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ÉPARGNE

Le livret A mal loti

30 juillet 2014 | Mise à jour le 25 avril 2017
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Le livret A mal loti

Les faits. Le taux de rémunération du livret A passera de 1,25 % à 1 % le 1er août. Le contexte. Le faible taux d'inflation sert de justification à cette nouvelle baisse, qui pourrait bien profiter à d'autres placements plus rémunérateurs en dépit du risque encouru. Les enjeux. L'argent collecté par l'épargne populaire sert en grande partie à financer le logement social via la Caisse des dépôts. Il faut donc la préserver, et la baisse du taux du livret A n'est pas la solution, loin s'en faut.

Le ministre des Finances et des Comptes publics Michel Sapin a annoncé le 10 juillet que le taux de rémunération du livret A serait fixé à 1 % à partir du 1er août. C'est le taux d'inflation qui sert de base de calcul pour déterminer le taux de rémunération, et la raison officiellement donnée est un contexte de très faible inflation sur un an, de juin 2013 à juin 2014. Le placement financier préféré des Français est ainsi au plus bas niveau de toute son histoire. Dans un contexte où les petits épargnants piochent de plus en plus dans leurs économies pour faire face à des dépenses que ne couvrent plus leurs revenus, la baisse continue, depuis plusieurs années, du taux du livret A risque de détourner vers des placements spéculatifs une épargne destinée, via la Caisse des dépôts (CDC), à des politiques et services publics, parmi lesquels le logement social.

1. LE LIVRET A, QUÈSACO ?

Le livret A, qu'on appelait autrefois le « livret de caisse d'épargne » est le compte d'épargne réglementé et défiscalisé le plus utilisé en France. Il a été créé en 1818, en même temps que la Caisse d'épargne de Paris. Il s'agissait alors de solder la crise financière léguée par les guerres napoléoniennes en empruntant les économies du peuple. Plus tard, il a servi à initier et à encourager le dépôt d'argent en banque, à une époque où il n'y avait aucun système de protection sociale et où seule la bourgeoisie accédait à des titres d'épargne.

 

Quelques chiffres
Il y a actuellement 63 millions de livrets A, selon le rapport annuel de l'Observatoire de l'épargne réglementée. La moyenne des dépôts était de 4 063 euros fin 2013. Qui rapporteront donc désormais 40,63 euros sur une année pleine (contre 50,78 euros précédemment).
En réalité, derrière cette moyenne toute théorique se cachent d'importantes disparités, puisque l'encours, c'est-à-dire le solde, ne dépasse pas 150 euros pour 45 % de ces livrets. Quand, par ailleurs, le nombre de comptes qui affichent plus de 15 300 euros d'encours est passé de 8,1 % en 2008 à 11,7 % l'an dernier.

 

La base de calcul
Révisée deux fois par an, le 1er février et le 1er août, la rémunération du livret A doit en théorie suivre une formule de calcul automatique, basée notamment sur l'indice officiel de l'inflation « hors tabac » (selon la loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, toute référence à un indice des prix à la consommation ne doit pas prendre en compte le prix du tabac). Le taux de rendement doit être supérieur de 0,25 point au taux d'inflation constaté.
Or, le taux de l'inflation hors tabac est actuellement de 0,3 % selon les derniers chiffres de l'Insee (0,5 % avec le tabac). Ce qui aurait dû conduire à faire passer le taux actuel de 1,25 % – qui était déjà le taux le plus bas de son histoire – à 0,5 %. Le gouvernement aura donc décidé de « limiter la baisse » en la ramenant à 1 %.

 

Un placement toujours attractif… surtout pour les ménages aisés
Le rapport 2013 de l'Observatoire de l'épargne réglementée confirme que le livret A reste attrac­tif du fait des nombreux avantages qu'il offre : c'est un placement « liquide » (l'argent n'est pas bloqué), avec une exemption totale d'imposition et de prélèvements sociaux et, qui plus est, la garantie de l'État. Mais cette épargne est de plus en plus concentrée chez les ménages aisés qui économisent plus, de fait, et ont moins besoin de ponctionner leurs comptes pour payer leurs factures. En effet, si les livrets d'un montant supérieur à 15 300 euros ne représentaient fin 2013 que 12 % du nombre total de livrets, ils constituaient 58 % de l'encours global (contre 50 % en 2012).

2. LE DESSOUS DES CARTES

« Soucieux de trouver un équilibre entre la juste rémunération de l'épargne des Français, l'attractivité du livret A qui collecte de l'épargne pour financer la construction de logements sociaux, mais aussi la nécessité de préserver le coût des prêts aux organismes de logement social, qui dépend directement du taux du livret A, le gouvernement a décidé de fixer le taux du livret A à 1 % », argumente le ministère des Finances et des Comptes publics. Qui souligne que le taux choisi est supérieur au taux de 0,50 % qui devrait « normalement » prévaloir et qu'il est bien au-dessus de l'inflation actuellement constatée. Un cadeau, en quelque sorte.

