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Europe

Lois « travail » : les lignes bougent en Europe

28 septembre 2016 | Mise à jour le 6 janvier 2017
Par | Photo(s) : DR
Lois « travail » : les lignes bougent en Europe

Manifestation pour la PAIX, Paaris 24 sept 2016

La loi El Khomri a des clones dans tous les pays européens. Benoit Gerits, de la FGTB (Belgique), est depuis juin dernier le secrétaire général adjoint d'IndustriAll Europe. Il nous livre son analyse sur ces réformes, mais aussi les résistances et perspectives que doit apporter le syndicalisme européen.
Vous avez récemment pris part à une journée d'études à Montreuil sur les réformes du marché du travail en Europe. Quels en sont les points communs ?

Benoit Gerits : C'est exactement le même processus qui se déroule dans les différents pays européens. Pays par pays, on voit apparaître des pactes pour l'emploi et la compétitivité qui sont des décisions issues des résolutions européennes. En France, vous en connaissez les effets, et depuis 2011 toutes ces mesures sont en train d'être mises en application.

Le point commun est que d'une manière ou d'une autre, les travailleurs sont pris en otage. La plupart du temps, ils ont dû accepter le gel salarial, la réorganisation du temps de travail et du fonctionnement de l'entreprise, le non-remplacement des départs et des externalisations dans les conditions mises en place par les pactes de compétitivité.

Tout cela, ce sont des paquets offerts aux entreprises en échange de garantir l'emploi, les usines et certains investissements. Or, dernier exemple en date, chez Caterpillar, nous avions un accord pour la garantie de l'emploi, de l'usine et de l'investissement jusqu'en 2020, mais la multinationale n'a pas respecté ses engagements et ferme son site de Charleroi (Belgique) en 2016. Bien évidemment, les salariés français du site de Grenoble peuvent s'en inquiéter. C'est un vol au regard de ses engagements.

Tout ceci est bien un processus européen, souvent accompagné des aides d'Etat en termes de fiscalité et de parafiscalité.

La loi El Khomri suscite une forte mobilisation en France. En Belgique aussi une grande manifestation est prévue ce 29 septembre contre la loi Peteers. Qu'en est-il des résistances contre les différentes lois « travail » ?

Effectivement, la loi Peteers est quasiment un copier-coller de la loi El Khomri en France : inversion de la hiérarchie des normes, facilitation du licenciement, disparition du principe de faveur et du principe d'extension, la façon aussi de vouloir contourner les organisations syndicales dans la négociation collective.

Dans la loi Peteers, on écarte aussi les syndicats de la question des heures supplémentaires et des conventions collective : la loi introduit la possibilité pour le travailleur la possibilité de négocier « volontairement » des heures supplémentaires dans un accord de gré à gré. C'est une dé-collectivisation de la négociation qui met individuellement les travailleurs en situation de faiblesse.

En termes de résistances, de grandes actions se déroulent en France et en Belgique, mais il y a aussi des bougés et des capacités de blocage dans les pays du Sud. Le Portugal, qui était sous mémorandum, se retrouve aujourd'hui d'un point de vue législatif – et plus seulement syndical – en capacité de remettre en question les éléments imposés dans le mémorandum afin de recréer les conditions d'un meilleur équilibre de redistribution pour les travailleurs.
Des mesures sont notamment prises pour le contrôle de l'intérim. Il est donc intéressant de montrer que des lignes bougent dans le bon sens, alors qu'avec la dette, ces pays ont été extrêmement malmenés.

Nous évoquons, la France, la Belgique, le Portugal, mais on pourrait aussi parler du « Jobs Act » en Italie, ou encore de l'Allemagne. Des réformes toujours prises au nom de l'emploi…

Ce qu'il se passe est vraiment un bis repetita pays après pays. Mais le pays précurseur, c'est l'Allemagne. Cela a commencé avec les lois Hartz en 2003 qui créent un affaiblissement total du contrat de travail ; les contrats à un euro, les mini-jobs, c'est vraiment cela qui a été le modèle. On y a adjoint des aides d'État, comme le CICE en France, dont les employeurs ont oublié que le « E » signifiait emploi.

Ainsi, depuis 2013, les entreprises ont perçu, grâce au CICE, quelque 66 milliards d'euros pour la création de 230 000 emplois. Soit un coût par emploi de 290 000 euros ! Pour des emplois à ce prix-là, ce sont évidemment des mesures à bannir. Il y a bien sûr moyen de faire mieux pour créer de l'emploi.
Les organisations syndicales sont un des moyens pour faire avancer des alternatives à des CICE qui reviennent à donner directement de l'argent public aux multinationales.

En termes de perspectives, on voit bien que l'ensemble du Vieux Continent est confronté à la désindustrialisation. Une stratégie syndicale européenne est-elle possible pour faire face au rouleau-compresseur contre les droits et l'emploi ?
Les fédérations syndicales européennes de l'industrie sont actuellement en train d'élaborer des propositions concrètes. Au niveau de la négociation collective, nous voulons réaborder la question du temps de travail.
Au sein de notre fédération européenne, moi-même et un grand nombre d'organisations avons toujours considéré que la meilleure manière de redistribuer les gains de productivité aux travailleurs était la réduction du temps de travail.

C'est une question éminemment importante portée par des confédérations comme la CGT en France, la FGTB en Belgique, la DGB en Allemagne, ainsi que dans d'autres pays. C'est une question que l'on va aborder et travailler au sein d'IndustriAll Europe. Et dans la CES, il y a actuellement clairement deux piliers qui sont en train d'être débattus.

Le premier pilier est le financement de l'économie réelle, avec comme clé de voûte la redéfinition du rôle de la Banque centrale européenne. Il s'agit de pouvoir réaliser des investissements non pas spéculatifs mais productifs et répondant à des besoins sociaux.

Le second pilier est de relancer la question du salaire minimum européen. Un débat interne est en cours dans la CES et je pense que revenir à la table avec une demande offensive sur un salaire minimum européen sera utile pour que les travailleurs aient le juste retour de leur travail. Il y a dix ans, cette question semblait totalement incongrue dans l'Allemagne qui venait mettre en œuvre les lois Hartz. Aujourd'hui, et malgré tous les régimes dérogatoires mis en œuvre, c'est quand même devenu une réalité.

IndustriAll Europe
IndustriAll European Trade Union représente 6,9 millions d'hommes et de femmes travaillant à travers les chaînes d'approvisionnement dans les secteurs de la fabrication, l'exploitation minière et de l'énergie en Europe. IndustriAll Europe a pour but de protéger et de promouvoir les droits de ces travailleurs.
Cette fédération des syndicats vise également à être un acteur puissant dans le domaine de la politique européenne vis-à-vis des entreprises européennes, les industries européennes, les associations d'employeurs et les institutions européennes.
La Fédération nationale des mines et de l’énergie (FNME) CGT est affiliée à IndustriAll.