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ENTRETIEN

Sophie Binet : "l'afflux de nouveaux syndiqués est un levier important"

3 octobre 2023 | Mise à jour le 3 octobre 2023
Par | Photo(s) : Bapoushoo
Sophie Binet :

La secrétaire générale de la CGT évoque les enjeux de la rentrée sociale et pointe l'enjeu de la syndicalisation et des élections professionnelles pour gagner le rapport de force. Et s'alarme d'une extrême droite en pleine ascension qui fait de la CGT une cible privilégiée*.

Tu viens de connaître ta première rentrée sociale en tant que secrétaire générale de la CGT, comment qualifies-tu cette séquence sur fond de mise en œuvre de la réforme des retraites ?

C'est une rentrée dans laquelle il y a beaucoup de colère, notamment sur les questions de salaire. De plus en plus de gens ne peuvent pas boucler leur fin de mois. Quasiment la moitié des Françaises, des Français ne sont pas partis en vacances, un tiers d'entre eux ne prennent pas trois repas par jour… La situation est extrêmement grave, et on a un gouvernement et un patronat qui font comme si tout allait bien : on nous a promis que les salaires allaient rattraper les prix, que l'inflation allait s'arrêter, ce n'est absolument pas le cas. Il y a un problème salarial en France, ça, c’est l’élément central. Ensuite, il y a une défiance profonde vis-à-vis du pouvoir, défiance héritée des six mois de mobilisation contre la réforme des retraites. Enfin, il faut souligner l'état préoccupant dans lequel se trouvent nos services publics, les hôpitaux, les écoles : beaucoup d’élèves n’ont par exemple pas d’enseignants en face d’eux pour la rentrée, contrairement aux promesses faites. Et, sur l’industrie malgré les cocoricos du gouvernement, chaque jour, de nouvelles entreprises sont mises en difficulté par la financiarisation de l’économie.

L'intersyndicale appelle le 13 octobre à une journée de mobilisation en France et en Europe contre l'austérité, pour les salaires et l'égalité femmes-hommes. Quels en seront les contours ? 

Au-delà des manifestations, nous appellerons à la grève partout. Le premier enjeu est en effet de gagner des augmentations de salaire. Pour cela, on a besoin de créer un rapport de force au niveau de l’entreprise, de la branche et à l'échelle nationale. Un premier point a été marqué, puisqu’on a forcé le gouvernement à retrouver le mot salaire, qui avait disparu de son vocabulaire, et qui nous annonce une conférence sociale sur le sujet, qui aurait lieu mi-octobre. La journée du 13 octobre, aura donc lieu autour de cette conférence sociale, elle sera donc un levier, pour mettre l'exécutif sous pression, de telle sorte qu’on ne se contente pas d’effets d’annonce mais qu'on ait de vrais changements pour les salariés. Avec pour revendications pour ce qui nous concerne une augmentation du SMIC, l’indexation des salaires sur les prix, ou encore la conditionnalité des aides publiques, qui sont des leviers pour agir sur  le sujet. Cette journée est d'ores et déjà historique puisque c'est la première fois que toutes les organisations syndicales appellent à manifester et à faire grève pour gagner l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, et il y a du boulot : 25% d'écart salarial !  Pour y mettre fin, il faut réformer en profondeur l'index égalité, revaloriser les métiers féminisés, les temps partiels… Nous porterons ces revendications lors de la conférence sociale du 16 octobre. L'autre enjeu est de pointer la question des services publics, puisqu’on sera au moment du débat sur le projet de loi de finances, (PLF) et le projet de financement de la sécurité sociale (PLFSS), de quoi mettre sous pression le Parlement afin d'obtenir des investissements dans nos services publics, comme la santé ou l'éducation. Enfin, la rentrée est marquée par le coup d'envoi de nombreuses négociations interprofessionnelles : sur les retraites complémentaires, l'emploi des seniors, la pénibilité, l'assurance-chômage… Pour obtenir des avancées, il faut qu'il y ait un rapport de force, et que ces négociations deviennent un enjeu pour tous les salariés, y compris dans les branches où se tiennent de nombreuses négociations à l'initiative de la CGT.

