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Le gouvernement de la ponction publique

4 mai 2014 | Mise à jour le 3 mai 2017
Par | Photo(s) : DR
Le gouvernement de la ponction publique

Le 15 mai, la quasi-totalité des syndicats appelle à une journée d'action dans la fonction publique. Pour la revalorisation des salaires durement éprouvés par le gel du point d'indice mais aussi pour l'emploi et les services publics. Qui risquent fort d'être les principales victimes du plan drastique d'économies de 50 milliards d'euros.

Ils ont beau en avoir déjà beaucoup vu, l'information leur fait quand même l'effet d'une douche froide. D'autant que tout est arrivé sans prévenir. Mercredi 16 avril, quand Manuel Valls prend la parole au sortir du conseil des ministres, inaugurant une forme de communication inédite, il indique, entre autres mesures d'austérité, que le point d'indice, qui sert au calcul de la rémunération de base de tous les agents de la fonction publique resterait gelé.

Pas franchement un scoop, puisque le budget pour l'année 2014 prévoit ce gel pour la quatrième année consécutive, tout comme une nouvelle réduction des enveloppes catégorielles. D'ailleurs, ces décisions de politique salariale étaient pour une bonne part à l'origine de l'organisation d'une journée d'action pour le 15 mai à l'appel de sept des neuf organisations syndicales représentatives.

 

Gel du point d’indice pendant 7 ans !

Mais, tout à coup, chacun se trouve saisi d'un doute. Alors que pour les retraites et les prestations sociales le premier ministre a clairement indiqué que leur revalorisation serait bloquée jusqu'en octobre 2015, rien de tel s'agissant du point d'indice de la fonction publique : Manuel Valls n'a pas précisé pendant combien de temps il s'appliquerait. La précision tombera quelques heures plus tard, assénée par Matignon : jusqu'en 2017… L'annonce fait l'effet d'un coup de massue. Elle contredit en effet les propos de la ministre de la réforme de l'État, qui affirmait courant janvier que le blocage du point ne serait pas maintenu « jusqu'à la fin de la mandature ». Elle va à l'encontre de tout ce qu'a pu prétendre le nouveau premier ministre dans son discours de politique générale en matière de dialogue social. Mais surtout, elle ferme à tous les fonctionnaires la perspective de voir la fin du tunnel : depuis juillet 2010 et une petite revalorisation de 0,5 %, la valeur du point n'a en effet pas bougé d'un iota.

 

Une provocation

C'est peu de dire que ce nouveau tour de vis indigne les syndicats. Pour Jean-Marc Canon, secrétaire général de l'UGFF CGT, « le gouvernement aurait délibérément choisi l'affrontement qu'il ne s'y prendrait pas autrement ». Même son de cloche dans les autres organisations. Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, voit dans cette décision « un désaveu » du travail des fonctionnaires et « une sanction » des personnels ; l'UNSA, qui n'est pas la plus gauchiste des organisations, n'est plus très sûre de se rendre aux futures négociations qui doivent s'ouvrir en mai « puisqu'il n'y a rien à négocier ». Le secrétaire général de la CFDT juge la décision inacceptable et estime qu'on ne peut simplement se contenter, comme l'a fait Manuel Valls, de saluer le travail des fonctionnaires – « Je sais ce que nous devons à nos fonctionnaires, si essentiels à la vie du pays » – pour aussitôt démentir ces propos dans les faits. Quant à FO, qui n'est pas signataire de l'appel unitaire à la journée du 15 mai, elle n'en appelle pas moins à une action, le même jour, convergente avec celle des sept autres organisations.

 

La« smicardisation » touche  5,2 millions de fonctionnaires

Les réactions sont à la mesure de la situation imposée aux agents de la fonction publique, qui est absolument sans précédent. « Si l'on prend comme référence la valeur du point en janvier 2000, date du dernier accord signé, le décrochage par rapport à l'inflation atteint 15 % », précise Jean-Marc Canon. Et qu'on ne vienne pas lui dire, selon l'argumentaire rodé par les communicants du gouvernement, que c'est là « la solution la moins pire », qu'il n'y a pas de gel des avancements et que les déroulements de carrière se poursuivent normalement. Quelques chiffres prouvent en effet tout le contraire. « Il n'y a plus de progression, au bout de quinze ans de carrière la moyenne des agents touche 20 euros de plus qu'au moment de leur embauche. Les qualifications ne sont plus reconnues : pour la catégorie B, dont les agents sont en moyenne recrutés à bac + 3, le salaire de début de carrière se situe à 2 % au-dessus du Smic tandis que pour les agents de catégories A, recrutés à bac +5, il est à 8 % au-dessus du Smic. Pour mesurer l'ampleur de la dégradation rappelons qu'il y a 25 ans, on recrutait en catégorie B à 75 % au-dessus du Smic… »

 

20 % des agents touchent moins que le SMIC

Cette « smicardisation » galopante touche la masse des quelque 5,2 millions de fonctionnaires : la proportion de smicards a ainsi doublé en vingt ans et 20 % du total des agents touchent un salaire mensuel inférieur au Smic du fait des temps incomplets imposés. La poursuite du gel du point d'indice n'améliorera pas les choses. Dans la fonction publique territoriale, par exemple, où les trois quarts des agents sont en catégorie C et où une forte proportion des personnels, relevant de petites localités, ne perçoit aucune prime, c'est l'ensemble de la rémunération qui est impactée.

