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CINÉMA

L'ouvrier couronné

26 mai 2015 | Mise à jour le 8 mars 2017
Par | Photo(s) : AFP / Lavinia Fontana
L'ouvrier couronné

Affable et passionné, il avait spontanément accordé un entretien à la NVO il y a quelques jours pour parler du dernier film de Stéphane Brizé, La loi du marché, dans lequel il interprète un père de famille, ex-ouvrier au chômage qui bataille pour retrouver un travail, «un costaud qui encaisse». Sans se douter du couronnement qui allait suivre, il avait dit toute la joie que lui avait procuré ce projet et aussi toute l'importance de sa dimension sociale. En recevant le prix d’interprétation masculine du Festival de Cannes 2015, le 24 mai dernier, Vincent Lindon parvient à une reconnaissance méritée. Débordé par l'émotion, il a dédié son prix «aux citoyens laissés pour compte» et estimé que ce prix, remis des mains des frères Coen, présidents du jury, était «un acte politique». Retour sur une rencontre chaleureuse.

Ouvrier et père de famille à la recherche d'un emploi dans La loi du marché – portrait clinique du monde du travail réalisé par Stéphane Brizé, en compétition à Cannes et au cinéma le 19 juin – Vincent Lindon n'en est pas à son premier rôle dans un film social.

À notre demande d'entretien pour la Nouvelle Vie ouvrière, il répond :
«J'aime ces trois mots, et avec les rôles que je fais…»

VOUS AVEZ SOUVENT INCARNÉ DES TRAVAILLEURS…

Je ne le fais pas exprès: j'aime un scénario avant tout. Et il se trouve qu'on me propose souvent des personnages qui ont un métier : docteur, maître nageur, maçon, grutier, ouvrier de chantier… Je suis passionné par les gestes: bouger, faire croire à un personnage en montrant comment il travaille.

LE TRAVAIL EST IMPORTANT POUR ABORDER UN PERSONNAGE ?

C'est un tiers du temps de nos vies. Ce n'est pas rien. Il nous occupe pendant, mais il irradie aussi avant et après l'avoir fait. Dans un film, ça dit beaucoup sur les personnages. Un travail, c'est aussi l'avoir perdu et en retrouver un comme dans ce film. Depuis les entretiens à Pôle emploi, en passant par les entretiens d'embauche par Skype, tout cela fait partie d'une quête. C'est bien le problème et la tristesse d'aujourd'hui: beaucoup de gens ont un métier et doivent se contenter au mieux d'un travail. Mon personnage met un mouchoir sur son métier et accepte un travail de vigile pour nourrir sa famille. C'est le cœur du film : la souffrance silencieuse d'une majorité de Français, mais c'est pareil en Espagne, en Italie, en Angleterre.

EST-CE DU CINÉMA SOCIAL ?

C'est un cinéma qui montre la vraie vie de nos contemporains, comme le cinéma des frères Dardenne ou de Ken Loach… Aller voir La loi du marché en salle, c'est aller voir comment ça se passe, c'est faire un geste politique. C'est important de témoigner de l'époque dans laquelle on vit. Si le film est bon, il laissera une trace. Pour un acteur, c'est important de se mêler, avec ses armes, de la vie de son pays. Le film ne donne pas d'ordre au spectateur. Il n'y a pas de gentil ou de méchant. C'est le portrait d'un homme, d'une famille, au sein d'un système.

La scène où mon personnage tente de vendre son mobile home à un autre couple qui veut négocier montre bien deux précarités qui se battent l'une contre l'autre. Chacun est à 100 euros près, obligé par le système de faire ce qu'il n'a pas envie de faire. Il n'y a pas de dénonciation, juste le constat d'un système utilisé par les nantis pour diviser et mieux régner.

METTRE L'AGENT DE PÔLE EMPLOI FACE À SES CONTRADICTIONS, LAVER VOTRE FILS HANDICAPÉ, APPRENDRE À DANSER LE ROCK AVEC VOTRE FEMME… QU'EST-CE QUI EST PLUS DIFFICILE À JOUER ?

J'ai eu plaisir à faire les trois. J'ai adoré faire ce film. Avec Stéphane Brizé, on a partagé une obsession qui a déclenché quelque chose, son écriture et, finalement, ce projet de film. Et la proposition cinématographique était très excitante: le film est sec, rapide ; on a tourné en quatre semaines, avec un modèle économique peu onéreux, en payant toute l'équipe au tarif syndical, selon les règles… C'est un geste politique dont je suis fier, moi qui expérimentais pour la première fois le rôle du patron puisque je suis coproducteur du film.

Et je suis content de le dire ici : respecter le Code du travail était obligatoire. D'abord humainement, pour moi et Stéphane Brizé. Ensuite, politiquement, car, dans le contexte du marché du travail actuel, c'est important. Enfin, artistiquement, car je ne pouvais pas incarner cet homme-là, avec ses problématiques, sans être moi-même cohérent dans ma propre vie. Ce film m'a bouleversé, il m'a apporté de grandes joies. Ce n'est que du cinéma et je ne suis qu'un acteur, mais c'est un grand moment de mon existence. J'ai attendu longtemps pour incarner Thierry.

FACE À L'ÉQUIPE DE SYNDICALISTES, THIERRY DÉCIDE DE RENONCER 
À L'ACTION COLLECTIVE…

Pendant une période, il s'est battu comme un chien et, à un moment donné, il en a marre. Il a livré bataille et ne dénigre personne, mais il a besoin de reprendre sa liberté, de passer à autre chose. L'action collective peut avoir ses limites et un homme, ses raisons de la quitter. Est-ce que ça fait de lui un lâche ? Non. Il encaisse des choses très violentes, mais il en a vu d'autres. C'est un costaud. Moi, il m'a rassuré.