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FORMATION PROFESSIONNELLE

Loi « avenir professionnel » Le bâton sans la carotte

25 juillet 2018 | Mise à jour le 16 juillet 2018
Par | Photo(s) : Hin
Loi « avenir professionnel » Le bâton sans la carotte

Tout à sa hâte de réformer la France à marche forcée, l'exécutif prolonge la session de travail du Parlement jusqu'à début août. Parmi les textes à examiner d'ici-là, celui « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » sera adopté en procédure accélérée. Redéfinissant profondément les règles à la fois de la formation professionnelle, de l'apprentissage et de l'assurance chômage, ce projet de loi constitue un gros morceau de la révision du modèle social français, voulue par le chef de l'État : il achève la réforme du marché du travail entamée avec les ordonnances sur le code du travail.

Libéralisme pur jus

Suppression des intermédiaires pour les salariés désireux de se former, assurance chômage universelle ouverte aux indépendants et aux démissionnaires, amplification du contrôle des demandeurs d'emplois… Autant de promesses de campagne faites par Emmanuel Macron auxquelles le gouvernement et les députés En Marche s'attachent à répondre avec le texte sur « l'avenir professionnel ». La doctrine mise en œuvre à chacune des réforme entreprise depuis le début du quinquennat s'applique là aussi : responsabiliser les individus et limiter la dépense publique.

Exit l'État social, place à la méritocratie. Chaque citoyen est prié de se prendre en main pour bricoler individuellement son avenir, y compris professionnel, en dépit de ses fragilités, des inégalités sociales et culturelles, etc. Du libéralisme pur jus à la manière d'un Tony Blair à la fin des années 1990 au Royaume-Uni. Avec les résultats que l'on connaît vingt ans plus tard outre-Manche et comme aucun gouvernement ne l'avait encore jamais osé en France.

Responsabiliser les salariés

Pour rédiger son projet de loi, la ministre du Travail, Mme Pénicaud, s'est affranchie des deux accords nationaux interprofessionnels (ANI) signés en amont par les organisations patronales et syndicales, à l'exception de la CGT. Bien qu'ils fassent déjà la part belle au patronat, le gouvernement les a jugés trop timorés et a décidé d'un « Big Bang ». On y est. Si les employeurs ne sont pas encore totalement déresponsabilisés quant à leur obligation de former leurs salariés, c'est en bonne voie. Tout est fin prêt pour sensibiliser les actifs à la nécessité de maintenir eux-mêmes leur employabilité immédiate, ce dont les marchands de formation se frottent déjà les mains. En effet, les salariés traiteront désormais directement avec eux via leur compte personnel de formation (CPF) en euros.

Chasse aux chômeurs

Quant aux 5,6 millions de demandeurs d'emploi, depuis le temps que le discours public prétend qu'ils pourraient bien être responsables de leur situation, voire qu'ils profiteraient du système, le gouvernement Philippe franchit le pas : il étudie la possibilité de supprimer les allocations des précaires au bout d'un an et a d'ores et déjà inscrit dans la loi que le refus de deux « offres raisonnables » d'emploi entraînera la radiation des listes des demandeurs d'emploi. Une disposition pointée par le Conseil d'État. La définition de l'« offre raisonnable » n'étant pas précisée, les Sages du Palais Royal alertent contre le « risque d'arbitraire » et rappellent au législateur qu'il ne doit pas « méconnaître le principe d'égalité ». À suivre…

Nouvelle solidarité : que pense la CGT du projet de loi ?

Entretien avec Denis Gravouil, dirigeant de la CGT, chargé de l'assurance chômage.

Son intitulé est cynique et il affaiblit les droits garantis collectivement. De quoi aggraver les inégalités. Permettre au salarié le choix de sa formation pour qu'elle réponde aux besoins immédiats de l'entreprise n'a rien à voir avec le rendre responsable de son avenir sur la base 
d'un choix comme avec le CIF. C'est stupide, économiquement : cela empêche une vision à long terme des priorités de formation. Sur l'assurance chômage, il y a un cheval de Troie : le droit à un forfait pour les indépendants. Ce n'est pas tant que le gouvernement veuille imposer le modèle de l'autoentrepreneur à la place du salariat. La pierre qu'il pose, c'est le modèle de leurs droits sociaux forfaitaires.

