Après Khaos, les visages humains de la crise grecque, la réalisatrice franco-roumaine Ana Dumitrescu nous invite à nous interroger sur l'état de la société après les attentats de janvier à Charlie Hebdo et à l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes.
« Je travaillais depuis un moment sur un deuxième volet de Khaos, mais en France, car l'application de la politique d'austérité n'est pas uniquement grecque. Les événements ont collisionné ce film. J'ai donc pris la caméra plus vite que prévu, c'est-à-dire à partir du 12 janvier, afin de faire démarrer le film “le jour d'après”, car ce qui m'a impacté, c'est la cristallisation des peurs. La peur du lendemain provoquée par la crise qui frappe aussi la France risque de s'exacerber et de se muer vers une peur des autres, créant ainsi un plus fort clivage social. Mon angle s'est donc orienté vers les différentes formes de peurs sociétales et les réponses à celles-ci. »
AUX RACINES DE LA PEUR
On se souvient qu'après le 11 septembre 2001, les États-Unis de George W. Bush avaient choisi de répondre à la violence terroriste par la violence d'État. Axe du mal, guerre à la terreur et autres agitations de bannière étoilée se doublèrent de gros mensonges sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein, en un climat de peur relayé, de ce côté-ci de l'Atlantique, par la tête de pont britannique.
Un bon moyen pour le président américain mal élu de continuer à diriger sans partage, de couper dans les programmes sociaux, de museler les oppositions, de favoriser l'enrichissement du lobby dont il était lui-même issu… Mais si la France et l'Europe continentale ne sont pas les États-Unis et si la possession d'armes à feu n'y est pas inscrite dans la Constitution… il n'en reste pas moins que notre pays, où progresse de plus en plus un « racisme décomplexé », présente quelques inquiétantes similitudes avec les États-Unis de l'ère Bush. Qu'il tend à rejoindre en creusant ses inégalités par, notamment, la déconstruction de sa protection sociale, de son droit du travail, par la marchandisation et l'abandon des « biens communs », bref, par sa politique de plus en plus ultralibérale.
UN SLOGAN SOUS LA LOUPE
Lorsque des millions de personnes dirent « Je suis Charlie », que signifiait pour elles ce slogan nécessairement simplificateur ? Et surtout, ne cachait-il pas d'autres réalités, d'autres peurs, que ce moment d'unité ne doit pas occulter ? C'est précisément le questionnement de , un film qui appelle le débat et le partage.
Ana Dumitrescu a donc tourné sa caméra vers des intellectuels vivant en France, mais aussi vers des personnalités de tous milieux socio-professionnels qui portent un regard sur ce qui divise ou unit notre société.
Sociologues, comme Alain Touraine, Jean-Pierre Garnier, Jean Baubérot, universitaires et chercheurs tels Monique Chemillier-Gendreau, Mirna Safi, Didier Heiderich, Benjamin Coriat, Olivier Le Cour-Grandmaison, l'historien Odon Vallet, l'analyste des médias Natalie Maroun.
Mais aussi l'auteur de BD Halim Mahmoudi, l'humoriste Nadia Orosemane, le photojournaliste Michel Setboun, la psychothérapeute Dominique Thewissen, le philosophe Yannis Youlontas, le professeur de grec Nikos Graikos, la juge Laurence Blisson, le conseiller municipal Gilles Boitte, l'urbaniste Hernán Carvajl-Cortés ou le rappeur Ashkenaton.
Ce film de réflexion s'engage résolument pour que soient posées les vraies questions, celles qui marquent le quotidien de chacun : le travail, la protection sociale, le vivre-ensemble, l'environnement, bref, toutes les interrogations qui empêchent de se dire qu'on n'a « même pas peur » que demain soit pire qu'aujourd'hui.
Même pas peur !, réalisé par Ana Dumitrescu. 1 h 40. Sortie nationale le 7 octobre 2015.