23 juillet 2015 | Mise à jour le 6 mars 2017
Réalisateur de deux courts-métrages et producteur de plusieurs films documentaires et de fiction, Simon Leclère signe Les Révoltés, un premier film ambitieux entre chronique sociale, romance et tragédie. Entretien.
Vous êtes scénariste et réalisateur du film. Comment est-il né ? Quelle est sa génèse ?
Depuis plusieurs années, une idée traînait dans un coin de ma tête : celle d’un jeune garçon qui profite d’une situation produite par un quiproquo pour mettre en scène sa disparition, tout en restant à proximité pour en observer les effets sur son entourage. J’avais également envie de parler du monde ouvrier d’aujourd’hui. C’est pour cela que j’ai placé ce personnage dans ce milieu social.
Pourquoi le monde ouvrier ?
Et pourquoi pas ? Mon histoire familiale, comme celle de beaucoup de gens, comprend des ouvriers, notamment un grand-père ancien cheminot et responsable syndical, qui m’a beaucoup parlé des actions qu’il avait menées et des progrès sociaux obtenus après la guerre. J’avais aussi abordé le monde ouvrier de l’immigration polonaise dans les fonderies, il y a une ou deux générations, pour un autre projet. Et là, j’avais envie de parler de ce qui se passait maintenant. Notamment, de ce qui me semble une forme d’effacement de la conscience de classe et du combat collectif. C’est pour cela que j’ai situé l’action dans le cadre d’une restructuration d’usine, d’un rachat par effet de levier (LBO). J’ai placé un personnage jeune dans cette histoire pour parler à la fois d’une forme de dépolitisation de la jeunesse d’aujourd’hui et de la prise de conscience politique qu’il expérimente au cours du film.
Votre portrait de la vie à l’usine est fait de domination du patronat et de rage des ouvriers ; celui du syndicalisme, lui, est fait d’échecs et de trahisons…
Le film, au départ, s’appelait Après la bataille. Je voulais raconter la victoire des dominants sur les dominés et, en même temps, c’était une bataille, pas la guerre. Tout n’était pas perdu. Je voulais mettre le doigt sur des problèmes de représentativité des salariés dans les usines, sur le rôle des syndicats, sur la concurrence entre les différentes confédérations – les problèmes que ça engendre –, sur une forme de ressentiment que j’ai perçu parmi les salariés envers les syndicats. Evidemment, le film ne dit pas que le syndicalisme est mort ou inutile, mais qu’il manque de puissance et d’attractivité auprès des salariés.
Vos personnages syndicalistes sont ou bien aliénés ou bien retirés du jeu…
Vous oubliez le troisième, qui, pendant toute la première partie du film, dénonce auprès des ouvriers le rachat dont l’entreprise fait l’objet et les ressorts qui le sous-tendent. L’un est dans le refus, l’autre est dans l’acceptation. Et puis, il y a le père de Pavel, qui a déplacé son champ de bataille à lui, mais qui continue à “ travailler ”, à essayer de comprendre comment il en est arrivé là. Je voulais montrer à travers le film qu’une partie de l’efficacité des mécanismes financiers, à l’oeuvre dans les rachats d’entreprise aujourd’hui, est directement liée à leur complexité et à la difficulté de les comprendre. C’est ce qui les rend difficiles à combattre.
Votre héros est un jeune homme d’abord en retrait, en rupture avec un père ancien syndicaliste qu’il méprise. Mais les évènements le mettent en quête de justice sociale, il porte l’espoir. Pourquoi une fin tragique ?
Parce que la tragédie était le modèle de récit que j’avais choisi. Les personnages sont entourés par des histoires qui les dépassent, et je voulais aller au bout de l’absurdité de la situation : un ouvrier finit par tuer un autre ouvrier pour des raisons qui lui échappent, alors qu’il est manipulé par ailleurs et que lui-même va perdre ce qu’il croyait gagner. C’est ce côté absurde de la situation que la mort par accident de Pavel met en lumière.
Malgré un ancrage social important, vous ne traitez pas le sujet d’un point de vue réaliste. Pourquoi ?
Je savais que le film serait étiqueté comme un “ film social ”, ce qui pour moi ne veut rien dire. Je craignais que cette étiquette ait un effet repoussoir sur des spectateurs qui n’auraient pas envie de retrouver au cinéma ce qu’ils vivent dans leur vie quotidienne. Je voulais donc m’adresser à un large public et, pour cela, y mettre beaucoup de fiction. Evidemment, l’ancrage social est là, mais il y a aussi de la romance, une forme de polar… qui pouvaient me permettre de faire entrer dans les salles le plus de spectateurs possible afin qu’ils puissent entendre, de manière presque clandestine, le message politique du film.
Les Révoltés, réalisé par Simon Leclère, 1 h 24. Sortie nationale le 15 juillet