Une autre journée d'action se prépare à l'échelle européenne mi-décembre

La journée du 13 octobre fait déjà l'objet d'un appel européen, partout sur le continent il y aura des actions menées contre l'austérité car nous sommes tous confrontés aux mêmes problématiques du fait des normes exigées par l'Union européenne. L’idée est  d’avoir un deuxième temps de mobilisation à Bruxelles le 13 décembre, date décidée lors du comité exécutif de la confédération européenne des syndicats (CES) à  Madrid le 28 septembre.

La France, a besoin d’investir dans le secteur du soin et du lien, répondre aux besoins de la population et améliorer son bien-être

S'agissant du PLFSS, cette séquence est aussi l'occasion pour la CGT d'impulser sa campagne de protection tout au long de la vie.

Cette dernière, qui se veut être une campagne au long cours, est née du constat que le cadre collectif est nécessaire pour garantir les droits de chacune et de chacun. Le recul de ce cadre collectif est très inquiétant. On l’a vu sur les retraites : faire reculer le droit à la retraite pour toutes et tous, c’est la capitalisation qui progresse. C'est la même chose sur d'autres sujets, la petite enfance par exemple, avec le scandale qui vient d’éclater dans les crèches privées. Cela fait des années que l'on est confrontés à des cas de répression syndicale très graves dans les crèches privées, suite aux mobilisations des personnels pour dénoncer la maltraitance institutionnelle qu'elles sont contraintes de pratiquer par manque de moyens. Il faut donc mettre en place un vrai service public en charge des personnes dépendantes, que ce soit de la petite enfance aux personnes âgées. Et qui dit service public, dit que le secteur lucratif ne peut pas y avoir sa place.  Puisqu’on voit bien la contradiction totale, à travers le scandale Orpea (relatif aux Ehpad, NDLR) des crèches privées, entre le fait d’avoir des actionnaires, des objectifs de rentabilité et être sur des missions de service public. Sur cette fin 2023, nous allons beaucoup nous concentrer sur le PLFSS, d'une manière générale, la France, a besoin d’investir dans le secteur du soin et du lien, répondre aux besoins de la population et améliorer son bien-être.

 

Gagner la bataille de l’opinion est une condition indispensable, mais ça n’est plus suffisant. Ce qu'il faut gagner, c'est la grève !

La mobilisation contre la réforme des retraites, a été menée dans le cadre d'une intersyndicale unie comme jamais depuis très longtemps. On peut  toujours dire que le match n'est pas terminé mais les faits sont là. Les premiers décrets sortent. Qu'est ce qui n'a pas marché ?

Soulignons d'abord qu’on est vraiment passé pas loin de la victoire. Dans la totalité des autres pays européens, avec un niveau de mobilisation comme cela comme on aurait gagné ! Emmanuel Macron a usé des super pouvoirs que lui confère la Vème République pour passer en force, comme jamais d'ailleurs ses prédécesseurs n'auraient osé le faire. C'est bien le signe de l'expression d'un néolibéralisme autoritaire qui s'affranchit de l'opinion des citoyens. La leçon principale de cette séquence ? Gagner la bataille de l’opinion est une condition indispensable, mais ça n’est plus suffisant. Ce qu'il faut gagner, c'est la grève !  Ce qui nous a manqué, c’est la capacité à étendre la grève après la journée du 7 mars (journée d'appel au blocage de l'économie, NDLR). Dans un certain nombre de fédérations de la CGT, la grève reconductible a été coordonnée, et le niveau de mobilisation historique, comme dans l'énergie, les déchets, les ports et docks et par endroits dans les transports. Mais nous n'avons pas réussi à étendre cette grève reconductible au-delà de ces secteurs. Les causes, elles, sont à analyser en profondeur. Pourquoi n'y a-t-il pas plus de salariés basculant en grève reconductible ? D’abord parce que dans 40 % des entreprises, il n’y a pas de syndicat ! Et puis, gagner la grève reconductible, exige d'avoir des taux de syndicalisation et d’organisation élevés. La leçon numéro un de ce conflit, c’est que, pour la prochaine fois, pour en sortir gagnant, il faudra avoir anticipé et donc dès à présent, renforcer l’organisation le plus possible.  Aujourd’hui, le syndicalisme français est un syndicalisme par procuration. Les organisations syndicales ont certes une belle cote de popularité. Par contre, les salariés ne se syndiquent pas. C’est cela qu’il faut changer.

Le 29 août dernier, tu rencontrais Emmanuel Macron à sa demande, que vous êtes-vous dit ?

