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HISTOIRE

Les archives cadenassées par le gouvernement et la majorité

18 septembre 2021 | Mise à jour le 17 septembre 2021
Par | Photo(s) : Stéphane Méziache / SCN Archives Nationales
Les archives cadenassées par le gouvernement et la majorité

Salle de lecture du Centre d’accueil et de recherche des Archives nationales (Caran), rue des Quatre-fils, à Paris (IIIe), construit par l’architecte Stanislas Fiszer.

Le gouvernement et sa majorité introduisent de nouveaux blocages à l'accès aux archives nationales. Les protestations se multiplient, au nom de la démocratie.

Tout un symbole. C'est dans le cadre de la loi relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, adoptée en procédure accélérée en juillet dernier que la ­majorité au Parlement a voté l'article 19, qui porte sur l'accès aux archives. Et ce n'est pas Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, qui a répondu aux parlemen­­­taires, mais Florence Parly, ministre des Armées. Car l'article 19 introduit au nom de la sécurité ­nationale de nouvelles exceptions au délai de cinquante ans prévu pour la déclas­sification – c'est-à-dire l'autorisation de consultation – de certains documents dits sensibles. Outre ceux relatifs aux armes nucléaires, ce qui était déjà le cas, ces nouvelles exclusions concernent les bâtiments, les matériels de guerre, s'ils sont toujours en service, et les procédures opérationnelles et techniques de renseignement si elles sont toujours utilisées. Des pans de notre histoire sont ainsi devenus inaccessibles comme les 17 essais nucléaires au Sahara qui ont perduré après l'indépendance de l'­Algérie ou en Polynésie. Un cadenassage qui fait suite à une série d'autres blocages contre lesquels se mobilisent des orga­nisations d'archivistes – dont le syndicat CGT –, d'historiens, et des associations telles que l'Association Josette et ­Maurice Audin.

Droit d'accès des citoyens depuis la Première République

C'est en juillet 1789 qu'est créé le service des archives de l'Assemblée constituante. En septembre, elles deviennent Archives nationales. La loi du 7 messidor, an II (25 juin 1794) fait du libre accès des citoyens à ces archives un droit civique, la société ayant le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration. Elles passeront en mai 1800 sous autorité du ministère de l'Intérieur.

En 1936, Jean Zay, ministre de l'Éducation nationale dans le gouvernement du Front populaire, décrète que les ministères, administrations, services d'État… doivent verser les leurs aux Archives nationales et ne peuvent décider de leur destruction sans en soumettre la demande. Elles passent en 1958 sous l'autorité du ministère de la Culture.

En 1979, une loi fixe les délais de communication des documents : trente ans pour le droit commun et entre cinquante et soixante ans s'ils mettent en cause la vie privée de personnes ou concernent la sûreté de l'État, la défense nationale, le secret-défense, plus dans certains cas (données individuelles médicales…). La loi exclut donc de la consultation les ­dossiers relatifs au régime de Vichy ou à la guerre d'Algérie, à celle d'Indochine, aux massacres à Madagascar (1947) ou au Cameroun (jusqu'en 1960)… Des ­dérogations sont éventuellement délivrées à certains chercheurs, mais par les services de provenance.

En 1996, Guy Braibant, conseiller d'État, remet un important rapport à ce sujet au Premier ministre, Alain Juppé. Il préconise la réduction des délais d'accessibilité, sous condition de protection de la vie privée, de la sûreté de l'État et de la défense nationale. Il faut attendre ­juillet 2008 pour que ce rapport inspire une loi dite « d'équilibre », laquelle rend les documents communicables de plein droit après cinquante ans. Pour autant, souligne Isabelle Foucher, du syndicat CGT des Archives de France, « si la loi fixe le principe de libre communicabilité, elle instaure une nouvelle catégorie de documents à jamais incommunicables (ceux relatifs aux armes de destruction massive), maintient le principe de dérogations, par principe discrétionnaire, et légalise la privatisation de la gestion des archives non définitives. »

De l'IGI 1 300 à l'article 19 ou l'emprise de la Défense

En 2011, une révision de l'instruction générale interministérielle (IGI) sur la protection du secret de la défense ­nationale (IGI 1 300) précise que tout document portant la mention « secret-défense » doit être déclassifié par l'autorité compétente avant de pouvoir être communiqué. Les derniers événements de la guerre d'­Algérie atteignent alors leur cinquantenaire… Mais comment une IGI serait-elle au-dessus de la loi, au mépris de la hiérarchie des normes ?

