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ASSURANCE CHÔMAGE

Les chômeurs dans le collimateur

12 juillet 2021 | Mise à jour le 12 juillet 2021
Par | Photo(s) : Bapoushoo
Les chômeurs dans le collimateur

Manif contre la reforme assurance chômage et pour la culture, Paris mai 2021.

Et si, pour Emmanuel Macron, la mère des réformes était celle de l'assurance chômage ? Comme si c'était la dernière pièce à insérer pour compléter son grand projet de transformation du marché du travail… à l'américaine. Les demandeurs d'emplois, cadres ou « permittents », s'angoissent tandis que, vent debout, les syndicats multiplient les recours devant le Conseil d'État.

Au seuil de l'été, et au rythme du déconfinement, l'économie française sort de sa torpeur après la mise sous cloche du pays pour cause de Covid-19. Les lieux culturels sont encore nombreux à être occupés, notamment pour réclamer, sous l'impulsion de la CGT Spectacle, le retrait de la « réforme » de l'assurance chômage. Et, à écouter le chef de l'État, le 3 juin dans le Lot, première étape de son « tour de France » post-Covid et pré-électoral, les prochains mois s'annoncent rudes.

Emmanuel Macron n'entend pas « gérer l'été en pente douce » et prévient qu'il va devoir prendre des « décisions difficiles » pour la sortie de la crise du Covid. Il appelle les Français à « ne pas avoir une vision catastrophique de la situation du pays » car « le moral d'un pays joue aussi sur la façon de voir les choses ». Traduction : il faut compter sur la reprise économique pour que la situation de chacun s'améliore, des dizaines de milliards d'euros d'argent public ayant été déversés en ce sens pendant plus d'un an.

Si la formule « quoi qu'il en coûte » a fait son temps, le président de la République ne lui avait, à l'évidence, rien sacrifié de son objectif de « transformation » de la société française. Depuis mars 2020, campant sur sa ligne économique et fiscale de début de quinquennat, il n'a jamais envisagé de remettre en cause l'orientation politique de ses réformes ou de négocier un quelconque virage social pour adoucir la vie des personnes les plus fragilisées. C'est ainsi qu'en pleine crise sanitaire, l'exécutif a décidé de baisser les impôts de production des entreprises, mais refusé d'instaurer un revenu de solidarité active (RSA) pour les jeunes.

À la fois au prétexte de la reconnaissance du sens de l'effort et de la valeur travail et pour ne pas s'écarter de sa ligne politique qui privilégie les mesures actives sur l'économie de l'offre. D'ailleurs, les contrats à durée indéterminée (CDI) ont été soutenus (chômage partiel) pour que les entreprises puissent vite redémarrer en sortie de crise, mais quasiment pas les salariés précaires qui enchaînent petits boulots et périodes de chômage, les « permittents ». Et c'est dans cet état d'esprit que l'exécutif a remis en route la réforme de l'assurance chômage qui a déjà connu quelques embûches, preuve de sa déconnexion avec la réalité du moment.

Bras de fer avec les syndicats

En raison de la crise sociale due à la crise sanitaire, le premier volet de la réforme (décret du 26 juillet 2019), qui avait pris effet en novembre 2019, a dû être en partie suspendu et ses mesures reportées au plus tôt en octobre 2021. C'est, par exemple, le cas pour la période de travail minimum permettant d'accéder à l'indemnisation chômage qui a été ramenée momentanément à 6 mois sur les 24 derniers mois au lieu de 4 mois sur les 28. Mais l'exécutif est aussi confronté aux syndicats qui sont vent debout.

Il a déjà été obligé de revoir sa copie à la suite de l'annulation par le Conseil d'État, en novembre 2020, des dispositions relatives au calcul du salaire journalier de référence (le SJR qui permet d'établir le montant de l'allocation) pour « différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d'intérêt général poursuivi ». Les hauts juges avaient ainsi donné raison à la CFE-CGC, la CGT, FO et Solidaires qui avaient relevé une atteinte au principe d'égalité. Non seulement la réforme prend en compte des jours non travaillés dans le calcul des SJR, entraînant des conséquences financières ravageuses pour les « permittents », mais les syndicats avaient mis en évidence que le montant des SJR pouvait varier du simple au quadruple pour un même nombre d'heures travaillées.

Annonçant l'entrée en vigueur de la réforme au 1er juillet 2021, le décret du 30 mars 2021 a donc plafonné les jours non travaillés pris en compte, ce qui réduit les inégalités et, à un certain seuil, limite aussi la baisse des allocations. Un décret rectificatif paru le 9 juin corrige aussi des « effets non voulus » en défaveur des personnes qui ont connu des périodes de rémunérations inhabituelles (activité partielle, maladie, congés maternité…) Las ! Depuis, poussant plus avant leurs investigations, les syndicats ont découvert que la réforme produisait d'autres inégalités – abyssales celles-là – entre allocataires, selon la chronologie des périodes travaillées et non travaillées. Cette fois ce sont tous les syndicats, à l'exception de la CFTC, qui ont déposé des recours devant le Conseil d'État, en référé suspensif et sur le fond.