J’y suis allée pour lui dire toute notre inquiétude sur l’état du pays depuis le mouvement contre la réforme des retraites mais aussi sur la montée de l’extrême droite, qui n’a jamais été aussi proche du pouvoir, en lui disant que chacun laissait sa trace dans l’Histoire. Et que lui, comme président de la République, si sa trace dans l’histoire était d’être celui qui, soit, avait amené l’extrême droite au plus haut niveau, comme aujourd’hui, soit, pire, lui avait permis d’accéder au pouvoir, ce serait un héritage bien lourd à porter. Je l'ai aussi alerté sur la question environnementale et lui ai fait part de plusieurs propositions, dont celle d’organiser un référendum sur les retraites. Cela part de son propre souhait d'organiser de telles consultations !  Malheureusement, fidèle à son habitude, il a fermé la porte. Le problème, c’est qu’on voit qu’il veut bien organiser des référendums seulement quand il sait que la réponse va lui convenir, ce qui n'est pas le cas pour les retraites. Ce qui est scandaleux car l'exercice de la démocratie ne saurait être à géométrie variable. Encore une fois, il a refusé cette main tendue et confirmé sa politique pro business, avec son obsession de la compétitivité pour attirer les investisseurs, et de baisser, ce qu'il appelle le coût du travail et ce que nous, nous appelons le prix du travail, à savoir tirer un maximum vers le bas les salaires, la fiscalité des entreprises, etc., et de baisser aussi les normes sociales et environnementales pour être attractif pour les investisseurs qui une fois qu'ils ont pillé les savoir-faire, quittent le pays.

 

La théorie du ruissellement s’applique très bien en  matière de répression syndicale : en s’attaquant aux premiers dirigeants, derrière, ça donne le ton !

Cette séquence post mobilisation est aussi marquée par une répression accrue envers les organisations militantes et singulièrement la CGT. Sébastien Menesplier, secrétaire confédéral a été convoqué à la gendarmerie, David Bodin, secrétaire  d'UD jugé en correctionnelle pour avoir organisé une manifestation contre les mégabassines à Sainte Soline, Qu’est-ce que ça dit, du climat actuel?

Cette répression existe parce que le pouvoir n’a jamais été aussi minoritaire, et on l’a vu pendant la réforme des retraites, son seul moyen de continuer à mener les réformes agressives, c’est de les imposer par la répression. Il faut y voir un signe de notre rapport de force. Mais c’est très grave. En tous cas, la théorie du ruissellement s’applique très bien en  matière de répression syndicale : en s’attaquant aux premiers dirigeants, derrière, ça donne le ton !  Derrière, les patrons se sentent autorisés à tout, on voit sur le terrain de plus en plus de déjà, de mise sous pression des syndicalistes dans les entreprises.

Si le Rassemblement national arrive au pouvoir, ses premières cibles seront les droits des travailleuses et des travailleurs, les syndicats, et bien entendu, la CGT.

Tu as toi-même été sommée de te rendre en personne en septembre  à la convocation de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale  sur la structuration du financement, les moyens, les modalités d’action des groupuscules, auteur de violence, sous peine de te voir infligés 7000 euros d'amende et deux à cinq ans d'emprisonnement.  .

Oui ambiance ! Le ton était donné, cela a été dit aux autres numéros 1 des organisations syndicales conviés. De toute façon, la CGT respecte les institutions républicaines, quand on est sollicité par l’assemblée on n’a pas l’habitude de se dérober. C’est quand même assez étonnant dans cette rentrée sociale qui est si compliquée, que les parlementaires, n'aient rien d’autre à faire que de convoquer les numéros un des organisations syndicales pour parler de « groupuscules », puisque c’est le terme, que nous réfutons naturellement. J'ai commencé par leur dire que nous pouvions parler salaires, pouvoir d'achat et que s'ils voulaient faire une commission d’enquête sur les patrons voyous, sur la conditionnalité des aides, sur la question environnementale, ce serait avec grand plaisir ! Et ce qui est très inquiétant, c’est la place prise par le rassemblement national, lors de l'audition, il y avait six députés et sur les six, trois d'entre eux étaient du Rassemblement National et ont multiplié les provocations en direction de la CGT.

Par exemple ?

