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AIR FRANCE

Mehdi Kemoune : une conscience politique

22 octobre 2015 | Mise à jour le 1 mars 2017
Par | Photo(s) : Patrice Pierrot/AFP
Mehdi Kemoune : une conscience politique

Condamner la violence, effectivement inacceptable, le secrétaire général adjoint de la CGT d'Air France, Mehdi Kemoune, n'y déroge pas. Pas plus qu'il n'esquivera les questions de fond, telles que les causes, tout aussi inacceptables, qui déterminent, voire fabriquent la violence.

Ce n'est pas sa chemise que les médias s'arrachent, mais sa présence sur leurs plateaux, son témoignage « à chaud » et dans le vif de la révolte des salariés d'Air France du 5 octobre. Ce n'est pas l'analyse du responsable d'un syndicat fédérant 4 000 adhérents que les micros veulent capter, mais un jugement moral condamnant « la “violence” impie des “voyous” d'Air France. »

Ce n'est pas non plus le fin connaisseur de la ruineuse stratégie de low-costisation de la compagnie qui l'emploie depuis 20 ans qui intéresse les intervieweurs ; plutôt le syndicaliste de la CGT, à ériger potentiellement en symbole de la « chienlit ».

Mauvaises pioches. L'homme est agréable, et pas qu'en apparence. Posé, calme et respectueux, mais qui jamais ne vire à l'obséquieux, Mehdi Kemoune tranche avec l'image de « surexcité » que certaines chaînes d'information s'efforcent de coller à la peau des salariés d'Air France.

« La chienlit, c'est Monsieur Sarkozy », rétorque-t-il tranquillement à ses deux interlocuteurs d'iTélé, réorientant ainsi le débat sur la question de la politique du transport aérien initiée par l'ancien président, et poursuivie par l'actuel, tandis que défilent en boucle les images du DRH « rhabillé pour l'été. »

En matière de décryptage des médias, le syndicat CGT n'est pas en reste et fait même bonne école pour ses militants. En témoigne le « Clash-Actu », son petit journal satirique présenté par le duo de choc, Emie Rates et Ryan Hair. Les deux dernières éditions ont connu un succès inédit, en termes d'audience et en nombre de partages sur les réseaux sociaux, à faire frémir les grands médias.

VIOLENCE DE CLASSE

« Le clash actu, c'est le choix d'en passer par l'humour pour informer les salariés sur nos actions, analyses, propositions. En l'occurrence, il nous a aussi aidés à contrecarrer la cabale médiatique en faisant passer d'autres messages, et en véhiculant une autre image que celle fabriquée de toutes pièces par les médias officiels. »

Faut-il de l'humour pour considérer comme criminel l'arrachage d'une chemise, fut-elle d'un DRH ? Il faut surtout une bonne dose de conscience politique pour, certes, condamner la violence des collègues, mais imposer de débattre sur le fond de cette autre question essentielle que certains médias rechignent à traiter : la violence patronale, celle du système dominant, que les gouvernements successifs accompagnent, en dépit de ses désastreuses conséquences sociales.

La conscience politique, Mehdi Kemoune se l'est forgée dès son plus jeune âge : « Après le journal télé, notre père nous invitait, mes sœurs et moi, à pousser l'analyse des sujets traités ». Est-ce une des raisons qui, plus tard, conduira le jeune juriste fraîchement recruté par Air France à opter pour le militantisme CGT ?

« Pendant quatre ans, je me suis contenté d'observer les analyses, les revendications et les propositions de chaque syndicat présent chez Air France. Celles de la CGT, qui se battait à l'époque (1996) contre la double échelle des salaires, m'ont parues les plus pertinentes, et c'est encore le cas aujourd'hui s'agissant de l'analyse des dangers de la low-costisation de l'aérien sur le plan économique et plus encore en matière de sécurité aérienne. »

Fort des victoires syndicales des années 2007 pour l'amélioration des conditions de travail, où la CGT a obtenu l'équivalent de 13 % de la masse salariale en moyens, Mehdi Kemoune et la CGT Air France entendent bien poursuivre la bataille actuelle jusqu'à la victoire : contre le démantèlement du fleuron national de l'aérien et pour une véritable stratégie de développement industriel.

Sans quoi, le pays risque d'y laisser bien plus qu'une chemise.


TROIS QUESTION À MEHDI KEMOUNE

Comment vivez-vous la séquence médiatique entièrement focalisée sur la violence des salariés d'Air France ?

