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CINÉMA

Mai, sous le signe du social

19 mai 2015 | Mise à jour le 9 mars 2017
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Mai, sous le signe du social

Le social est au cœur du cinéma français et revient régulièrement sur le devant de la scène. C'est le cas avec La loi du marché » de Stéphane Brizé, actuellement en compétition à Cannes et en salles, et avec « Jamais de la vie », de Marc Jolivet, sorti en avril dernier.
LA LOI LIBÉRALE

La cinquantaine, ancien ouvrier, «chômeur de longue durée» et père de famille, Thierry finit par trouver un boulot de vigile dans un supermarché. Ce chemin vers un nouveau travail a été éprouvant, mais une fois inséré dans l'emploi, peut-il pour autant tout accepter?

C’est une chronique sociale sèchement politique. Brutale même. Rien de spectaculaire, pas de mélo, juste un réalisme clinique d’une justesse désarmante. Stéphane Brizé livre dans ce sixième film un portrait sans concession de notre société libérale. La première scène donne le ton : dans un long plan séquence, Thierry dit au conseiller de Pôle emploi sa fureur de s’être vu envoyer faire une formation d'emblée inutile, alors que lui croyait accroître ses chances de retrouver du boulot. La caméra filme un homme simple, un taiseux en boule d’avoir été floué. En face, l’autre est gêné, comprenant l’inanité du mécanisme à l’origine de cette colère, mais qu’il ne peut dénoncer puisqu’il est payé pour l’appliquer au quotidien.

 

Voilà le tableau : la violence et l’aberration d’une organisation régie par « La loi du marché », celle qui pousse des entreprises bénéficiaires à virer leurs salariés pour augmenter encore les profits. La condition sociale est au cœur du récit et révèle scène après scène un système qui broie les hommes, réduits à sauver leur peau les uns contre les autres. La rupture avec ses anciens collègues syndicalistes motivés mais dépassés, la lassitude des entretiens d'embauche déshumanisés sur Skype, la résignation aux ateliers de professionnalisation acerbes, le sang-froid lors des rendez-vous moralisateurs à la banque, etc. Egales dans leur dimension d’humiliation sociale banalisée, ces séquences sont coupées, jamais bouclées, laissant le sentiment que les enjeux soulevés ne seront pas résolus.

 

La seconde partie du film, vue de l’intérieur du milieu du travail, est un portrait aussi terrible et frontal… gestion des ressources humaines déshumanisée, sanction fatale pour de petites fautes, suicide au travail.

 

Comme un bloc, Vincent Lindon incarne, souverain, «un costaud qui encaisse». Il n’en est pas à son premier personnage de prolo, mais se révèle à nouveau sous la direction de Brizé, qui l’a entouré d’acteurs non professionnels jouant leur propre rôle. Le cinéaste dit avoir voulu «confronter l’humanité d’un invidu en situation de précarité à la violence de notre société». Résultat : son cinéma âpre et économe, constamment à hauteur d’homme, agit comme un miroir. Et révèle à froid la férocité de la violence ordinaire. Révoltant et remarquable.

JAMAIS DE LA VIE

Même cinquantaine patinée, même emploi de vigile non choisi. Si l’un est un taiseux, l’autre est un taciturne. C’est Franck, le gardien de nuit d’un centre commercial de la banlieue parisienne. Ancien OS et syndicaliste tenace, il a été mis au ban de la société après un violent conflit social. La lutte n’a pas payé, mais lui en a payé les pots cassés. Après un trou noir de dix ans, il retrouve un travail et le suivi régulier de Pôle emploi. Un 4×4 qui rôde dans la nuit va le faire réagir.

Là encore pas de démonstration, pas de dénouement glorieux. Avec ce drame social dense, drapé dans un élégant polar noir, Pierre Jolivet montre un monde en voie d’explosion à travers le regard d’un chevalier déchu des temps modernes. Des temps modernes sombres, faits de banlieues crasseuses et ghettoïsées, de paupérisation généralisée, de jeunesse condamnée, de violence exacerbée.

Ce qui frappe dans ces deux films, c’est la représentation du mouvement syndical comme une force de justice déchue. Comme une bataille légitime mais dépassée, impuissante face à l’ampleur de la tâche et portée par des hommes dignes qu’on a éprouvés à l’usure, ou bien carrément mis au tapis. A l’image de la démarche lourde et l’œil fatigué d’Olivier Gourmet – parfait dans ce rôle –, qui traîne ses rangers solitaires dans la nuit. Pourtant, sous cette carcasse puissante, parfois anésthésiée par l’alcool, le regard reste vif, le geste, réparateur, et le réflexe solidaire résiste. C’est l’autre trait commun : à travers quelques pas de danse ou un sourire discret échangé au détour d’un couloir, même reléguée, l’humanité est toujours là, porteuse de tous les possibles.