Ils ont commencé par s’adresser à nous avec des questions qui n’en étaient pas, sur le respect que nous n'aurions pas vis-à-vis des forces de l'ordre, sur ce point, l’ensemble des organisations syndicales a refusé de répondre. Un second est intervenu en ciblant particulièrement la CGT et la CFTC et une troisième est intervenue, très mécontente pour dénoncer le fait que je n’avais toujours pas répondu à leurs questions. Elle s'est permis de commenter mon agenda en s'insurgeant que je me rende le lendemain à Sainte-Soline soutenir des « écoterroristes ». J'ai répliqué que cela ne rentrait pas dans le cadre de la commission, et que la CGT ne répondait pas aux provocations. Mais on voit bien combien ce parti est un danger pour notre démocratie. S’il arrive au pouvoir, ses premières cibles seront les droits des travailleuses et des travailleurs, les syndicats, et bien entendu, la CGT.

 

Il doit y avoir un débat citoyen sur notre police républicaine

La CGT s'est inscrite, suite à la mort de Nahel, dans la journée d’action du 23 septembre contre le racisme systémique et les violences policières. Avec quelles revendications ?  

La CGT dit tout simplement qu'il doit y avoir un débat citoyen sur notre police républicaine.  C’est une nation tout entière qui définit quelle est la mission des enseignants, ce que les enfants doivent apprendre ou pas à l’école. Il devrait en aller de même pour le maintien de l’ordre et le problème, c’est que ce débat est empêché aujourd’hui. Il y a des raisons tout à fait légitimes au malaise profond des policiers, un manque de moyens matériel et humain, un déficit de formation, des directives inappropriés et le fait qu'ils et elles sont toujours envoyés sur n’importe quel front pour faire le sale boulot et répondre à tous les problèmes auxquels la société peut pas répondre. Mais il y a des choses qu’il faut changer en profondeur. D’abord les pratiques de maintien de l’ordre qui posent problème, et il faut arrêter avec les contrôles d’identité systématiques au faciès, par exemple, qui sont humiliants, stigmatisants et qui n'ont aucune utilité. En tant que femme blanche, je n'ai jamais eu à subir de contrôle. Il y a un recrutement, une formation qui doit interroger, notamment sur les questions de racisme.  L'armement des forces de police doit  aussi être interrogé, et la France, elle, a été condamnée à plusieurs reprises sur ce sujet par les institutions internationales. Et puis, il y a besoin de renouer avec des polices de proximité qui ne soient pas des Rambo. On fait débarquer de plus en plus des policiers qui ne connaissent pas les acteurs des quartiers, ne connaissent pas les dynamiques, les problématiques. Il y a besoin de développer, au contraire, la médiation, d’avoir une police en proximité, pour aider et accompagner les habitants des quartiers populaires. Je vais rencontrer le président du CESE, parce que nous pensons que ce ça pourrait être le lieu approprié pour entendre toutes les parties, les jeunes, les associations de quartier populaire, les organisations syndicales, les policiers aussi, entendre et pouvoir avoir une vision éclairée sur  les réponses à apporter, Ça serait intéressant aussi de faire des comparaisons européennes. Nous sommes le seul pays avec ce niveau de tensions, en Grande-Bretagne, les bobbies ne sont pas armés ! Nous devons aussi questionner l'indépendance de l'IGPN (police des polices, NDLR).  C’est la raison pour laquelle la CGT, elle, demande un débat citoyen sur cette question. Il n'est enfin pas possible qu’on ait une police qui se permette de faire des communiqués factieux menaçant le gouvernement ou les pouvoirs publics. C’est gravissime.

La CGT doit amplifier son combat contre l’imposture sociale du Rassemblement national

On t'a vue au printemps dernier refuser de répondre aux questions de la chaine C News, comment faire face à la saturation de l'espace médiatique par l'extrême droite ?

