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COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Métropoles : concentration des pouvoirs et relégations

17 mars 2014 | Mise à jour le 10 février 2017
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La « loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles », inscrite au Journal officiel le 28 janvier dernier, entrera en vigueur dès le 1er janvier 2015. Premier volet de « l'acte III de la décentralisation », la loi redessine l'organisation territoriale autour des futures métropoles, sur lesquelles le gouvernement Ayrault fonde son projet de relance de la croissance, en même temps qu'il poursuit sa politique de réduction des dépenses publiques.

Le redécoupage du territoire au profit des grandes agglomérations urbaines, sans qu'aucun débat national ait été programmé, exige que soient réaffirmés le droit à un développement humain durable et équilibré des territoires et une dynamique renouvelée en matière de démocratie sociale et citoyenne.

La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi Mapam » a été promulguée le 27 janvier dernier, après avoir été validée par le Conseil constitutionnel. Elle constitue le premier volet d'un triptyque pour réformer la décentralisation, dont les deux suivants sont relatifs à la « mobilisation des régions pour la croissance et l'emploi et de promotion de l'égalité des territoires » et au « développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale ».

Les métropoles, que cette loi institue, vont concentrer d'importants pouvoirs, au détriment des régions, des départements et surtout des communes et des intercommunalités. « L'acte III de la décentralisation », voulu par le gouvernement Ayrault, met en place et officialise une série de noyaux (re)centralisateurs – une centralisation territoriale, en quelque sorte, avec comme argument principal que l'aire urbaine est aujourd'hui la forme d'organisation spatiale la plus à même de mobiliser les ressources nécessaires à la croissance et à la compétitivité. Le « redressement productif » fondé sur les métropoles implique donc, dans l'esprit du législateur, une concentration des emplois, des richesses et des lieux de décision, tandis que se profile un creusement inéluctable des inégalités territoriales et du déficit démocratique.

Une nouvelle organisation territoriale

La loi prévoit la création automatique, par décret, de métropoles dites « de droit commun », au 1er janvier 2015, pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de 400 000 habitants situés dans une aire urbaine de 650 000 habitants. Il s'agit de Bordeaux, Grenoble, Lille, Nantes, Nice, Rennes, Rouen, Strasbourg et Toulouse. D'autres EPCI situés dans un bassin de plus de 400 000 habitants (Brest et Montpellier) pourront aussi avoir par décret ce statut, sous réserve d'un accord des communes membres. En outre, la loi abaisse le seuil de création des communautés urbaines à 250 000 habitants et renforce leurs compétences en matière économique et touristique, ainsi que dans les domaines du logement et de l'énergie.

La notion de « collectivité chef de file » est une innovation institutionnelle. Le nouvel article L. 1111-9 du Code général des collectivités territoriales désigne expressément comme chefs de file :

  • la région, en matière d'aménagement et de développement durable du territoire ; de protection de la diversité ; de climat, qualité de l'air et énergie ; de développement économique ; de soutien à l'innovation des entreprises ; de complé­mentarité entre les modes de transport ; de soutien à l'enseignement supérieur et à la recherche ;
  •  le département, pour l'action sociale, le dévelop­pement social et la contribution à la résorption de la précarité énergétique ; l'autonomie des personnes et la solidarité des territoires ;
  •  la commune, pour la mobilité durable, l'organisation des services publics de proximité, l'aménagement de l'espace et le développement local. À partir du 1er janvier 2016, les communes seront également compétentes pour « la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations ».

Dans chaque région, une conférence territoriale de l'action publique, présidée par le président du conseil régional, sera chargée de favoriser un « exercice concerté des compétences » des collectivités territoriales. Elle comprendra le président du conseil régional, les présidents des conseils généraux, ceux des EPCI et des communes de chaque département.

Le chapitre de la répartition des compétences n'est cependant pas clos, notamment en ce qui concerne le rôle des régions.

L'ère des métropoles

Selon l'article L. 5217-1 I du Code général des collectivités territoriales, « la métropole est un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant plusieurs communes d'un seul tenant et sans enclave au sein d'un espace de solidarité pour élaborer et conduire ensemble un projet d'aménagement et de développement économique, écologique, éducatif, culturel et social de leur territoire afin d'en améliorer la cohésion et la compétitivité et de concourir à un développement durable et solidaire du territoire régional. Elle valorise les fonctions économiques métropolitaines, ses réseaux de transport et ses ressources universitaires, de recherche et d'innovation, dans un esprit de coopération régionale et interrégionale et avec le souci d'un développement territorial équilibré ».

Des métropoles « de droit commun »

Toutes les communautés d'agglomération ou urbaines qui rassemblent plus de 400 000 habitants dans une aire urbaine de plus de 500 000 habitants deviendront des métropoles. Elles exerceront des compétences renforcées par rapport aux intercommunalités classiques, bénéficiant de transferts de compétences de la part des départements et des régions (développement économique, transports, éducation…) et l'État pourra leur confier de grands équipements et infrastructures. Elles détermineront des projets de territoire à l'échelle de plusieurs communes, en matière d'urbanisme, d'habitat, de transports et d'équipements commerciaux. Elles participeront à la gouvernance et à l'aménagement des gares situées sur leur territoire, et pourront se voir déléguer la responsabilité de la garantie du droit au logement opposable – et à ce titre gérer par exemple le contingent préfectoral de logements.