 

Un pouvoir d'achat à géométrie variable
Mais pour les ménages populaires, la hausse des prix des denrées de base ou de l'énergie est beaucoup plus importante que le taux moyen de la hausse des prix à la consommation. Ce qui veut dire que la baisse du taux du livret A accentue une baisse du pouvoir d'achat de leur épargne. Le Conseil national des associations familiales laïques (Cnafal) s'en indigne : « Le livret A d'épargne est vraiment un placement populaire : 95,5 % des Françaises et Français détiennent un livret. [Il] sert à une majorité de précaires à économiser euro par euro pour boucler les fins de mois. Un quart des Français le prennent aussi en cas de pépin ou de facture imprévue. Ceci explique que les épargnants qui ont les livrets les moins bien dotés (une majorité) l'utilisent pour des petites sommes et pour “perdre” le moins d'argent possible. Un pour cent d'intérêt pour toutes ces familles ! »

 

Tendance à la décollecte
Les sommes déposées en mai sur le produit d'épargne préféré des Français ont été inférieures aux retraits. Soit une « décollecte » nette de 90 millions d'euros, selon les chiffres publiés par la Caisse des dépôts. C'est la deuxième fois que le livret ne fait pas recette depuis le début de l'année. En février avait été enregistrée une collecte nette de moins 21 millions d'euros. Sur les cinq premiers mois de l'année, toutefois, le solde de 2,41 milliards d'euros est encore positif. Mais c'est beaucoup moins que les 14,88 milliards supplémentaires accumulés au cours de la période comparable de 2013.
La tendance risque de se poursuivre. Car les petits épargnants piochent dans leurs réserves pour faire face à des dépenses qu'ils ont de plus en plus de mal à assurer avec leurs revenus. Le chômage, la précarité des situations, l'appauvrissement d'un nombre grandissant de foyers jouent, en dépit de l'argumentation officielle qui met en avant le faible taux d'inflation et la hausse relative du pouvoir d'achat quand, en réalité, les inégalités s'accroissent et que c'est le pouvoir d'achat des plus riches qui infléchit la balance.

 
Rêves de banques
Depuis le 1er janvier 2009, toutes les banques peuvent distribuer le livret A, alors qu'auparavant, l'exclusivité de la distribution revenait aux opérateurs historiques que sont la Banque postale, la Caisse d'épargne et le Crédit mutuel. Mais leur intérêt est ailleurs : elles aimeraient bien capter davantage d'une épargne qui atteignait 371 milliards d'euros fin mai, entre le livret A et le livret de développement durable, au profit de placements plus rémunérateurs, comme les assurances-vie. En baissant le taux du livret A, le gouvernement favorise encore ces solutions d'épargne gérées par les banques, qui mettent les dépôts directement à leur disposition pour spéculer.
Lorsque la distribution du livret A a été étendue à toutes les banques, elles se sont engagées à financer les PME – c'était l'objectif officiel de cette ouverture – et à fournir un rapport sur l'utilisation des fonds collectés. Mais « malgré les demandes répétées du président et du rapporteur général de la commission des finances, nous n'avons jamais reçu ce document que nous attendons depuis près de deux ans », déclarait déjà Henri Emmanuelli en novembre 2012, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale.

 

Financement du logement social : où en est-on ?
La baisse du taux du livret A risque d'accentuer encore le détournement d'une épargne en grande partie destinée au logement social, via la Caisse des dépôts, vers des placements spéculatifs qui sont à la source de la crise. Les fonds centralisés à la Caisse des dépôts constituent en effet la ressource qui permet de financer, sous forme de prêts à très long terme (de vingt à quarante, voire cinquante ans), des priorités publiques, définies par l'État. En premier lieu, le logement social : les prêts sur fonds d'épargne représentent en moyenne 70 % du financement d'un logement social.

L'argument gouvernemental (déjà utilisé pour les années précédentes) consiste à dire que la baisse du taux de rendement de l'épargne populaire se traduira par un abaissement des taux auxquels les organismes HLM empruntent, leur permettant d'économiser plusieurs centaines de millions d'euros en année pleine, et ainsi de financer plus de logements sociaux. Mais, outre qu'on est encore loin du chiffre annoncé des 150 000 logements sociaux supplémentaires, quand il y a 1,7 million de demandes en attente, il est faux de laisser croire que l'on résoudra le problème par la baisse du taux du livret A. Car ce qui pénalise aujourd'hui la construction de logements sociaux, ce n'est ni le manque de ressources ni leur coût pour les bailleurs sociaux, mais plus largement les questions du foncier disponible, de l'absence de volonté de certaines collectivités locales, alors que la baisse du pouvoir d'achat ne permet plus un parcours résidentiel pour la majorité de salariés.

3. UN PÔLE FINANCIER PUBLIC

Pour la CGT, il importe de mettre en place un pôle financier public dont l'un des objectifs serait de diriger l'épargne populaire vers la satisfaction des besoins sociaux et économiques. Sa mission consisterait à permettre à tous les habitants de se constituer une épargne et de garantir la sécurité de celle-ci. La sécurisation et l'usage de cette épargne au service de la satisfaction des besoins sociaux et économiques posent la question de leur centralisation et de la banalisation des livrets dans les établissements bancaires, qui porte atteinte aux objectifs visés par ce type d'épargne.
Pour la grande majorité des salariés, des privés d'emploi et des retraités, la meilleure garantie pour préserver le pouvoir d'achat et la capacité d'épargner qui en fait partie reste d'augmenter les salaires, les pensions et les minima sociaux. Cela nécessite de dynamiser l'économie par la création d'emplois et les investissements productifs. Pour la CGT, la baisse du taux de l'épargne populaire n'est pas la solution. Au contraire.