En janvier 2020, le Secrétariat général à la Défense et à la Sécurité nationale (SGDSN) en demande pourtant une application stricte, obligeant les administrations à déclassifier un à un les documents. Comme l'écrivent l'Association des archivistes français (AAF), celle des historiens contemporanéistes de l'enseignement supérieur et de la recherche (AHCESR), et l'Association Josette et Maurice Audin : « Des documents qui étaient librement communicables et communiqués, des documents qui avaient été publiés dans de nombreux livres d'histoire sont, aujourd'hui, inaccessibles. Premièrement, l'obligation de faire mettre une marque de “déclassification” par les services producteurs émetteurs crée des procédures chronophages (en réalité inapplicables). […] Deuxièmement, cela permet aux administrations de faire obstacle à la communication d'archives publiques. » Avec l'IGI 1 300, de nombreux travaux de recherches doivent s'interrompre, sur Vichy, la IVe République, la guerre d'Algérie… Les promesses d'Emmanuel Macron à Josette Audin, en 2018, sur l'ouverture d'archives sur les disparus d'Algérie, alors qu'il reconnaissait que Maurice Audin avait été tué par l'armée française, restent lettre morte.

La question du rôle de la France au Rwanda avant, pendant, et après le génocide des Tutsis, en 1994, est aussi en jeu. Suite aux plaintes de rescapés tutsis en 2005, la justice demande l'ouverture des archives. Elle restera partielle. En 2019, Emmanuel Macron crée une commission autour de l'historien Vincent Duclert, qui remet son rapport en mars dernier. Une avancée importante. Mais où des zones d'ombre demeurent faute d'un réel accès à toutes les archives.

En février 2020, deux tribunes paraissent dans Le Monde pour protester contre cette IGI, l'une de douze historiens étrangers et l'autre de chercheurs et chercheuses français. Ils dénoncent une restriction sans précédent à l'accès aux archives contemporaines. Des demandes des trois associations au président de la République et au Premier ministre restent sans suite. D'où une nouvelle tribune, une pétition signée par 18 000 personnes, et des recours au Conseil d'État. Le 2 juillet 2021, celui-ci déclare illé­ga­les et annule les dis­po­si­tions de l'IGI 1300. Un cinglant revers pour le gouvernement.

Travail historique versus roman national

Sa majorité persiste pourtant, avec le fameux article 19 qui introduit le principe de délai indéterminé pour certains documents, avec une procédure de déclas­sification un à un à la discrétion des services concernés. Le président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), Jean-Marie ­Burguburu, en a demandé le retrait au Premier ministre.

La bataille est loin d'être finie. Il y a, souligne Isabelle Foucher, un enjeu de démocratie, de transparence sur notre histoire comme sur les modalités d'accès ou non à nos archives.

En jeu, le rôle qu'ont pu jouer certaines personnalités politiques et militaires dans l'écriture des pages sombres de notre histoire. Mais aussi la volonté de certains de récuser le travail historique au profit d'un roman national qui en ­gommerait ces pages. Ce dossier ne concerne donc pas seulement les historiens, les chercheurs, les archivistes. Mais tous les citoyens.

Quand des archivistes sont mis au placard…Dans son dernier ouvrage, l'historien Fabrice Riceputi revient sur le rôle joué par deux archivistes, Brigitte Lainé et Philippe Grand, dans le procès intenté par Maurice Papon contre Jean-Luc Einaudi à l'issue d'un article du Monde de mai 1998 où ce dernier évoquait « le massacre des Algériens perpétré le 17 octobre 1961 par la police aux ordres de Maurice Papon ». Einaudi, auteur en 1991 de La Bataille de Paris, sollicite l'accès aux archives. Sans réponse. Le témoignage écrit de Philippe Grand et de Brigitte Lainé, à la barre, sur l'existence d'archives confirmant les propos d'Einaudi valent à Maurice Papon de perdre le procès. Mais les deux brillants archivistes seront placardisés plusieurs années. Brigitte Lainé recevra bien plus tard, en 2015, la Légion d'honneur. Trois ans avant son décès.
Ici on noya les Algériens – La bataille de Jean-Luc Einaudi, de Fabrice Riceputi, éditions Le passager clandestin, septembre 2021, 18 euros.
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