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CHEMINOTS

La grève, pour qu'on ne se fasse pas rouler

3 juin 2016 | Mise à jour le 14 février 2017
Par | Photo(s) : Maugendre/Andia
La grève, pour qu'on ne se fasse pas rouler

Les négociations en cours, avec une nouvelle séance ce lundi 6 juin, apparaissent pour les cheminots comme un exercice grandeur nature de défense d'une hiérarchie des normes préservant les droits de tous. Les premiers reculs du gouvernement face à la grève encouragent à poursuivre le mouvement.

Après les mobilisations de mars et avril, les cheminots ont décidé d'une grève reconductible à partir du 1er juin. Celle-ci s'inscrit dans le mouvement global de contestation de la loi « travail », mais articule aussi des revendications spécifiques qui témoignent précisément de l'importance de la hiérarchie des normes. Les trois niveaux de réglementation du travail des cheminots sont en effet actuellement en cours de négociation (voir dans la NVO de mai 2016) :

1 – Un décret socle, que le gouvernement aurait dû publier en avril, fixant les règles s'imposant – dans le cadre de l'ouverture à la concurrence – à l'ensemble du secteur ;

2 – Un accord de branche, appelé Convention collective nationale (CCN), pour lequel sept organisations syndicales (CGT, UNSA, SUD-Rail, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) ont porté, à l'initiative de la CGT, une base commune comme texte alternatif aux propositions patronales ;

3 – Plusieurs accords d'entreprise pour les 150 000 agents de la SNCF, mais aussi pour les quelque 20 000 salariés de sociétés de droit privé (Europorte, Colas rail, Eurostar, etc.) amenés, avec l'ouverture à la concurrence, à travailler sur le territoire français.

RISQUE DE DÉGRADATION À GRANDE VITESSE

Le projet initial de décret, dont la publication a été repoussée face à la contestation cheminote, se situait bien en deçà des acquis et créait dès lors la possibilité d'un véritable dumping social. En effet, le fret ferroviaire est ouvert à la concurrence depuis 2003 et le transport international de passagers depuis 2009. À partir de 2020, c'est le transport intérieur des passagers qui sera à son tour libéralisé.

On imagine bien que si des règles communes à l'ensemble des entreprises de transport, notamment en matière de sécurité et de temps de travail, ne sont pas élaborées en amont, la recherche du moindre coût dégradera à très grande vitesse la qualité du service offert comme les conditions de vie et de travail des cheminots.

ALIGNEMENT : VERS LE BAS OU LE HAUT ?

On peut reconnaître à Guillaume Pepy, le PDG du groupe public, une certaine cohérence. Anticipant la concurrence totale, il voulait « baisser les coûts » et projetait donc un accord d'entreprise remettant radicalement en cause les actuelles conditions de travail à la SNCF afin de les aligner sur celles, moins favorables, d'entreprises privées européennes.

C'est bien sûr, pour la CGT, l'intersyndicale et les agents en lutte, une cohérence exactement inverse qu'il s'agit de défendre : obtenir un alignement par le haut des conditions de travail dans l'ensemble du secteur.

Ainsi, les luttes et acquis des cheminots de la SNCF bénéficieront aux travailleurs du rail des entreprises privées intervenant désormais dans notre pays.

LES ENGAGEMENTS EN TROMPE-L'ŒIL DU GOUVERNEMENT

Or, l'unité, la durée et la force de la mobilisation ont évidemment inquiété le gouvernement Valls. Aussi, le secrétaire d'État aux Transports Alain Vidalies, représentant l'État actionnaire, a-t-il désavoué le PDG de la SNCF en annonçant que l'accord d'entreprise qui sera soumis à signature le 6 juin prochain reprendra, pour l'essentiel, les dispositions actuellement existantes.

Cette promesse va incontestablement dans le bon sens, à ceci près que… l'État y décide à la place de la direction de la SNCF (au point de susciter des rumeurs de démission de Guillaume Pepy), mais ne prend en revanche aucun des engagements demandés au niveau qui est le sien : décret socle étendant à l'ensemble de la branche les principales dispositions dont bénéficient les agents de la SNCF, reprise d'une partie de la dette de l'entreprise ferroviaire correspondant aux travaux d'infrastructure, intervention ferme dans les négociations de branche pour à la fois soutenir les salariés et limiter d'avance les distorsions de concurrence. Mais pour le gouvernement, il s’agissait aussi de diviser le mouvement. De fait, l’Unsa (second syndicat dans l’entreprise) et la CFDT (plus faible) ont suspendu leur appel à la grève.

JUSTICE SOCIALE VERSUS DUMPING GÉNÉRALISÉ

Pour la CGT (premier syndicat), les choses sont claires : « C'est dans la Convention collective nationale (CCN) de branche, s'appliquant à toutes les entreprises du secteur, que doivent être sanctuarisées les garanties collectives et les améliorations des conditions de vie et de travail des cheminots. »

L'accord d'entreprise de la SNCF sera, bien entendu, plus complet que l'accord de branche, puisqu'il doit intégrer les dimensions de service public de la SNCF (continuité tant en termes horaires qu'en termes de dessertes peu rentables, mais utiles aux populations, aménagement et entretien du réseau ferré et de ses ouvrages…).

Un résultat aussi des luttes et de la culture de service public des agents. Mais la différence entre accord d'entreprise et CCN doit être la plus faible possible, dans un souci immédiat de justice et de solidarité.

C’est précisément par un bien curieux appel à la solidarité avec tous les Français en période d’intempérie que Guillaume Pepy, de même que Manuel Valls, ont tenté de demander l’arrêt de la grève. Dans un communiqué, la CGT a su rappeler non seulement que la grève n’avait de ce point de vue aucun effet, mais qu’en outre la CGT était bel et bien à la pointe de la solidarité avec les victimes d’intempéries, en particulier grâce aux activités de son association d’entraide « l'Avenir social »…

En tout état de cause, on comprend que, pour la CGT, SUD-Rail et l'ensemble des cheminots qui ont démocratiquement choisi et poursuivent la grève reconductible, au-delà de leurs revendications spécifiques, il y a un véritable exercice de travaux pratiques sur la hiérarchie des normes en matière de droit du travail.

C'est aussi pour défendre le droit du travail de tous, en emploi stable ou en emploi précaire, agent public ou salarié d'entreprise privée, chômeur ou titulaire d'un contrat de travail, que les cheminots débraient. Ils cessent de rouler pour qu'on ne se fasse pas rouler, et les manœuvres du patronat comme du gouvernement témoignent que leur action est fort bien aiguillée !