Nous venons d'assister à une authentique cabale médiatique, qui visait à étouffer dans l'œuf toute rébellion – et pas uniquement chez Air France – et surtout, à empêcher le débat que nous réclamons depuis le dernier plan « Transform » sur la stratégie industrielle actuelle d'Air France, que nous combattons.

Or, cet acharnement à stigmatiser la seule violence des salariés – que bien évidemment, nous ne cautionnons pas – tout en occultant la violence sociale qu'ils subissent depuis des années, a produit des effets inattendus. Par exemple, dans plusieurs rédactions, des journalistes ont engagé des batailles contre leur direction pour pouvoir informer le public de toutes les dimensions de l'affaire.

Au sein d'une grande chaîne nationale, les journalistes se sont même retournés contre leur direction et ont refusé les consignes de traitement de l'information qui leur étaient imposées. Ces batailles des rédactions, mais aussi le fait de notre présence sur les plateaux télé où, face à l'argument de la violence inacceptable des salariés martelé en boucle, nous avons pu faire valoir que toutes les violences sont condamnables et envoyer ainsi des signes rassurants aux militants alors que le premier ministre avait déjà condamné en voyouterie, et sans procès, les salariés révoltés contre le énième plan de licenciements, tout cela a contribué à l'échec de la stratégie des médias. Médias qui, finalement, ne sont pas parvenus à enfermer totalement l'opinion publique dans leur logique.

 

On assiste aussi à une immense vague de soutien tous azimuts qui continue de s'exprimer. Auriez-vous parié sur une telle solidarité ?

On s'attendait, bien sûr, à être soutenu et notamment au sein de la CGT, mais on ne s'attendait pas à un mouvement d'une telle ampleur. Les communiqués et lettres de soutien continuent d'affluer de toute part, y compris de syndicats coréens qui se disent « admiratifs » de notre bataille, de syndicats brésiliens, de collectifs de citoyens, de retraités qui nous encouragent à poursuivre notre combat et nous soutiennent matériellement en abondant notre caisse de solidarité.

Je crois que l'affaire Air France agit comme un révélateur. À savoir que ce problème de dialogue social bafoué, dénié ou dévoyé par les directions se pose à l'évidence dans beaucoup d'autres entreprises, et pas exclusivement en France. À travers le cas Air France, des milliers de salariés ont pu reconnaître leur propre situation et, pour certains, s'identifier au vécu des salariés d'Air France.

En fait, je crois que nous assistons en ce moment même à une prise de conscience à grande échelle : la violence sociale qui s'exerce un peu partout depuis des années a atteint un niveau qui n'est plus supportable. J'en veux pour exemple nos camarades de l'énergie qui se sont rendus à leur réunion de CCE vêtus de chemises en lambeaux.

C'est bien sûr un message de solidarité envers les personnels d'Air France, mais c'est aussi un signal très clair adressé à leur direction, voire au gouvernement au moment où celui-ci nous explique que, demain, le droit du travail va s'arrêter à la porte des entreprises et que c'est le patron qui va devenir le législateur.

 

La mobilisation interprofessionnelle de ce jour, à Paris et partout en France, s'annonce comme un succès. Quelles suites allez-vous donner à cette action ?

Aujourd'hui, nous portons l'exigence de l'abandon des poursuites et des sanctions qui pèsent sur les 5 salariés accusés d'avoir commis les actes de violence.

Mais nous présenterons aussi nos quatre axes d'intervention : le premier, c'est le maintien du travail en intersyndicale – et je signale à ce propos que les pilotes l'ont rejointe en s'engageant à ne signer aucun accord dans le dos des autres catégories de salariés.

Deuxième axe : le déclenchement d'un droit d'alerte au CCE. Sur le plan purement revendicatif, nous demandons une mission d'expertise de la stratégie d'Air France, ainsi qu'une table ronde sur le soutien à l'investissement industriel, l'emploi et la productivité, et sur le soutien au développement d'Air France, dont l'état doit être partie prenante.

En parallèle, nous préparons des actions juridiques contre Air France et contre l'État sur la remise en cause de la sécurité aérienne. Enfin, nous ne désespérons pas d'obtenir des assises du transport aérien pour pousser la réflexion sur des questions telles que le transport intermodal public au service de tous les citoyens français et européens, sur la dégradation de la sécurité et de la qualité de service, sur le subventionnement des compagnies low-cost, etc. Il serait temps que le gouvernement et la direction d'Air France acceptent ce dialogue.