En plaçant son héroïne d'âge mûr sous le soleil d'Ibiza pour fuir la noirceur du nazisme, Barbet Schroeder revient sur l'impossible pardon. La rencontre avec un jeune DJ allemand va bousculer cet exil. Une belle fable.
Elle s'exprime en anglais. Pas un mot d'allemand pour elle. Pas de Riesling. Pas de Volkswagen non plus. Martha, septuagénaire germanique, belle et butée, rejette tout ce qui lui rappelle son pays natal et l'horreur du nazisme. À l'origine de la colère – encore après tant d'années – qu'elle essaye d'apaiser en tendant son visage au soleil et à la mer bleue d'Ibiza. Dans sa charmante demeure blanche nichée à flanc de montagne, un violoncelle et la photo d'un homme en noir et blanc, posés au milieu du salon, marquent les vestiges d'une vie passée, les vieilles blessures traînées comme un boulet.
Adoucir oui, oublier, jamais. En 1989, alors que la chute du mur de Berlin et les images de réunification et de réconciliation s'affichent dans tous les journaux du monde, cette tranquillité de façade est bousculée par l'arrivée de Jo, un jeune et beau voisin allemand, venu tenter sa chance dans la musique électronique sur l'île. Il vient à elle cherchant de l'aide avec une main brûlée, elle le soigne avec un baume d'aloe vera. À partir de cette scène de départ, Barbet Schroeder bâti tout son récit en contre-pied.
RENCONTRE IMPROBABLE
À travers cette rencontre improbable, une voie vers l'apaisement va s'ouvrir. C'est la naissance d'un lien entre deux personnages qui l'emporte plutôt que la naissance d'un pont entre deux musiques : le mariage du classique et de l'électronique est une impasse, tant leur opposition et leur union semblent artificielles et didactiques selon les séquences.
Le film compte plusieurs réussites. D'abord, celle de Martha, le personnage central et l'incarnation qu'en offre son homonyme Marthe Keller. Belle, touchante et sobre. Elle rayonne presque autant que la somptueuse lumière du directeur de la photo Luciano Tovoli, qui sublime la splendeur du décor naturel, loin de tous les clichés commerciaux et touristiques.
Les décalages en cascade sont également à la faveur du scénario. Celui des langues, avec l'allemand (relégué à quelques personnages), l'anglais (aussi universel que la musique), l'espagnol (simplement absent) et le catalan (parlé avec les locaux). Celui des situations, avec un jeune DJ qui tombe amoureux d'une violoncelliste retraitée, elle-même venue en Espagne non pour parfaire son bronzage, mais pour survivre à d'obscurs souvenirs… Le cinéaste n'hésite pas devant les non-dits, les silences gênés. C'est fragile et beau.
La confrontation entre Martha et la mère du jeune homme au sujet de la réconciliation entre les deux Allemagnes est sèche, franche et beaucoup plus efficace que le déballage filandreux et larmoyant d'un Bruno Ganz. C'est ce qu'on aime dans le cinéma de Barbet Schroeder : sa sincérité, sa générosité en toute simplicité.