
Accidents et morts au travail : sortir du silence
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« Les soirs de colère, j’ai envie de filer le tétanos à ceux qui nous spolient. Parce qu’on en meurt de la même manière que l’asbestose ou la silicose : étouffé ». La violence des mots de François Dosso, ancien militant CFDT des houillères de Lorraine, à la tribune de la conférence de presse, répond à celle, bien moins symbolique, de l’Etat. Lorsque les mineurs déclarent des cancers à l’assurance maladie, l’Etat, en tant qu'employeur,[2] refuse de les relier à l’exposition des mineurs aux agents cancérogènes dans le cadre de leur exercice professionnel.
« Il a fallu huit ans de bataille pour qu’un collègue obtienne la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie. Le tribunal administratif de Grenoble a fini par trancher en sa faveur : devant la justice, l’État ne contestait aucune de nos attestations, mais expliquait comment il avait protégé les mineurs lorrains en faisant tourner des camions de radiologie aux alentours des mines. Alors qu’ils ne proposaient aucune protection aux mineurs », explique Freddy Maugiron, ancien mineur des houillères du Dauphiné et représentant de la CGT. « L’Etat a une lecture toute particulière des tableaux de maladie professionnelle. Il ne reconnaît que l’exposition de ceux qui ont manipulé des matériaux amianté. Pas celle de ceux dont le collègue meulait des joints amiantés. De même, pour être reconnu comme exposé à la silice cristalline, il faut avoir travaillé au fond. Un collègue qui déclare une silicose alors qu’il a travaillé 32 ans à la surface n’est pas reconnu comme malade de son métier », illustre François Dosso.
L’Etat se bat aussi pied à pied contre les mineurs lorsque ceux-ci l’attaquent en justice pour faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur. « Rien qu’à la cour d’appel de Metz, il y a 850 dossiers pour faute inexcusable de l'employeur en souffrance, dont trois quarts proviennent des mines. Et encore, tout le monde n’y va pas. Parce que de tels dossiers prennent entre cinq et douze ans de procédure. En général, si le mineur ou ses ayants-droits sont accompagnés par une association ou un syndicat, ils gagnent. Mais quel gaspillage de temps, quelle souffrance ! Ne pourrait-on pas faire autre chose des frais de justice que cela engendre ? », interroge François Dosso. D’autant que ce refus de reconnaître la faute inexcusable de l'employeur n’a pas toujours été. « Jusqu’en 2006, la direction conciliait. A Carmaux, il y a eu 300 conciliations, l’État reconnaissait sa faute, cela prenait 15 minutes », rappelle le syndicaliste. « L’État doit payer à deux titres : d’abord, en tant qu'employeur, et ensuite, en tant que puissance publique, car il n’a pas fait appliquer le décret de 1977 sur l’usage raisonné de l’amiante dans ses propres mines », poursuit François Dosso.La reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie se heurte aussi au manque de formation des médecins. « La plupart ne pose pas la question élémentaire : quel est votre parcours professionnel. Ce qui fait qu’il y a une énorme sous-déclaration des maladies professionnelles », s’agace Christiane, de l’ADEVIMAP, l’association des mineurs de Gardanne.
La rage des anciens mineurs est d’autant plus grande qu’ils ont obtenu, en octobre dernier, la communication de données sur les maladies des mineurs entre 2017 et 2023, jusque-là gardées secrètes. Les travailleurs de la corporation présentent 94 fois plus de maladies provoquées par la silice cristalline que le reste de la population, 15 fois plus de maladies provoquées par l’amiante, 39 fois plus de cancers de la peau, 54 fois plus de broncho-pneumopathies chroniques obstructives, et 40 fois plus de cancers du rein.
Une autre menace plane au-dessus des 200 000 anciens mineurs : la dissolution de leur régime spécial dans le régime général de la sécurité sociale. « Jusqu’ici, lorsqu’il y avait un désaccord sur l’origine professionnelle ou non de la maladie au niveau de la caisse d’assurance maladie, le dossier est transmis à une commission de recours amiable où sont représentés à parité employeurs et salariés. Et si le contentieux persiste, c’est le conseil d’administration de la caisse des mines qui tranche. Or nous arrivons pour l’instant, au niveau du conseil d’administration du régime des mines, à avoir une majorité en faveur des mineurs. Si le régime est dissous, nous n’aurons plus le même poids », explique Richard Caudy, responsable fédéral de la FNME-CGT.
« Ces mineurs en détresse, ce sont ceux qui ont façonné l’économie des Trente glorieuses, à qui l’on a demandé de mener deux batailles du charbon, d’abord entre 1945 et 1960, et ensuite à partir du choc pétrolier de 1973. Ceux qui ont vécu les catastrophes minières dont celle de Lievin, en 1974. Bayrou est venu à la cérémonie marquant les 60 ans de la catastrophe, en saluant des mineurs morts « au champ d’honneur du travail ». Mais il n’y a aucun honneur à mourir pour le rendement et la productivité ! », martèle François Dosso. « Le président de la République montre une lampe de mineur. Il ne la mérite pas. C’est ceux-là qui étaient en front de taille, ils n'ont pas attrapé leur silicose dans une pochette surprise », souligne l’un de ses homologues.
En conséquence, au lendemain de cette conférence de presse, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet a porté les doléances des mineurs pour l'organisation syndicale au cabinet du ministre de l’industrie, Eric Lombard, avec deux revendications : d’abord, la reconnaissance automatique de l’exposition de tous les anciens salariés des exploitations minières à l’amiante, à la silice cristalline et à d’autres substances cancérogène, mutagènes et reprotoxiques. Ensuite, que les services de l’Etat s’engagent à ne plus entraver les démarches des victimes ou de leurs familles lorsque celles-ci demandent la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.La bataille menée par les anciens mineurs a un intérêt plus large que pour cette seule corporation. D’abord, ils sont loin d’être les seuls à avoir été exposés à l’amiante, qui devrait faire 100 000 morts d’ici 2030. Aussi, la condamnation des responsables pourrait constituer un précédent pour l’ensemble des personnes qui déclareront des mésothéliomes et cancers broncho-pulmonaires. « Nous tirons de ces batailles des enseignements que nous pourrons réinvestir, par exemple dans la bataille contre les PFAS, les nanoparticules, ou le surrisque de cancer du sein des travailleuses de nuit. Les actions et méthodes des anciens mineurs inspirent aujourd’hui d’autres combats. Par exemple, cela fait quatre ans que nous réclamons à corps et à cri une étude sur l’impact des agents chimiques sur les grossesses, sans réponse, pour l’instant des autorités », conclut Denis Gravouil, chargé des questions de protection sociale pour le bureau confédéral.
[1]Les fédérations nationales de mineurs CGT, CFDT, CFTC, FO, CFE-CGC, et les associations nationales et régionales de victimes d’accidents du travail et maladies professionnelles de l’ANDEVA, de la CAVAM, de la FNATH et de l’ADEVAT-AMP
[2] Qu’il se présente sous la forme d’agent judiciaire de l’Etat, de la direction générale de l’énergie et du climat, ou de l’agence nationale pour la garantie des droits des mineurs
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