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Syrie

Nouveau massacre chimique

11 avril 2017 | Mise à jour le 19 avril 2017
Par | Photo(s) : Sameer Al-Doumy / AFP
Nouveau massacre chimique

Après un nouveau massacre à Khan Cheikhoun, dans la région d'Idleb, le peuple syrien continue de subir les conséquences de l'impunité dont jouit le régime. Tandis que Donald Trump a décidé de réagir en dehors de toute légalité internationale, l'ONU doit enfin assurer la protection du peuple syrien.

Un peu plus de six ans après le début des mobilisations du peuple syrien contre la dictature au pouvoir à Damas, l'horreur continue à se faire quotidienne en Syrie. Mardi 4 avril, les habitants de Khan Cheikhoun, dans la région d'Idleb (au nord-ouest du pays, au sud-ouest d'Alep), ont connu l'agonie chimique. Un bombardement aérien a provoqué la mort d'une centaine de personnes, dont de nombreux enfants, et plusieurs centaines de blessés. La plupart sont morts étouffés, une mousse blanche emplissant leur bouche, entravant toute respiration. Les médecins sur place décrivent les effets de gaz toxiques et neurotoxiques et vraisemblablement de gaz sarin. Les hôpitaux où étaient conduits les blessés ont quant à eux immédiatement subi à leur tour des bombardements. Le régime a plaidé non coupable : à l'issue d'un bombardement au gaz sarin, en 2013, au sud de Damas, faisant 1 400 morts dans une zone rebelle, son arsenal chimique était en effet censé avoir été détruit (un accord entre les États-Unis et la Russie portant alors sur son démantèlement), ce qui n'a d'ailleurs nullement empêché des bombardements au chlore. Mais concrètement, en Syrie, seul le régime, et non son opposition, même militaire, dispose de moyens de bombardements aériens. Nul n'est donc dupe de ses dénégations.

Les enjeux d'un nouveau massacre

Pourquoi cet acharnement contre la région d'Idleb ? Voici quelques mois, fin décembre, le régime fêtait sa victoire à Alep-Est réduite en ruines et dont les derniers habitants étaient évacués, après plusieurs mois de bombardements acharnés. Tandis que la population était parvenue à se libérer des forces de l'OEI (organisation de l'État islamique, ou Daech) des mois auparavant, elle avait en effet continué à s'opposer au régime. Lequel, aidé par ses alliés, russes en particulier, avait décidé de faire d'Alep un exemple et un symbole, afin de se qualifier de « rempart contre le terrorisme islamiste ». Or, Bachar al-Assad sait que son allié russe, qui a réussi son retour en force sur la scène internationale (et qui a également obtenu les concessions iraniennes sur les champs d'hydrocarbures), souhaite désormais des négociations en Syrie. Les agendas de Vladimir Poutine et de Bahar al-Assad ne coïncident donc plus exactement.

Aussi, profitant de l'impunité dont il jouit depuis le début de la répression de masse contre la mobilisation populaire en 2011, Bachar al-Assad a-t-il annoncé vouloir reprendre le pouvoir sur l'ensemble du territoire syrien pour négocier, le cas échéant, en position de force. Pour cela, il a besoin de regagner du terrain en particulier dans la région d'Idleb, où la rébellion est encore puissante. Qui plus est, le massacre de Khan Cheikhoun intervient quelques semaines à peine après la publication du rapport de la commission internationale indépendante d'enquête sur la Syrie à Genève. L'ancienne procureure du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Carla Del Ponte, commente : « Ce que nous avons vu en Syrie, je ne l'ai pas vu au Rwanda ou en ex-Yougoslavie. Ce qui s'est passé est juste incroyable ». Et en effet : comme le soulignait récemment Jack Ralite en appelant à la solidarité avec le peuple syrien, tous les mots décrivant l'horreur « dévoilent l'horrible, avec ses cruautés et férocités qui constituent le plus grand meurtre de masse depuis le début du 21e siècle. Le quartier populaire d'Alep et son histoire millénaire, en est le tragique symbole. Le dictateur Bachar Al-Assad et ses protecteurs en sont les auteurs. Oui, il y a des mots abominables ; il y a aussi des chiffres insoutenables » ; et de citer les plus de 300 000 civils tués, mais aussi « 200 000 prisonniers dont 13 000 odieusement supprimés à la prison de Saidnaya. 2 millions de blessés. 4,7 millions de Syriens en exil à l'étranger. On connaît en général leurs mauvaises conditions d'accueil. Ils sont en état de perte. 7,6 millions de déplacés en Syrie dans le dénuement le plus complet. » Le massacre de Khan Cheikhoun s'inscrit dans cette longue liste funèbre.

Engrenage militaire ?

