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35 HEURES

Le temps de travail cible du Medef

12 octobre 2014 | Mise à jour le 19 avril 2017
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Le temps de travail cible du Medef

Le Medef vient de publier ses propositions prétendant créer « un million d'emplois » d'ici cinq ans. Parmi elles, la remise en cause de la limitation à 35 heures de la durée légale hebdomadaire du travail.

Les faits. Le Medef vient de publier ses propositions prétendant créer « un million d'emplois » d'ici cinq ans. Parmi elles, la remise en cause de la limitation à 35 heures de la durée légale hebdomadaire du travail.

Le contexte. Le Medef, dans la droite ligne de son offensive contre les salariés et le Code du travail, vise en réalité la modération salariale et l'exonération des heures supplémentaires.

Les enjeux. La réduction du temps de travail sans diminution de salaire est au cœur d'une démarche de progrès social inscrite dans l'histoire des luttes et qu'il convient de défendre.

«Nous ne remettons pas en cause les 35 heures », a déclaré Pierre Gattaz lors de la présentation, le 24 septembre, des propositions du Medef, dont l'objectif annoncé est d'aboutir à la création d'un million d'emplois en cinq ans. Devant le tollé suscité une semaine auparavant par la révélation, par le journal Les Échos, des principales mesures préconisées – parmi lesquelles figure en bonne place la remise en cause du cadre légal des 35 heures –, le Medef a changé… de vocabulaire.

Désormais, il parle d'« en finir avec le principe d'une durée légale imposée à toutes les entreprises ». Et dans la foulée, pour « libérer des dynamiques de création d'emplois », il suggère d'augmenter la durée annuelle travaillée en supprimant des jours fériés. Comme il veut augmenter encore l'âge de départ en retraite.

Certes, le premier ministre Manuel Valls a mis en garde le Medef contre toute provocation et surenchère dans son discours de politique générale du 16 septembre. Il n'en reste pas moins qu'un réexamen de la loi des 35 heures est dans l'air du temps. Comme le confirment les propos provocateurs d'Emmanuel Macron. Une commission d'enquête « relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail » a d'ailleurs été créée en mai dernier. L'objectif est de « dégager des solutions partagées afin de mieux concilier bien-être au travail et performance économique », ont déclaré Philippe Vigier, président du groupe et Thierry Benoît, député UDI et auteur de la demande.

La CGT, auditionnée le 4 septembre dans le cadre de cette commission d'enquête, a réaffirmé quant à elle l'importance de la question de la réduction du temps de travail comme partie intégrante de la démarche de progrès social qu'elle défend.

1. LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL

La question de la réduction du temps de travail se pose depuis les débuts de l'ère industrielle. Elle fait partie des luttes ouvrières du XIXe siècle et accompagne tout au long du XXe siècle la progression de la productivité du travail avec le machinisme : on produit de plus en plus et de plus en plus vite. L'aspiration au progrès social qui la sous-tend cède cependant la place, à la fin du siècle précédent, à la préoccupation de réduire le chômage.

 

La réduction du temps de travail dans l'histoire

Les « lois Aubry » de 1998 et 2000 s'inscrivent dans une longue tradition de luttes syndicales et politiques, inaugurée dès 1841 avec la loi limitant le temps de travail des enfants à 12 heures par jour de douze à seize ans, et à 8 heures par jour de huit à douze ans. Puis, ce furent successivement la journée de travail fixée à onze heures en 1900, la semaine de six jours avec la loi de 1906 sur le repos dominical, la semaine de quarante heures créée par le Front populaire en 1936 et l'ordonnance de 1982 instituant la semaine de trente-neuf heures sous la présidence de François Mitterrand.
Plus récemment, la « loi Robien » de 1996 a, pour la première fois, offert des allégements de cotisations patronales en contrepartie d'embauches (au moins 10 % en CDI) liées à une réduction des temps de travail dans l'entreprise.

