause de compétence générale ainsi que celle, à l'horizon 2021, des conseils départementaux. Le premier ministre a aussi décidé que la réforme pénale, en revanche, serait reportée sine die. Enfin, il a annoncé une réduction des dépenses publiques de 50 milliards d'euros sur trois ans, de 2015 à 2017. Et c'est sur ce programme qu'il a emporté la confiance.
50 milliards d'économies sur la réponse aux besoins de la population
Manuel Valls a tenu à recevoir dans la foulée les organisations syndicales de salariés et les organisations patronales. Pas de dialogue donc, juste l'expression de ses choix nonobstant les critiques de la CGT, ou de FO… Puis le 14 avril il a tenu à faire savoir que la France s'engageait à faire repasser le déficit public sous la barre strictement comptable des 3 % du PIB en 2015. Le 16, à la sortie du conseil des ministres, entouré de Michel Sapin (ministre des Finances), Christian Eckert (Budget), Marisol Touraine (Affaires sociales, Santé) et Marylise Lebranchu (Réforme de l'État), il a détaillé sur le perron de l'Élysée les grands axes des économies de 50 milliards.
Promettant des efforts « justes », « collectifs », « équitablement répartis », refusant de parler de mesures d'austérité et soulignant que les choix du pays étaient souverains, il a annoncé une réduction de 18 milliards sur le budget de l'État, 11 sur les collectivités territoriales, 11 sur les prestations sociales et 10 sur l'assurance maladie. Ainsi a-t-il annoncé la poursuite du gel du point d'indice servant à calculer la rémunération des fonctionnaires, jusqu'en 2017, ce qui fera sept années de suite. Plus de 5,2 millions de salariés sont concernés sur les trois fonctions publiques (État, collectivités territoriales, Santé).
11 milliards en moins pour les collectivités locales
Il entend également poursuivre la politique de réduction du nombre d'agents, à l'exception de l'Éducation nationale, de la police et de la justice (voir pages 16 et suivantes). Cela touchera aussi de plein fouet les agences de l'État comme Météo-France ou l'Agence de l'eau. Les dépenses de fonctionnement des ministères seront également restreintes, s'accompagnant de ventes de patrimoine et d'économies d'échelles. Les collectivités locales, elles, en dépit des transferts de charge de l'État, ont déjà subi une perte d'environ 1,5 milliard d'euros en deux ans. Cette fois, ce sont 11 milliards en trois ans qui vont leur être supprimés, quels que soient les besoins de solidarité et sans modification de la fiscalité, en particulier locale, pour la rendre plus juste et plus efficace.
Concernant l'assurance maladie, c'est de nouveau une logique non pas de nouvelles recettes pour une adéquation aux besoins qui est prévue, mais toujours une logique comptable de réduction des dépenses. Alors que les cadeaux au patronat ont gonflé le déficit. Manuel Valls demande une croissance de l'utilisation des génériques et de la chirurgie ambulatoire. Dans la même veine, il demande aux organisations syndicales et patronales de réduire encore les dépenses de l'Unedic et des retraites complémentaires.
Les retraites
Quant aux prestations sociales, on est loin de tout pacte de solidarité. Elles ne seront pas revalorisées jusqu'en octobre 2015, c'est-à-dire qu'elles n'augmenteront pas comme l'inflation. Cela concerne les pensions de retraite, les allocations logement, famille, invalidité… Soit une nouvelle baisse de pouvoir d'achat avec ses conséquences en termes de justice sociale mais aussi de croissance économique. Les minima sociaux (RSA et minimum vieillesse) sont épargnés mais la revalorisation exceptionnelle du RSA promise dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté est reportée d'un an.
Le Medef satisfait en redemande
On comprend la satisfaction du grand patronat. Pierre Gattaz, au nom de « la nervosité des chefs d'entreprises » demande d'aller vite et d'inscrire le Pacte dans la loi avant l'été. Il jubile de la « baisse du coût du travail et de la fiscalité » qu'il décrit comme « la seule solution pour rétablir les marges des entreprises » dont grands patrons et actionnaires profitent, et se réjouit de la baisse des dépenses publiques, budgets de solidarité et services publics dont pourtant les entreprises bénéficient elles aussi. Il en appelle même en la matière à des réformes structurelles plus profondes. Réclamant de nouvelles mesures, comme l'ouverture des commerces la nuit ou le dimanche, il a aussi l'oreille du premier ministre concernant les seuils ouvrant droit aux IRP et prône la suppression des « verrous » qui entraveraient l'économie dont le premier d'entre eux : le droit du travail.
Appel syndical
à la mobilisation
Dans ce contexte, la CGT, la FSU et Solidaires appellent à « poursuivre le processus de mobilisation massive des salariés, ouvert à toutes et à tous, notamment en créant les conditions de puissantes manifestations le 1er mai. Avec les journées d'actions du 15 mai dans la fonction publique, du 22 mai pour les cheminots, du 3 juin pour les retraités et des initiatives revendicatives sous des formes diverses dans de nombreuses entreprises, ce 1er mai est une étape et un moteur pour amplifier la mobilisation des salariés ».
Pour la CGT, la FSU et Solidaires, « C'est d'un changement de cap que nous avons besoin […] il existe des alternatives ». Les trois organisations plaident pour une augmentation des salaires et des pensions, qui « est possible et même indispensable pour améliorer la situation de nombreux salariés, privés d'emploi et retraités, et pour tirer toute notre économie vers le haut » et prônent une remise à plat « des aides publiques accordées aux entreprises » afin qu'elles soient « évaluées en fonction de leur efficacité économique et sociale ».
Ce 1er mai est une étape pour amplifier la mobilisation des salariés