Elles pourront également exercer des compétences relevant en principe du département ou de la région. Elles définiront les obligations de service au public et assureront la gestion des services publics correspondants.

Sur le plan financier, les métropoles pourront disposer de transferts de fiscalité locale ou de dotations de l'État. Une conférence métropolitaine, présidée de droit par le président du conseil de la métropole et comprenant les maires des communes membres, sera l'instance de coordination entre la métropole et les communes membres.

Paris, Lyon, Marseille : trois métropoles à statut particulier

Les trois plus grandes agglomérations de France deviennent par la loi des sortes de « ­super-métropoles » à statut particulier.

La nouvelle « métropole du Grand Paris », qui entrera en vigueur début 2016, sera composée de la commune de Paris, de l'ensemble des communes des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne et des communes des autres départements de la région d'Ile-de-France appartenant, au 31 décembre 2014, à un EPCI comprenant au moins une commune des dépar­tements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, et dont le conseil municipal aura délibéré favorablement avant le 30 septembre 2014.

Le Grand Paris aura en charge les questions d'habitat, d'environnement, d'aménagement et de politique de la ville, pour 6,8 millions d'habitants. Des citoyens de plus en plus éloignés des décisions stratégiques, sous couvert de rationalité et de modernisation. Quant au bassin d'emploi, le secrétaire général de l'union régionale Île-de-France CGT, Pascal Joly, met en lumière combien la désindustrialisation est au cœur du projet du Grand Paris, destiné à devenir avant tout une place financière capable de concurrencer Londres ou Francfort.
Tandis que la métropole d'Aix-Marseille-­Provence se substituera le 1er janvier 2016 aux six intercommunalités existantes, celle de Lyon résultera, dès 2015, de la fusion de la communauté urbaine de Lyon et de la portion du département du Rhône situé sur le périmètre urbain. Le maire de Lyon deviendra de fait le président de la métropole lyonnaise, sans avoir à passer par le suffrage universel et en concentrant d'énormes pouvoirs au plan régional. Une exception au non-cumul des mandats qui a pris de court les élus locaux, mais que le Conseil constitutionnel a cependant admise « à titre provisoire ». Et que le président Hollande citait comme un exemple à suivre lors de sa conférence de presse du 14 janvier.

Un tsunami institutionnel

La réforme est d'une telle ampleur qu'elle s'apparente plutôt à un tsunami institutionnel qui impactera sans doute possible les conditions de vie et de travail des populations et des salariés. L'objectif déclaré du gouvernement est d'« adapter » notre pays à la compétition européenne et mondiale. Mais la « ligne » est claire : elle s'inscrit avant tout dans le cadre d'une politique de réduction drastique des dépenses publiques conduisant, dans un même mouvement, à une dégradation du maillage territorial et de la qualité des services publics (et des conditions de travail des professionnels du service public).
Les métropoles seraient ainsi, dans une optique principalement libérale, un outil essentiel face aux enjeux de la compétition mondiale. Mais pour la CGT, elles risquent surtout de participer à la concentration, autour de grandes agglomérations, des populations, des activités et de la production de richesses, au détriment d'un aménagement équilibré et solidaire des territoires. En reléguant à ses marges et dans des territoires désertés les poches de pauvreté.

Un bouleversement institutionnel aussi conséquent ne peut se négocier entre quelques élus de collectivités locales qui, dans certains cas, concentreront des pouvoirs exorbitants. Une large concertation sociale et citoyenne intégrant un bilan contradictoire des précédentes phases de décentralisation semble nécessaire, bien qu'elle ne soit pas au programme.

Il y a en effet tout lieu de penser que la recherche de l'intérêt général et la réduction des inégalités sociales et territoriales, prérogatives de l'État et des collectivités locales, passera derrière l'exigence de compétitivité et de croissance économique dont les métropoles sont les fers de lance désignés.

Pascal Joly, secrétaire général de l'URIF CGT, Hervé Ossant, secrétaire général de l'union départementale (UD) de Seine-Saint-Denis CGT, Patrick Picard, secrétaire général de l'UD de Paris CGT, Denis Renard, secrétaire général de l'UD des Hauts-de-Seine CGT, et Cédric Quintin, secrétaire général de l'UD du Val-de-Marne CGT, déclarent dans un texte commun que « ceux qui détiennent les pouvoirs économiques et politiques sont en train de vouloir redessiner nos territoires avec un objectif majeur : qu'ils répondent aux intérêts du capital […] Ils veulent, argumentent-ils, construire des territoires d'excellence. Mais qui dit territoire d'excellence, dit aussi, souvent, territoires de relégation sociale ».

Le danger serait d'en faire une affaire d'initiés, d'experts, ce à quoi s'efforcent en partie certaines forces politiques en action et le Medef. La CGT invite au contraire les salariés « à se mêler de cette affaire […], où tout a été fait depuis le départ pour les en écarter ». La démo­cratie politique doit se conjuguer avec la démo­cratie sociale.