On comprend donc aisément la colère que manifestent nombre de syndicalistes. Dans une lettre adressée le 18 avril à Marylise Lebranchu, Baptiste Talbot, secrétaire général de la fédération CGT des services publics, n'hésite pas ainsi à qualifier les annonces du premier ministre de provocation, d'insulte et d'agression. « Une provocation, car le premier ministre vient d'exposer sa conception du résultat de la négociation salariale à venir avant même que celle-ci ait débuté. Une insulte, car il prétend, avoir de la reconnaissance pour les agents, alors qu'il veut les condamner pour trois ans supplémentaires à la diète salariale. Une agression enfin, car les coupes budgétaires annoncées vont continuer de dégrader la qualité du service public et les conditions de travail des agents. »

 

Un choc sur les services publics

Car outre les rémunérations, ce sont les missions de services publics qui feront les frais du plan d'économie confirmé et détaillé par Manuel Valls dans son discours de politique générale. Et les agents de la fonction publique ne seront pas les seuls, loin s'en faut, à payer la facture. Certes, le premier 
ministre a confirmé la création de 60 000 postes en cinq ans dans l'éducation nationale et maintenu la priorité à la justice et à la sécurité.

Mais tous les autres secteurs, autrement dit la grande majorité, seront touchés par les restrictions budgétaires. « Or, dans bien des endroits, on est à l'os. Ce qui veut dire que de nouvelles économies et de nouvelles diminutions d'effectifs se traduiront concrètement par l'impossibilité de remplir des missions », relève Jean Marc Canon.

 

Economies ? L'ouverture au marché des activités rentables

À la fédération de la santé, on a tout simplement du mal à imaginer les conséquences de ces nouvelles coupes claires tant la situation apparaît déjà catastrophique. « Nous faisons déjà face à de véritables plans de licenciements dans les hôpitaux publics, étranglés par une dette abyssale. À l'hôpital de Nanterre, par exemple, ce sont 120 contractuels qui sont virés du jour au lendemain… » On redoute fortement l'accélération du mouvement dans les établissements hospitaliers, mais aussi dans les maisons de retraite et les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) où la situation est explosive avec 30 à 40 % de contractuels… « Alors que les besoins ne sont déjà pas couverts, qu'ils augmentent et continueront d'augmenter avec le vieillissement de la population et les progrès techniques, il semble aberrant de diminuer les budgets et donc les emplois. » Le résultat ne fait pour eux guère de doute : « la logique de ces économies est celle de l'ouverture au marché des activités rentables, notamment dans le secteur dit de la “silver economy”, avec au bout une aggravation des inégalités et une dégradation de la santé d'une fraction importante de la population ».

 

Collectivités locales : – 11 milliards

Même son de cloche dans les services publics. « Les 11 milliards d'économies annoncées sur le budget des collectivités locales auront évidemment des conséquences sur l'emploi, les conditions de travail mais surtout sur les services rendus aux usagers », précise Baptiste Talbot. Sans compter le « big bang » territorial annoncé. Avec la réduction par deux du nombre des régions en 2017, la suppression des conseils départementaux à l'horizon 2020 et la poursuite du processus de métropolisation, c'est plus de deux siècles de construction républicaine qui vont se trouver chamboulés. « Le risque, c'est d'assister à une forte concentration des décisions et des richesses dans quelques lieux, tandis que le reste du territoire serait laissé à l'abandon et voué à la désertification. »

 

Une démocratie rabougrie

Le risque c'est aussi de voir la démocratie, déjà bien malmenée, se rabougrir encore davantage.
À un mois du rendez-vous de mai, il est certes trop tôt pour dire ce qu'il en sera de la mobilisation. Ce qui est certain, en revanche, c'est que la date est déjà dans toutes les têtes tant les tensions sont fortes sur la situation salariale comme sur les conditions de travail. Et il se pourrait donc bien que le gouvernement, qui, à l'évidence, pense que les fonctionnaires ne se mobiliseront pas en grand nombre contre le gel du point d'indice, fasse là un pari 
risqué.