Le niveau de l’extrême droite aujourd'hui impose de renouveler la réflexion. Je pense malheureusement que les réseaux sociaux jouent un rôle très négatif, des réseaux sociaux qui sont achetés par des milliardaires, comme Elon Musk et qui, via leurs algorithmes polarisent les débats et valorisent les positions d'extrême-droite. Beaucoup de questions se posent de façon nouvelle, parce qu’on a une extrême droite décomplexée partout dans le pays qui exploite n’importe quelle polémique pour mettre en opposition la population. Et cela impose, pour la CGT, qui organise d'ailleurs un colloque sur le sujet le 5 octobre, d'être encore plus exigeante sur ses positions en termes de rassemblement du monde du travail et de ne pas tomber dans les pièges de mise en opposition sur les questions de laïcité, de mise en opposition entre le racisme et antisémitisme. L’antisémitisme n’est pas une question secondaire, et doit être toujours combattu. C’est une forme particulière, spécifique, qui mérite d’être identifiée en tant que telle. Nous assistons également à une islamophobie décomplexée avec des propos gravissimes, de Valérie Pécresse (présidente LR du conseil régional d'Ile de France, NDLR) à Eric Ciotti (président des Républicains, NDLR).  La CGT doit aussi amplifier son combat contre l’imposture sociale du Rassemblement national, démontrer combien est-ce que le Rassemblement national joue contre le monde du travail, comment ils votent à l'Assemblée nationale contre les augmentations de salaire à chaque fois que c'est débattu. Et puis, le troisième point de vigilance sur l’extrême droite, c’est la question environnementale. Plus le pouvoir tarde à prendre des décisions sur ce sujet, plus la question environnementale exacerbe la violence des rapports de classe. On est en train de basculer dans l’inconnu avec des phénomènes climatiques qui pèsent sur les plus pauvres, les plus précaires. Tout le monde n’a pas les moyens d’avoir la clim dans son bureau, chez soi. Plus la situation s'aggrave, plus elle impose des mesures rapides, urgentes et violentes, qui risque de se faire au détriment du monde du travail avec des dizaines de milliers d'emplois menacés. Sans parler des réfugiés climatiques, alors que des parties immenses de notre planète risquent de venir inhabitables. Cela exacerbe les tensions sociales, avec une extrême droite qui a maintenant aussi comme fonds de commerce le climato-scepticisme et une forme de pragmatisme en mode : « je refuse les éoliennes parce que c’est moche », « on veut continuer à pouvoir vivre comme on a toujours vécu » et qui prospère sur la négation de l’enjeu environnemental. Pour la CGT,  la seule façon de répondre à l'enjeu environnemental, c'est de remettre en cause la répartition des richesses. Tant que cela ne sera pas fait, on n'avancera pas sur ces questions. Tant que le capital refuse cela, derrière ca crée un boulevard sur l'extrême droite. Il faut agir d’urgence sur les questions environnementales en remettant en cause le partage des richesses entre le capital et le travail, sinon on nous enferme dans le partage de la pénurie en disant : il n’y aura plus de croissance et donc les salariés et le monde du travail, sont condamné à remettre en cause leur mode de vie, mais le mode de vie à remettre en cause, c'est celui des ultra riches.

Pour la CGT,  la seule façon de répondre à l'enjeu environnemental, c'est de remettre en cause la répartition des richesses

La CGT a quitté le collectif Plus jamais ça lors du dernier congrès, comment aborde-t-elle désormais ces sujets ?

 La nouvelle direction met en œuvre, évidemment, la décision de congrès, qui est de quitter ce collectif tout en continuant à agir sur les questions environnementales. J'ai rencontré les principales ONG du collectif, Oxfam, la confédération paysanne, Greenpeace, et nous leur avons dit que nous étions disponibles pour des actions, des initiatives, des positions communes. Et ce que nous avons validé, c’est la mise en place d'un plan d’action syndicale pour l’environnement. Ce qui, je pense, est le plus important, c’est que la CGT, elle, agisse à partir de ses responsabilités. On ne répondra pas à l’enjeu environnemental si on ne transforme pas l’outil productif. Et la transformation d’outils productif, elle, ne se fera pas de l’extérieur elle se fera grâce à la pression des travailleuses et des travailleurs. Pour cela, nous lançons un plan d’action syndicale pour l’environnement dans lequel nous appelons tous nos unions départementales, nos territoires, nos fédérations, tous nos syndicats, réfléchir à leur échelle sur les choses qu’il faudrait transformer pour répondre au défi environnemental. La première étape, c’est d’avoir une formation, parce qu’il y a quand même encore une minimisation de l’enjeu environnemental et de l’urgence de ce défi. Là, il y a besoin que nous nous mettions au niveau là-dessus. Il y a quand même toute une littérature scientifique maintenant, qui identifie les leviers sur lesquels il faut agir. On doit pouvoir maintenant sortir de l’écologie de comptoir et aller sur des éléments factuels. Il y a un effort que chacun et chacune peut faire comme limiter sa consommation d'emballages plastiques, travailler sur le recyclage des déchets, jouer sur ses modes de transport. Mais ça ne suffira pas. On n’est pas totalement maîtres de nos choix :  sur les emballages plastiques, même si on fait très attention, il y a un suremballage et des produits quasi impossibles à trouver sans plastique, surtout à des prix abordables. Sur le fait de développer les circuits courts, ok mais s'habiller en Made in France, c’est quasiment impossible. Tout ne dépend pas de choix et de décisions individuels. Il y a des choses qui dépendent de choix collectifs et aussi d’organisation de l'outil productif. Et le dernier point, c’est qu’il y a une question d’exemplarité :  tant que les ultra-riches continueront à faire 100 fois le tour de la Terre chaque année en jet privé, cela donnera des exemples catastrophiques. C’est pour cela qu’il faut légiférer.

