Conférence sociale : tout ça pour ça !
Très attendue par les Français, la journée d’échanges et de réflexions voulue par l’Élysée autour des rémunérations et du pouvoir d’achat s’est révélée «... Lire la suite
Dans une récente enquête Ifop réalisée pour Radio Classique et Les Échos, parmi les priorités pour la transformation en 2021, les personnes interrogées ont placé l'augmentation des bas salaires juste après la relocalisation des usines en France et le soutien aux PME face à la crise. Il faut voir sans doute dans cette priorité pour les bas salaires un marqueur de cette pandémie et de la crise sociale qu'elle a déclenchée. Cette préoccupation révèle aussi l'accroissement des inégalités et une paupérisation croissante d'une frange de la population qui ne parvient pas à vivre de son travail.
Sans doute, encore, parce que la crise sanitaire a très vite révélé le caractère essentiel de nombre de ces travailleurs et travailleuses de première, comme de deuxième ligne, à notre vie. Ce qui rend d'autant plus insupportable l'absence de reconnaissance dont elles et ils pâtissent. Et aussi parce que la pandémie et ses conséquences économiques ont creusé les inégalités et fait basculer nombre de travailleuses et travailleurs dans la précarité et la pauvreté.
Travailler, mais aussi rester – ou devenir – pauvre n'a rien de nouveau, tant la France est devenue un pays de bas salaires. Hélas les statistiques permettant de mesurer la diffusion de ces bas salaires dans la population active ne sont pas si nombreuses, régulières et faciles à décrypter. Et la disparition de l'Observatoire national de la pauvreté décidée en octobre 2019 par Emmanuel Macron, à l'aube du mouvement des Gilets jaunes, ne facilite pas l'appréhension de cette paupérisation des travailleurs.
Lorsqu'on parle des salaires, on évoque le plus souvent l'évolution du salaire moyen (2 238 euros), mais « ce chiffre est peu significatif car il est tiré vers le haut par un petit nombre de salaires très élevés », souligne le Centre d'observation de la société. Et son évolution est aussi sujette à caution comme l'a relevé récemment le rapport mondial sur les salaires 2020-2021 de l'Organisation internationale du travail (OIT), le 2 décembre 2020. Par exemple, pour notre pays en pleine crise sanitaire et économique, le salaire moyen aurait augmenté d'environ 5 % sur la première moitié de l'année 2020 par rapport à 2019. C'est aussi le cas dans un tiers des pays pour lesquels des chiffres ont été publiés.
Mais ces chiffres sont en trompe-l'œil car cette augmentation moyenne est en grande partie « la conséquence du fait qu'un nombre substantiel de travailleurs faiblement rémunérés ont perdu leur emploi, ce qui fausse la courbe moyenne, puisqu'ils n'apparaissent plus dans les statistiques concernant les salariés ». On voit par là qu'un très grand nombre de salariés passent « sous le radar » du salaire moyen. Par conséquent, il faut changer de focale pour appréhender la réalité des bas salaires et regarder ce qui se passe sous la barre du salaire médian.
Le salaire médian pour un équivalent temps plein atteignait 1 789 euros par mois selon les dernières statistiques disponibles (2016), dont 1 639 euros pour les femmes et 1 899 euros pour les hommes, hors salaire des apprentis et des stagiaires. C'est-à-dire qu'il y a autant de gens qui perçoivent un salaire au dessus qu'un salaire au-dessous de ce niveau.
Pour le Centre d'observation de la société, « 30 % des salaires sont inférieurs à 1 500 euros net mensuels. C'est la France des salariés peu qualifiés, des employés (souvent employées) dans les services et des ouvriers ». C'est la France de ceux dont l'ensemble des revenus ne suffisent pas à offrir un niveau de vie supérieur au seuil de pauvreté.
Mais, par convention, on appelle « bas salaires » ceux qui sont « inférieurs aux deux tiers du salaire médian de l'ensemble de la population » soit 1 192 euros. Un chiffre qui flirte dangereusement avec le seuil dit de « pauvreté monétaire » qui s'établit à 1 073 euros net par mois pour une personne seule en 2019. Ce chiffre correspond, quant à lui, à 60 % du niveau de vie médian.
Ces derniers indicateurs permettent d'évaluer plus justement le nombre de travailleurs pauvres. Celui-ci a bondi de 181 000 entre 2016 et 2017 selon les derniers chiffres de l'Insee. Au total, ils seraient 2,1 millions contre 1,9 million un an auparavant.
Mais il en va des salaires et du niveau de vie comme de la température. Il y a la mesure et il y a le ressenti. Et de ce point de vue, la crise sociale des Gilets jaunes a été un nouveau signal d'alarme sur la paupérisation de toute une partie de la société.
En effet, selon le baromètre annuel de la Direction statistique du ministère des Solidarités (Drees), près de 18 % des Français interrogés se sentaient pauvres fin 2018, contre 13 % en moyenne les années passées. Et, toujours selon cette enquête publiée en septembre 2019, les personnes interrogées estiment qu'il faut 1 760 euros pour vivre. L'écart est donc de 71 % entre ce besoin et le seuil de pauvreté monétaire de 1073 euros par mois pour une personne seule.
