7 juillet 2023 | Mise à jour le 7 juillet 2023
Le 29 juin 2023, l’Assemblée nationale a largement approuvé le projet de loi sur le «partage de la valeur» au sein des entreprises, issu de l’accord national interprofessionnel (ANI) conclu entre syndicats et patronat en février. La CGT, qui réclame l’augmentation immédiate du SMIC et le retour de l’indexation des salaires sur l’inflation, avait refusé de signer l’accord.
L’augmentation générale des salaires attendra. Le projet de loi sur le « partage de la valeur » au sein des entreprises adopté à l’Assemblée nationale le 29 juin, est, en effet, bien mal nommé. En toute logique, une réforme du partage de la valeur ajoutée, mesure comptable qui permet de quantifier la richesse produite au sein d’une entreprise, supposerait que soit rediscuté le partage entre ce qui revient au travail d’un côté, et au capital de l’autre. Au contraire, le texte se contente de transformer une petite partie des bénéfices (c’est-à-dire la rémunération du capital) en rémunérations variables pour les salariés, laissant de côté le principal outil de redistribution de la valeur que sont les salaires.
Ainsi, le texte prévoit d’étendre des dispositifs tels que l’intéressement, la participation ou les primes de partage de la valeur à toutes les entreprises de plus de 11 employés, et de développer l’actionnariat salarié. Le projet de loi prévoit également qu’en cas « d’augmentation exceptionnelle » de leurs bénéfices, les entreprises d’au moins 50 salariés devront négocier leur partage, après être tombées d’accord sur leur définition.
La très forte inflation, notamment sur les denrées alimentaires, les nombreux conflits sociaux depuis la rentrée 2022, de même que les bénéfices records engrangés par les entreprises du CAC 40 avaient contraint le gouvernement et le patronat à engager en novembre dernier des négociations sur le partage de la richesse créées en entreprise. Quelques mois plus tard, en février, un accord national interprofessionnel (ANI) était signé entre quatre organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC,FO et CFTC) et celles représentant le patronat (Medef, CPME et U2P). La CGT, elle, n’était pas signataire du texte. « La CGT n’est pas opposée aux primes mais elles ne peuvent pas être versées au détriment des salaires. Or le problème, c’est que les organisations patronales ont refusé de débattre sur l’augmentation des salaires », explique Sandrine Mourey, secrétaire confédérale de la CGT. Le projet de loi porté par le ministre du Travail Olivier Dussopt n’est autre que transcription de l’ANI. Le texte doit désormais être examiné au Sénat, à une date encore inconnue.
Substitution des primes au salaire
Encourager le versement de primes n’est pas sans risque pour les négociations salariales à venir. Dans une note de conjoncture publiée en mars 2023, l’INSEE estime que le faible dynamisme des salaires au quatrième trimestre 2022 suggère un effet d'aubaine. Selon l’institut national, au lieu d’augmenter les salaires, de nombreux employeurs auraient privilégié, dans environ 30% des cas, le versement de prime de partage de la valeur au détriment d’augmentation de salaire. Les primes de partage de la valeur sont en effet exemptées de cotisations patronales et sociales (sauf CSG et CRDS). Ce n’est pas la première fois que les effets négatifs d’une prime sur l’évolution des salaires sont observés : en 2013 déjà, un article notait qu’un an après leur mise en application au sein des entreprises, on observait une substitution de l’intéressement aux salaires.
En 2022, près de 5 millions de salariés du privé (sur un total de 20 millions) ont perçu une prime de partage de la valeur pour un montant moyen de 806 €. « On voit bien que la prime de partage est donnée au rabais, puisque son montant pouvait s’élever jusqu’à 3000 euros, 6000 euros en cas d’accord d’intéressement, relève Sandrine Mourey. Par ailleurs, une prime n’est pas pérenne, au contraire du salaire, qui alimente par ailleurs les caisses de la sécurité sociale. »
Quant au développement de l’actionnariat salarié, la représentante syndicale est plus que sceptique : « La plupart du temps, les actionnaires des grandes entreprises recherchent une rentabilité et un retour sur investissement maximum et rapide. Souvent, cela s’obtient en diminuant le « coût du travail » : rogner sur les salaires, augmenter les cadences, voire la fermeture de site. L’actionnariat salarié revient à demander aux salariés de prendre des décisions contre leurs intérêts ! » Raison pour laquelle la CGT y est opposée et défend la présence de collèges de salariés au sein des conseils d’administration et de surveillance, afin que les salariés puissent peser dans les décisions de l’entreprise, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Inégalité entre les salariés
Pour Sophie Piton, économiste et membre du Centre pour la Macroéconomie de la London School of Economics (LSE), le projet de loi va par ailleurs créer une inégalité entre salariés : « l’intérêt et la participation consistent à redistribuer une partie des profits de l’entreprise aux salariés, mais selon les secteurs, les entreprises sont plus ou moins profitables. » Du reste, pour l’économiste, l’impact du projet de loi sur la rémunération des salariés devrait rester limité : « 95% des revenus des salariés proviennent du travail (salaires et cotisations). Seuls 5% en moyenne sont issus de la participation et de l’intéressement. Le projet de loi s’intéresse donc uniquement à une petite partie des rémunérations, et seulement pour les salariés des petites et moyennes entreprises, qui sont celles qui, de toute façon réalisent peu de bénéfices relativement aux grandes entreprises. » Il est donc peu probable que ce projet de loi permette, à terme, de résoudre les questions relatives au pouvoir d’achat. Selon les chiffres de la Dares, la direction des statistiques dépendant du ministère du Travail, le salaire mensuel de base a reculé de 1,0 % sur un an en mars 2023.