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DÉSINDUSTRIALISATION

Les salariés d'Arjowiggins face à la menace de fermeture

29 janvier 2019 | Mise à jour le 16 mars 2019
Par | Photo(s) : Sarah Brethes / AFP
Les salariés d'Arjowiggins face à la menace de fermeture

Des tricots portant les noms des employés d’ArjoWiggins sont suspendus à la clôture.

Après avoir alerté sur les risques que suppose la fermeture de leur usine, les salariés de l'imprimerie Arjowiggins (Seine-et-Marne) ont commencé à détruire le stock de papier sécurisé pour se faire entendre des pouvoirs publics. Leurs représentants ont été reçus lundi 28 janvier au soir par la préfète de Seine-et-Marne et le maire de Jouy-sur-Morin. Faute de réponse sérieuse, ils poursuivent leur mobilisation.

Est-il envisageable de laisser fermer la seule usine de fabrication de papier sécurisé en France ? C'est pourtant ce qui attend l'imprimerie Arjowiggins de Jouy-sur-Morin, placée en liquidation judiciaire mi-janvier.

N'ayant cessé d'alerter les pouvoirs publics sur le danger que cela représente tant pour la maîtrise de cette fabrication sur le territoire national que pour l'emploi sur ce bassin de Seine-et-Marne, et tandis que leur usine doit fermer d'ici la fin du mois, les salariés et leur syndicat CGT revendiquent aujourd'hui a minima des conditions de licenciement décentes avec des indemnités correctes.

Pour se faire entendre, les salariés ont décidé d'un moyen d'action particulier, en détruisant progressivement le stock du précieux papier, celui-là même que leur usine ne fabriquera donc plus. Histoire de montrer les dangers de la mise à mort de cette industrie. Mais aussi de faire pression sur les pouvoirs publics.

Papier sécurisé : un enjeu industriel

Ils avaient prévenu Bercy et fixé un délai de 48 heures au ministre Bruno Le Maire pour réagir. Restés sans réponse, alors que l'entreprise a été mise en liquidation judiciaire le 16 janvier, les 240 salariés de la papeterie Arjowiggins de Jouy-sur-Morin sont passés des paroles aux actes.

Comme ils l'avaient annoncé, ils détruisent chaque jour deux bobines de papier sécurisé — nous en sommes à 10 à ce jour — et continueront jusqu'à épuisement du stock. Ce stock correspond à une année de besoins de l'État français en papier sécurisé pour les seules cartes grises (à quoi il faut ajouter les chèques bancaires, les passeports et autres documents fiduciaires).

Bientôt la pénurie ?

Contrairement à ce qu'annonçait la chaîne TF1 à son JT de 20 h, lundi 28 janvier, l'État français serait d'ores et déjà bel et bien menacé de pénurie de papier sécurisé et pire, sans solution de rechange à court terme : « Même en cas de délocalisation de la production à l'étranger ou de changement de formule de papier, il faut au minimum un an de travail en amont et des savoir-faire très particuliers pour élaborer ce papier, quelle qu'en soit la qualité », assure Patrice Schaafs, le délégué syndical (Filpac-CGT) d'Arjowiggins à Jouy-sur-Morin.

L'État et le démantèlement d'Arjowiggins

Face à l'étrange passivité des pouvoirs publics dans le traitement du dossier Arjowiggins — Bruno Le Maire, maintes fois sollicité, reste aux abonnés absents — la préfète de Seine-et-Marne semble découvrir la situation in extremis. Mais elle ne s'engage à rien.

Quant au maire de Jouy-sur-Morin, il a précipité une rencontre avec les salariés le 28 janvier, mais est venu les mains vides.

Quand l'argent public finance la désindustrialisation

Les salariés, eux, soupçonnent un plan de mise en faillite du groupe Arjowoggins avec la complicité de l'État. D'où à la fois leur colère et leur détermination.

En fait, en 2014, l'usine est rachetée par le groupe papetier français Sequana. Chaperonnée par les services de Bercy via le CIRI (comité interministériel de redressement industriel) en lien avec le maire de Jouy-sur-Morin, l'opération bénéficie d'un financement public de 250 millions d'euros apportés par la BPI (Banque publique d'investissement). Objectif officiel, convertir l'usine pour assurer la pérennité de ses activités.

Mais en avril 2018, l'entreprise est à nouveau revendue à un fonds d'investissement suisse, Blue Motion Technologies qui, quelques mois plus tard, place l'entreprise en liquidation judiciaire — sans même passer par l'étape du redressement — à l'appui d'un jeu comptable faisant apparaître un passif supérieur à l'actif ; alors que le carnet de commandes déborde.

Le procureur saisi par l'avocat des salariés

Entre temps, pas un centime des 250 millions d'euros n'aura été investi dans le redressement de l'activité, assure la CGT d'Arjowiggins. En revanche, les précieux brevets de l'entreprise ont été écoulés sur le marché, au seul profit des actionnaires et de leurs dividendes.

Selon la CGT de l'entreprise, « il est bien possible qu'en réalité, le plan de restructuration de 2014 entre Sequana et l'État ait visé la liquidation totale des activités du groupe papetier qui avait commencé par la fermeture des sites d'Isère et du Pas de Calais. Les fonds de la BPI auraient en fait servi à financer la liquidation avec l'argent public ».

Saisi par l'avocat des salariés, le procureur de la République devrait faire toute la lumière sur les zones d'ombres de cette casse industrielle. Car bien des questions restent posées. Par exemple quant à la stratégie de l'État français en matière de sécurité des documents fiduciaire : à quel marché vont être sacrifiées des activités industrielles à très forte valeur technologique et aux savoir-faire uniques ? Pour quels bénéfices et au profit de quels groupes d'intérêts ?

Les salariés refusent les miettes

Mardi 29 janvier au matin, un conseiller de la ministre du Travail a entériné la fermeture du site à la fin du mois. En compensation de la perte de leur usine et de leurs emplois, le conseiller a proposé 300 euros de surplus de salaire mensuel pour toutes celles et ceux qui, dans les deux ans à venir, retrouveraient un emploi moins bien payé que l'actuel. Des miettes, que les salariés rejettent.