On voit là que l'on est proche du salaire médian, mais encore loin du Smic net qui se situe autour de 1 200 euros. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que près d'un tiers des ouvriers se sentent pauvres et que compte tenu de la situation, 90 % d'entre eux estiment que les injustices sociales ne feront qu'augmenter.
Il aura fallu la crise des Gilets jaunes, puis la pandémie, mais aussi des mobilisations comme celle des salariées des Ehpad pour que le chef de l'État consente à évoquer la question de la reconnaissance salariale des derniers de cordée, mais premiers de corvée, soudain reconnus indispensables à la continuité sociale et économique du pays.
Une conversion tardive qui reste cependant encore au stade du discours. Les annonces du plan pauvreté de septembre 2018, tout comme les mesures lors de la crise des Gilets jaunes ou au printemps 2020 au début de la pandémie, ne prennent jamais à bras-le-corps la question de la revalorisation des bas salaires et du Smic.
Le gouvernement répond par des primes ou des aides financées ou compensées par l'argent public, mais dont la première caractéristique est de ne rien coûter aux entreprises qui bénéficient depuis des années d'exonérations de cotisations sociales très généreuses sur ces bas salaires. Au passage, ces exonérations qui siphonnent les ressources de la protection sociale sans véritablement préserver l'emploi sont autant de trappes à bas salaires puisqu'elles encouragent les entreprises à tasser les grilles pour cantonner les salaires au plus près des seuils d'exonération qui peuvent atteindre 1,6 fois le Smic.
Le retard à l'allumage et le patinage des discussions entamées entre les syndicats, le patronat et le gouvernement sur les salariés de la deuxième ligne témoignent du manque de volonté de s'attaquer à ce dossier des bas salaires. « Alors qu'il serait simple » d'écouter ces travailleurs « et d'entendre que leur revendication principale est d'obtenir immédiatement une augmentation de salaire, la ministre du Travail bloque la revalorisation du Smic à 0,99 % en décembre et se contente d'ouvrir une concertation de plusieurs mois sans réelles perspectives monétaires, sonnantes et trébuchantes », s'est agacée la CGT dans un communiqué le 22 janvier.
La confédération qui propose depuis plusieurs années de porter le Smic à 1 800 euros brut demande « une revalorisation des salaires au niveau national et interprofessionnel », non seulement pour les salariés qui ont continué à travailler, exposés au risque sanitaire de la pandémie, mais aussi pour celles et ceux qui ont travaillé à distance. Tous ces salariés ont en commun, selon la CGT, « la nécessaire augmentation du Smic et ainsi de l'échelle des salaires »
Ils exercent des métiers « souvent très dévalorisés, aux contrats de travail souvent précaires et aux conditions de travail très difficiles. Ce sont donc avant tout des salariés qui ont besoin de dispositifs sécurisants », plaide la CGT qui propose plusieurs leviers d'action. Par exemple d'agir pour « un accès réel à une formation continue qualifiante sur le temps de travail », alors qu'on sait depuis des années que la formation continue va en priorité aux travailleurs qui sont déjà les mieux formés et exerçant plutôt dans des grandes entreprises.
La CGT propose au gouvernement d'acter que le réseau des Greta (Goupements d'établissements) de l'Éducation nationale, de l'Afpa (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes) et du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) « soit mobilisé dans la mise en œuvre de mesures de formation et d'évolution professionnelle ciblées ». Mais aussi que ces formations qualifiantes soient reconnues dans les grilles de salaires et les déroulements de carrière.
Reste que le faible niveau de qualification n'est pas le seul déterminant de ces bas salaires. En effet, ces travailleurs sont souvent la main-d'œuvre des entreprises sous-traitantes – par exemple dans l'industrie, le BTP, les services aux personnes ou aux entreprises, le nettoiement, le ménage – qui subissent une forte pression concurrentielle imposée par les entreprises donneuses d'ordre. Ce sont leurs salaires, leurs conditions de travail, qui servent de variable d'ajustement pour faire baisser les coûts, décrocher et conserver des marchés. La CGT demande donc que les appels d'offres soient assortis de clauses sociales.
Relever les bas salaires impliquerait aussi d'en finir avec les temps partiels imposés aux femmes et d'imposer l'application du Smic à toutes les branches d'activité. Par ailleurs, est posée la question de la moindre reconnaissance des métiers à prédominance féminine très nombreux dans les professions à bas salaire des services, du commerce, du soin et de la prise en charge des personnes fragiles.
Au-delà de la justice sociale, de la reconnaissance et de la dignité des travailleuses et travailleurs, la revalorisation des bas salaires est aussi un impératif économique. Car il est connu que les travailleurs à bas salaires épargnent peu et consomment la quasi-intégralité de leurs ressources. Leurs revenus sont directement réinjectés dans l'économie. Et l'on sait que la consommation des ménages compte pour plus de la moitié de la croissance économique.
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