20 septembre 2024 | Mise à jour le 20 septembre 2024
Au pôle d’activité d’Aix-en-Provence où se situe son siège, la société de distribution publicitaire Milee (ex-Adrexo), a définitivement tiré ses rideaux le 9 septembre, date de sa liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Marseille.
Après la première vague de 5000 licenciements en juillet 2024, le choc est terrible pour les 5000 salariés restants de l’Hexagone, tous au chômage depuis début septembre. D’autant plus violent que ces derniers n’ont toujours pas reçu leur salaire d’août dernier. « C’est lourd ! On attend nos papiers de licenciements, les mandataires judiciaires sont débordés et encore une fois, ce sont les salariés qui en pâtissent ». Après 20 ans de bons et loyaux services, l’ancienne directrice du dépôt d’Aix-Marseille (Bouches du Rhône), Mélina Sabadell ne cache pas sa colère envers l’enseigne mais aussi envers les grands médias, alertés depuis longtemps qui ont, selon elle, attendu la mort de Milee pour en parler : « Tout est trop tard ! On n’a pas arrêté de solliciter partout, c’est à croire qu’on n’intéresse personne. Les salariés sont désœuvrés et ne cessent de m’appeler, mais je n’ai aucune solution, hélas !» Bernadette, Pierre ou encore Kévin avaient choisi la distribution comme complément de salaire, nécessaire dans leur situation précaire : « ça va être très dur !». Malika ou Sébastien étaient à plein temps et pointent la difficulté d’actions : « On est dispersé partout en France et les intérêts personnels priment sur ceux collectifs, difficile de se mobiliser en grand nombre ».
Se faire de l’argent rapide
A l’origine Adrexo appartenait au groupe Spir Communication (filiale du groupe Ouest-France) avant d’être cédé en 2017 pour l’euro symbolique à un trio d’actionnaires : Eric Paumier, Frédéric Pons, tous deux propriétaires de Colis privé, et Guillaume Salabert, créateur de Cibléo. La cession d’Adrexo était assortie d’une soulte qui n’aura pourtant pas servi à la société, selon Jérôme Marsechal délégué syndical CGT : « Les actionnaires ont créé la holding Hopps en 2017 et racheté des sociétés telles que Pataugas revendu depuis, Watts, Drive to home, In events, etc.) pour se faire de l’argent rapide ». Des opérations qui ont permis à Eric Paumier, Frédéric Pons et Guillaume d'accéder au club des plus grosses fortunes de France. Arrivée révélée en 2022, par le magazine Challenges qui évaluait leur fortune à 700 millions d'euros. La flambée du prix du papier, l’après-pandémie Covid, le départ des plus gros clients – Leclerc, Cora – suivis de la chute de commandes de la quasi-totalité des enseignes – Carrefour, Monoprix, La redoute -, le tout dans un contexte de nouvelles réglementations 2025, interdisant la distribution de prospectus aux non-adressés*, pourraient expliquer le déclin de Milee, mais en partie seulement. Car, comme le précise Sébastien Richard, représentant CGT du CSE : « Il n’y a eu ni volonté, ni anticipation, ni investissement pour sauver la société. On n’en serait pas là, s’ils avaient eu une meilleure gestion. Ils ont fait 300 millions de dettes alors que nous, on travaillait dans des cadences infernales ». Bien plus grave : « On était 18 000 en 2017, ils ont écrémé d’abord par des procédures illégales en poussant les gens à la porte avant de tout liquider ». Plusieurs procès aux prud’hommes ont été gagnés par les victimes.
Mauvaise gestion
Après la vente en 2022 de Colis Privé à Ceva, filiale de CMA-CGM (Rodolphe Saadé) au prix de 582 millions d’euros, Adrexo avait été soutenu par l’Etat avec l’opération Propaganda, pour la distribution des professions de foi électorales. Mais l’opération fut un fiasco creusant davantage une dette atteignant déjà 22,7 millions d’euros, en 2018. En créant début 2023, le magazine publicitaire 150 euros, Milee ambitionnait de poursuivre son activité de distribution aux adressés* seulement. Mais, Sébastien rappelle : « On avait un métier de publicité et de distribution sans aucun moyen donné. Pas de service commercial, aucune condition de travail louable. La moyenne des salaires était de 500 à 600 euros par mois, alors que les exercices comptables font état de près de 151 millions d’euros volatilisés, aujourd’hui ». La vente de Colis privé n’aurait pas été inscrite en totalité dans les comptes de Milee, tel que le relève le jugement du Tribunal de commerce du 8 novembre 2023 qui stipule : « L’utilisation du reliquat de 151 millions d’euros n’a pas été précisée.» Après deux plans de sauvegarde de l'emploi (mars et juillet 2024) rendus aussitôt caducs par un redressement judiciaire et une proposition de reprise par Ricobono, avortée, l’annonce de la liquidation de Milee n’ébranle pas pour autant l’équipe de la maison mère Hopps, logée à quelques encablures du dépôt Milee, dans un superbe parc aixois. « On est triste pour les 10 000 licenciements, mais c’est la vie ! », résume la responsable qualité de « Drive to home ». Pour l’heure, de nombreux recours aux Prud’hommes pour retard de paiements des indemnités et du salaire du mois d’août se multiplient face aux mandataires judiciaires et aux AGS (Assurances garanties salaires), chargés des versements aux 10 000 licenciés.
*Adressés et non adressés : Des communes ont expérimenté le « Oui Pub », seule mention valable sur les boîtes à lettres des consommateurs pour distribuer des prospectus de publicité.