Pour lutter contre les contrats courts, il y avait l'engagement de négociations de branches…

Une pure déclaration, et la principale raison du refus de la CGT de signer l'ANI assurance chômage. Mais c'est dans le 
projet de loi. Sauf qu'il y a une manœuvre conjointe gouvernement-patronat : 
des discussions de branches vont avoir lieu, le patronat tentant d'obtenir, d'ici 
à 2019, le plus possible d'accords 
non contraignants pour soi-disant lutter contre la précarité. Puis, ces accords seront l'alibi pour éviter les bonus-malus. Cool pour le patronat ! Entre-temps, 
« la lutte contre la précarité et la permittence [l'activité réduite NDLR] » 
a été inscrite dans le texte et, là, il s'agit d'une lutte contre les précaires.

Les salariés n'aspirent-ils pas à « choisir leur avenir professionnel » ?

Oui, et le projet de loi n'y répond pas. Si le gouvernement taille dans la protection sociale, il n'a toujours pas réussi à détruire le système basé sur la nécessité d'un revenu de remplacement quand on est privé du revenu de son travail. La CGT, propose le nouveau statut du travail salarié (NSTS), et une nouvelle donne : accompagner les salariés tout au long de leur vie professionnelle, sans rupture de contrat de travail et en leur assurant tous leurs droits (formation, Sécurité sociale, revenu de remplacement…). Il serait financé par les cotisations et une mise à contribution des revenus financiers pour garantir une réelle universalité des droits et progresser vers une nouvelle solidarité.

Chacun pour soi !

  1. Les marchands de formations en rêvaient, M. Macron l'a fait : le marché de la formation professionnelle leur est offert. Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), qui conseillaient aussi salariés et entreprises, organismes de formation tels que les Greta et l'Afpa, congé individuel de formation (CIF)… Tout le dispositif public de formation professionnelle s'effondre et avec lui le principe de mutualisation entre les travailleurs qui donnait au salarié la possibilité de construire son avenir professionnel 
à long terme. Désormais, celui-ci va devoir épargner sur son compte personnel de formation (CPF) monétisé, voire mettre la main à la poche pour se former.
  2. La carotte était belle : une assurance chômage universelle ouverte aux démissionnaires et aux indépendants. Mais le gouvernement vise un autre objectif puisque seule une vingtaine de milliers d'indépendants sont concernés. Les nouveaux droits imaginés pour ces bénéficiaires – qui n'ont jamais cotisé 
pour les financer – vont en fait se limiter à un forfait, sorte de RSA, pour six mois. 
Or, à partir du 1er octobre, plus aucun salarié ne cotisera à l'assurance chômage qui sera financée par l'impôt via la CSG. 
À terme, plutôt que des allocations de chômage, c'est donc un forfait universel qui pourrait bien être versé, une sorte de filet de sécurité conforme à la doxa libérale : 
une destruction programmée de la protection sociale solidaire.
  3. Qui veut faire croire que les précaires optimisent leur recours à l'allocation chômage en travaillant juste assez pour continuer à en bénéficier ? M. Macron et ses ministres. En effet, le patronat, addict à la flexibilité et friand d'emplois précaires, coûte cher à l'assurance chômage en multipliant les contrats courts. Pour limiter les frais, plutôt que de 
le pénaliser (bonus-malus ou surcotisations), 
le gouvernement préférerait limiter à un 
an l'accès des travailleurs précaires au dispositif dit « activité réduite » (cumul allocation chômage-revenu d'activité, 
en fait, l'alternance chômage-petits boulots). Quant aux chômeurs, en les menaçant 
de sanctions accrues, il veut les obliger 
à accepter ces mêmes emplois précaires. 
Le patronat est comblé.