La période a été marquée par des luttes importantes sur le front de l'emploi des salaires, on t'a vue chez Vert Baudet, Clestra, Valdunes…Cela contredit totalement le récit gouvernemental sur l’amélioration du front de l'emploi industriel ?

Oui, ça contredit le récit sur l'emploi industriel qui s'est certes stabilisé mais qui n' a pas retrouvé le niveau de 2008-2009 Et pourquoi? Parce que la seule stratégie d'Emmanuel Macron est d’attirer les investisseurs. Mais on ne les garde pas. Les investisseurs viennent se gaver d'aides publiques, piller les savoir faire et repartent. C'est ce qu'il s'est passé par exemple chez le fabricant de roues ferroviaires Valdunes.

La CGT a enregistré plus de 40 0000 nouvelles adhésions lors du conflit des retraites, l'enjeu est maintenant de bien accueillir ces adhérents….

Cette génération 2023 n'est pas n'importe laquelle, elle n'est pas venue pour se faire défendre par la CGT mais pour agir et militer avec la CGT. On a une génération militante qui a envie d'agir sur plein de choses. En termes de capacité d'action, cet afflux de nouveaux syndiqués est un levier important. Et ce n'est que le début car ces militants sont arrivés un peu tous seuls à la CGT, nous ne sommes pas venus les chercher, on sait que l'image du syndicalisme est sortie grandie du mouvement. Que la CGT et les autres organisations aient été aussi soucieuses de maintenir l'unité a été quelque chose de très positif pour les salariés, 40 0000 ce n'est qu'un début, on a encore beaucoup de sympathisants à qui on peut proposer de rejoindre la CGT, avec un message clair :  on n'est pas là pour défendre les salariés mais pour les organiser et leur permettre de se défendre. Il faut expliquer ce qu'est la magie du syndicalisme,  nous ne sommes pas sur une action délégataire, on n'adhère pas pour soutenir mais on adhère pour agir, avec ses collègues pour transformer ses conditions de vie et de travail !

Les logiques de compétition électorale sont délétères car elles organisent aussi la division syndicale.

Ces nouveaux adhérents vont-ils pouvoir s'inscrire dans le cadre des futures élections professionnelles ?

Oui, nous allons proposer aux adhérents qui le souhaitent de monter des listes aux élections professionnelles. Si nous n'avons pas pu gagner lors de la réforme de retraites, c'est par ce que le syndicalisme et notamment la CGT n'est pas implantée dans suffisamment d'entreprises. Pour renforcer notre rapport de force, il faut créer un maximum de sections syndicales CGT !

Cette séquence sera telle l'occasion de reconquérir notre première place ?

Bien sûr. Mais la CGT n'est pas dans un match, l'enjeu n'est pas de savoir qui est premier ou second. Le match se fait contre les déserts syndicaux, ce n'est pas une course à l'échalote avec les autres organisations syndicales, qui au final ne profite qu'au patronat et au gouvernement. Sur la question de la mesure de la représentativité, le problème ces dernières années est que globalement le syndicalisme s'est affaibli. Sur ce point, la séquence des retraites permet d'enclencher une nouvelle page. L'enjeu est de renforcer le syndicalisme, le syndicalisme CGT bien sûr. Mais les logiques de compétition électorale sont délétères car elles organisent aussi la division syndicale.

*Entretien paru en version courte dans le numéro 18 de la Vie Ouvrière-Ensemble