 

Les lois Aubry et Fillon

La première loi Aubry du 13 juin 1998 a ramené la durée hebdomadaire du travail de 39 heures à 35 à compter du 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et au 1er janvier 2002 pour les autres. Sous condition d'un accord d'entreprise, un dispositif incitatif de baisse des cotisations sociales ciblé sur les bas salaires était mis en place pour anticiper le calendrier imposé par la loi. Mais c'est la loi dite « Aubry II » qui, à partir du 19 janvier 2000, fixe le cadre général de la mise en œuvre des 35 heures, avec un allégement de cotisations dégressif en fonction du salaire. Elle n'est plus conditionnée à une baisse effective de 10 % de la durée du travail, ni à un volume minimum d'embauches, mais à l'existence d'un accord majoritaire ou d'un référendum sur le passage aux 35 heures. Concrètement, le salarié peut continuer à travailler 39 heures, mais certaines heures supplémentaires qu'il effectue (4 heures par semaine) sont cumulées pour être utilisées sous forme de demi-journées ou de journées complètes de repos : les « RTT ».
La « loi Fillon », elle, a fusionné les aides Juppé et Aubry pour en faire un dispositif unique d'aide aux bas salaires. Toutes les entreprises bénéficient de la réduction des cotisations sociales dégressive selon le salaire. Le régime des heures supplémentaires est relevé à 180 heures, permettant de facto d'imposer 39 heures de travail hebdomadaire.

 

Une réalité contrastée

La durée légale du travail ne constitue qu'un seuil au-delà duquel les heures supplémentaires sont comptabilisées, et ne doit pas être confondue avec la durée effective du travail. La durée moyenne hebdomadaire pour l'ensemble du salariat à temps complet est estimée actuellement à 39,5 heures d'après la dernière enquête de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Entre 2003 et 2011, elle a augmenté pour toutes les catégories socioprofessionnelles : + 2,3 % pour les ouvriers, + 2,2 % pour les employés, + 4,3 % pour les professions intermédiaires et jusqu'à + 5,8 % pour les cadres.
En ce qui concerne la création d'emploi qui a prévalu dans l'esprit des lois Aubry, la Dares a calculé qu'entre 1998 et 2002, elle avait permis 350 000 embauches, auxquelles il faut ajouter près de 50 000 emplois indirects dans les secteurs du sport, des loisirs, et du tourisme, précise-t-elle.

2. LES ARGUMENTS ULTRALIBÉRAUX

Le discours ultralibéral trouve son expression achevée dans la formule qui a fait les beaux jours de la présidence de Nicolas Sarkozy, « travailler plus pour gagner plus ». La réalité historique dément pourtant une telle affirmation : le temps de travail annuel a été divisé par deux depuis la fin du XIXe siècle, mais la qualité de vie et le pouvoir d'achat d'un ouvrier d'aujourd'hui ne se compare
pas avec la situation d'un prolétaire de 1900.
La baisse du temps de travail est l'une des cibles privilégiées de la droite et du patronat. Leur argumentation, reprise dans les propositions du Medef, se base sur une série de contre-vérités arc-boutées sur la notion de compétitivité. Elles cachent un objectif réel : après les nombreuses dérogations obtenues depuis la loi Fillon de 2002, il s'agit pour le Medef de « vider » de facto la référence aux 35 heures afin d'obtenir la suppression des obligations de majoration pour les heures supplémentaires. Et donc finalement baisser les salaires…
Le pays où l'on travaille le moins ?

