À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
Réforme des retraites

L’enfumage de la communication gouvernementale (4/4)

10 mars 2023 | Mise à jour le 10 mars 2023
Par
Dès le lancement de son projet de réforme des retraites, le gouvernement a multiplié les arguments pour justifier ses choix. Mais ses éléments de langage ne font plus illusion. Décryptage

« Nous conservons une ambition de justice et de progrès », dixit Élisabeth Borne, première ministre, le 10 janvier 2023, à l'occasion de la présentation de son projet de réforme des retraites.

L'augmentation du risque de pauvreté n'est pas un progrès. Mécaniquement, le projet de réforme des retraites voulu par le gouvernement va faire baisser les pensions de retraite. Au moins pour une raison : comme c'est déjà le cas ailleurs en Europe, les Français ne pourront pas travailler jusqu'à 64 ans et partiront avant avec une décote. Or, le risque de pauvreté des retraités est un vrai sujet.

Selon Eurostat (chiffres de 2021), la pauvreté menace en moyenne 16,8% des plus de 65 ans en Europe. (19% en Allemagne ; 17,5% en Espagne ; 15 ,6% en Italie).

Or, en 2021, avec 10,9% de personnes de plus de 65 ans en situation de pauvreté, la France affiche l'un des taux les plus bas de l'Union européenne après le Luxembourg (9,1%), la Slovaquie (10,3%) et la République tchèque (10,5%).

Le risque, avec cette réforme des retraites, c'est l'appauvrissement des plus de 65 ans.

L'ambition de justice, une imposture

Parce qu'il dit revaloriser les petites pensions, l'exécutif prétend que sa réforme fait œuvre de justice grâce à des mesures telles qu'une retraite plancher de 1 200 euros ou la prise en compte des congés parentaux. Il annonçait même qu'à l'inverse de ce qu'il se passe actuellement, les femmes partiraient à la retraite avant les hommes.

Si dans un premier temps les intéressés ont pu accueilli les annonces favorablement, un mois plus tard, ils déchantent.

– Peu de petites pensions seront revalorisées à hauteur de 1 200 euros. Qu'il s'agisse d'économistes aussi éloignés l'un de l'autre que Michaël Zemmour et Dominique Seux, de l'institut de politiques publiques (IPP) ou de tout autre expert ayant décortiqué le mécanisme de revalorisation des petites pensions, il y a consensus : cette revalorisation, qui ne dépassera pas les 100 euros, ne bénéficiera qu'à un faible nombre de personnes.

À partir de « cas types » l'IPP a montré que la réforme aura des effets très différents selon les situations. Ainsi, un salarié payé au Smic pour un temps plein pendant toute sa carrière et qui dispose de tous ses trimestres verra sa retraite à taux plein renchérie d'une somme « inférieure à 100 euros » par mois. Sa retraite sera cependant très « près des 1 200 euros brut » promis par le gouvernement. Mais un autre salarié, ayant « travaillé toute sa vie au Smic à mi-temps », bénéficiera d'une hausse de 100 euros par mois « mais ses moindres cotisations au régime complémentaire du privé [en raison de sa faible rémunération] ne lui permettent d'atteindre que 1 015 euros brut après réforme ».

Si l'IPP considère qu' « il est difficile de déterminer [l']impact redistributif » du projet de réforme, il estime que « moins de 10 % des nouveaux retraités sont potentiellement concernés » par le relèvement maximal de 100 euros. D'autre part, une majorité de retraités, « ne seraient pas concernés par la revalorisation ».

– La prise en compte des congés parentaux ne devrait concerner qu'un peu plus de 2 000 femmes par an.

À titre indicatif, en 2017, le nombre de femmes en congé parental à temps plein était estimé à… 119 000 par la DREES (direction statistique interministérielle en santé et social).

De plus, très peu de femmes réunissent les critères exigés : il est prévu que les périodes de congé parental soient prises en compte dans la limite de 4 trimestres, pour partir de manière anticipée à 62 ans dans le cadre du dispositif de carrière longue.

– Les mères perdent l'avantage des trimestres liés là la maternité et à l'éducation des enfants (8 dans le privé et 4 dans la fonction publique)

Or, ces trimestres participaient à compenser les inégalités de carrière professionnelles entre les hommes et les femmes. Mécaniquement, le recul à 64 ans de l'âge de départ à la retraite amoindri voire gomme cette compensation. Elles devront donc travailler plus longtemps.

L'étude d'impact de la réforme montre d'ailleurs que les femmes nées en 1972 devront travailler 9 mois de plus alors que les hommes devront travailler 5 mois de plus. Un effet qui s'accentue pour les générations suivantes.

Les femmes doivent cependant faire confiance au gouvernement : les droits familiaux seront de nouveau débattus dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale… 2024, a annoncé le ministre du Travail, Olivier Dussopt, le 13 février 2023 sur France Info. Trimestres liés à la maternité ou encore pensions de réversion, ces dispositifs seraient dépassés dans leur forme actuelle a en effet estimé le ministre. Alors pourquoi vouloir faire adopter un projet de réforme déjà périmé en partie ?

Plus les Français se penchent sur le projet de réforme, plus ils découvrent les approximations et mensonges par omission du gouvernement. Et plus ils comprennent que cette réforme n'est pas du tout au service des retraites mais de la désescalade du déficit public. Pourtant, alors que les dividendes explosent, que les inégalités deviennent abyssales… La question de la mise à contribution des plus riches est encore minoritaire dans l'hémicycle et l'exécutif estime que c'est là un sujet qui n'a rien à voir avec celui des retraites. Cependant, il n’est probablement pas totalement étranger au succès que remportent à travers la France les manifestations contre la réforme des retraites.