La pièce manquante de la réforme du marché du travail

Si, lors de son bain de foule dans le Lot, Em­manuel Macron a reconnu que compte tenu du contexte actuel la réforme des retraites peut difficilement être mise en œuvre telle que prévue, il assure exactement l'inverse pour la réforme de l'assurance chômage. Or, étonnamment, même le principal artisan du texte, Antoine Foucher, l'ex-directeur de cabinet de Muriel Pénicaud, la prédécesseure d'Élisabeth Borne, la ministre du Travail, en doute.

Dans un entretien donné au quotidien Le Monde en mars dernier, il estimait que les aménagements apportés à l'assurance chômage s'apparentaient à « un coup de dés » car « personne ne sait à quoi ressemblera le marché du travail après l'épidémie de Covid-19 ». Évidemment, il ne partage pas l'avis des syndicats qui rejettent unanimement la réforme exigée par l'exécutif, bénéfique pour les caisses de l'Unédic, l'organisme de gestion de l'assurance chômage, mais très dure pour les chômeurs.

« Les demandeurs d'emploi concernés vont avoir un lourd sentiment d'injustice. Dans les efforts légitimes à demander à la France dans le monde post-Covid, pourquoi commencer par les chômeurs ? », notait-il toutefois. Pour comprendre l'entêtement du gouvernement sur ce dossier, il faut remonter à l'origine de la réforme. Certes, elle donne suite aux promesses de campagne d'Emmanuel Macron – ouverture de l'assurance chômage à davantage de démissionnaires et à des travailleurs indépendants, ainsi qu'un système de modulation des cotisations chômage des employeurs, un « bonus-malus » pénalisant ceux qui abusent des contrats courts.

Mais surtout, l'assurance chômage s'inscrit dans le projet de profonde réforme du marché du travail qu'Emmanuel Macron a lancé dès le début de son quinquennat et qu'il a bien l'intention de boucler avant 2022. Histoire de la comptabiliser à son actif avec en sus une baisse notable du nombre de chômeurs et un redressement des comptes de l'Unédic.

Pour rappel, le texte sur l'assurance chômage est couplé à celui sur la formation professionnelle dans la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », laquelle complète la réforme du Code du travail (ordonnances de 2017-2018 : comité social et économique, prud'hommes, rupture conventionnelle collective…) Logique, puisque, selon l'exécutif, la flexibilisation du droit du travail devrait permettre de stimuler la compétitivité des entreprises et par voie de conséquence les embauches qui sont prétendument freinées par toutes les obligations légales des employeurs.

Une fois cela fait, il s'agissait donc de s'assurer que les chômeurs allaient bien activer leur retour vers l'emploi. Car tout porte à croire que, selon Emmanuel Macron, la raison pour laquelle la flexibilisation du droit du travail ne produit aucun effet sur la courbe du chômage, est tout simplement que les demandeurs d'emploi se complairaient massivement dans leur situation et abuseraient des règles de l'indemnisation. Un présupposé battu en brèche par une étude du Centre d'études de l'emploi et du travail (CEET-CNAM) de mai 2021.

Elle montre notamment que les salariés ayant occupé des contrats de moins d'un mois développent des stratégies qui « concernent avant tout l'emploi (ménager leur réputation sur le marché du travail, favoriser une embauche future) et secondairement le niveau d'allocation ». L'étude relève qu'« à l'inverse, différentes formes de non-recours aux droits – absentes des réflexions sur l'assurance chômage – sont fréquentes ».

Virez le « permittent », le contrat court suivra ?

Si les chiffres confirment la flambée des contrats de courte durée, tout particulièrement depuis la crise de 2009, l'exécutif se garde de développer une analyse sincère de la situation. Tout d'abord, la principale motivation des employeurs pour embaucher reste l'épaisseur du carnet de commandes. Ensuite, l'envolée des contrats de courte durée dans la plupart des métiers n'est que la conséquence de décennies de politiques favorisant la flexibilisation du travail sans autre accompagnement.

Enfin, certains secteurs fonctionnent désormais essentiellement avec d'importants volants de précaires comme les hôtels-café-restaurant (HCR), l'audiovisuel public et privé, l'événementiel, le médico-social ou encore les instituts de sondage. Résultat, la majorité des embauches se fait de plus en plus sur des emplois à durée limitée. Les contrats de moins d'un mois représentaient 70 % des embauches en 2017, contre 64 % en 2010 et 48 % en 2000. Surtout, la durée de ces contrats est de plus en plus courte. Ainsi, pour les CDD, la durée médiane a été divisée par quatre entre 2000 et 2017 (de 20 à 5 jours) avec un accroissement des cas de réembauche par un ancien employeur, ce qui tend à montrer que ces contrats se concentrent sur une minorité de salariés.

Une fois le contexte posé, la présentation par le gouvernement de la réforme de l'assurance chômage comme une politique de lutte contre les contrats précaires en sortie de crise perd toute crédibilité. Cela d'autant plus que son pendant du côté patronal, le fameux « bonus-malus », n'est pas près de voir le jour. Ce sera au mieux au 1er septembre 2022 et la pénalisation maximale sera de… 1 point de cotisation. Pour ce qui est de la liste des secteurs concernés, un arrêté est ­toujours attendu mais le gouvernement a indiqué que les plus impactés par le Covid ne seraient pas concernés comme… les hôtels ou les restaurants. Autant dire qu'à ce train-là, le « malus » menace peu d'entreprises (voire aucune) mais que le risque d'embouteillages aux guichets du RSA est bien réel… en attendant le futur revenu universel d'activité (RUA).

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