Hervé Mariton, député de la Drôme, l'a récemment résumé en une formule lapidaire : « On est le pays où l'on travaille le moins dans la semaine, dans l'année et dans la vie. »
Or, selon Eurostat, l'organisme de statistique de la Commission européenne sur lequel se fonde notamment l'Insee, si l'on cumule temps complet et temps partiel, les Français, avec une moyenne de 37,2 heures de travail hebdomadaire, précèdent les Allemands (35,3 heures), les Italiens (36,9 heures), les Néerlandais (30 heures) ou encore les Britanniques (36,5 heures). Ces chiffres sont d'ailleurs confirmés par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Sur une année, l'organisation recense 1 478 heures travaillées par actif en 2013 pour la France contre 1 387 heures pour l'Allemagne – le « modèle » auquel nous sommes pourtant sans cesse renvoyés.
Quant à travailler moins « dans la vie », là encore l'assertion est fausse : Avec 34,6 années travaillées en moyenne, le Français se situe légèrement en dessous de la moyenne européenne (35 ans), selon Eurostat. Et on trouve, plus bas dans le classement, des pays comme l'Italie (30,5 ans), la Grèce (32 ans) ou encore la Belgique (32,2 ans). La différence avec le salarié allemand – 34,7 heures – est marginale.

 

La solution du Medef

« Revoir le cadre légal de la durée du travail », annonce sobrement le Medef dans son cahier de propositions intitulé Un million d'emplois, c'est possible (1). Il réitère le constat mensonger que la durée effective du travail en France est l'une des plus faibles d'Europe et qu'en conséquence, le travail « coûte » plus cher en France. « Le coût du travail a été alourdi par la baisse du seuil de déclenchement des heures supplémentaires. L'aspect culturel de cette diminution de la durée du travail est par ailleurs très fort, et semble avoir distancié les salariés français de la valeur travail. Un tel cadre apparaît inadapté aux nouveaux modes de travail liés aux évolutions de notre société. », assène-t-il. Sa solution ? « En finir avec le principe d'une durée légale imposée à toutes les entreprises. Prendre en compte la diversité des situations, des secteurs d'activités, et permettre la fixation négociée d'une durée du travail, au niveau de l'entreprise. » Pour les entreprises qui sont moins en mesure de négocier, et notamment les TPE-PME, il renvoie à une négociation au niveau de la branche.
Cerise sur le gâteau, il propose par ailleurs de supprimer un ou deux jours fériés et d'en accoler certains autres à un week-end pour, dit-il, « éviter les phénomènes de ponts ».

 

3. Garder le cap d'une démarche de progrès social

La CGT a été auditionnée le 4 septembre par la commission d'enquête « relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail ». Nasser Mansouri Guilani, conseiller confédéral responsable du pôle économique, résume :
c la question de la réduction du temps de travail fait partie intégrante d'une démarche de progrès social. Il faut la replacer « dans la perspective d'un nouveau mode de développement économique et social, de ce que la CGT a appelé un développement humain durable » ;
c le passage aux 35 heures n'a pas nui aux entreprises et a même été à la source de création d'emplois, malgré leur insuffisance ;
c l'obligation de création d'emploi a été abandonnée. Or, « si on baisse le temps de travail sans création d'emploi, la charge de travail va augmenter pour les salariés et la dégradation des conditions de travail va s'accentuer, ainsi que la flexibilité » ;
c les 35 heures restent la référence légale, mais ce n'est pas la réalité effective.
La réduction du temps de travail est un objectif en soi : celui de l'émancipation des salariés. Pour que cela réussisse, il faut un changement profond de l'affectation des gains de productivité au profit des salariés et de l'investissement productif. Ce n'est pas une question de partage du travail, bien au contraire : « Il est important en même temps qu'on augmente le volume de l'emploi. (…) Il ne s'agit pas de dire : “il y a un volume constant de l'emploi, donc on fait une réduction du temps de travail pour qu'on ait plus d'emplois.” Non, on a besoin de plus d'activité et donc de plus d'emplois. »
Au-delà, il s'agit aussi d'obtenir de nouveaux droits pour les salariés, un mieux-être social et une meilleure qualité de vie au travail. Pour la CGT, une modification du cadre légal ne peut qu'aller dans ce sens.

 

(1) L'intégralité du document est disponible sur un site dédié par le Medef à son programme : www.1milliondemplois.fr