Veto, contre veto. Quels que soient les votes de l'Assemblée générale des Nations unies, le conseil de sécurité est soumis au privilège des puissances de bloquer toute résolution. Veto américain dans un cas (en l'occurrence contre toute condamnation de son allié israélien, notamment lorsque Tel-Aviv viole le droit international, intensifie la colonisation de la Palestine occupée, assiège et bombarde Gaza…), veto russe dans un autre (en l'occurrence contre toute condamnation de son allié syrien). La concurrence des hégémonies stratégiques et économiques des puissances dans la région favorise une impunité des crimes de guerre, impunité devenue l'un des principaux obstacles à la paix et à la justice.

Dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 avril, à l'issue du veto russe à toute condamnation de Damas au conseil de sécurité des Nations unies, Donald Trump a décidé d'une attaque-surprise unilatérale et sans accord de l'ONU. Il a ordonné des frappes contre une base aérienne du régime syrien. Il a certes averti Moscou avant l'opération militaire, en précisant quelle base serait attaquée, évitant ainsi des victimes côté russe. Moscou et Damas, comme Téhéran, n'en ont évidemment pas moins protesté vivement, Moscou dénonçant une « agression contre un État souverain ».

Quel est dès lors l'objectif de Donald Trump ? En défendant le slogan « L'Amérique d'abord », le 45e locataire de la Maison-Blanche avait annoncé rejeter l'interventionnisme militaire. Mais le nationalisme affiché de Donald Trump s'accompagne d'une volonté de défendre les « intérêts américains » dans le monde. Il a même déclaré vouloir écraser Daech sous les bombes. En fait, tout en évoquant le retrait américain de l'Otan, il souhaite une hausse de 54 milliards de dollars (environ 49 milliards d'euros) du budget de la Défense des États-Unis : une augmentation historique de quelque 9 %, via une réduction des dépenses non militaires. Un tel budget se veut « un message au monde en ces temps dangereux, sur la force et la détermination de l'Amérique », message qui inquiète les diplomates américains eux-mêmes. L'intervention contre une base militaire syrienne s'inscrit dans cette logique : démontrer la puissance militaire de Washington et sa capacité d'intervention. Notamment au moment où fleurissent les accusations d'accointance entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Donald Trump entend aussi signifier à Moscou qu'une négociation sur la Syrie ne pourra négliger Washington.

Regard vers l'Asie

Mais le message de cette frappe américaine dépasse les contours de la Syrie. Et même de la région. Le jeudi 6 au soir, Donald Trump recevait en effet le président chinois Xi Jinping dans sa villa de Mar-a-Lago, en Floride. Or, si les relations commerciales et économiques sont au cœur de la rencontre, Donald Trump a aussi annoncé dans un entretien au Financial Times, vouloir « régler » le « problème » nord-coréen. La frappe du 6 avril s'adressait donc aussi directement à la Chine, dont le porte-parole gouvernemental a souligné qu'il s'agit désormais d'éviter « toute nouvelle détérioration de la situation ».

Solidarité avec le peuple syrien

En attendant, le peuple syrien a besoin de toute notre solidarité. Pour que cessent les bombardements. Pour que l'impunité des criminels de guerre ne soit plus la règle. Pour pouvoir enfin décider librement de son avenir dont il rejette à la fois l'OEI et le régime de Bachar al-Assad. Le peuple syrien a besoin de notre solidarité pour que d'urgence puissent arriver l'aide humanitaire, l'aide sanitaire, pour que les prisonniers politiques soient libérés. Il a besoin de notre solidarité pour un accueil digne de ce nom de tous les réfugiés qui tentent d'échapper à la mort. Et pour que la vie puisse enfin espérer se reconstruire en Syrie.

 

Le Yémen martyrisé Depuis le printemps 2015, le Yémen subit les bombardements de l'Arabie saoudite et de ses alliés dans le silence de la majorité des États. Et, en France, de la plupart des politiques et des médias. Aux victimes de la guerre s'ajoutent celles de la famine. 

« Tempête décisive ». Tel est le nom donné par l'Arabie saoudite et ses alliés à la campagne militaire qui a déjà fait depuis le printemps 2015 plus de 10 000 victimes au Yémen. Ryad entend restaurer le pouvoir du président Abderabouh Mansour Hadi, qui avait remplacé en 2012 l'ancien président Ali Abdallah Saleh à l'issue des mobilisations populaires pour la liberté et la démocratie. Pour demeurer au pouvoir de ce pays pauvre durant 33 ans, le dictateur Ali Abdallah Saleh avait su s'appuyer sur le clientélisme, mais aussi sur les divisions régionales, voire confessionnelles, au Yémen. Las, son successeur n'est guère sorti des logiques clientélistes et de corruption, générant la rébellion d'une partie de la population, les Houtistes (qui appartiennent à une branche du chiisme) : ils l'ont à son tour chassé en 2015. Mais pour cela, les Houtistes se sont appuyés sur leur ancien ennemi, Ali Abdallah Saleh, honni par la population. En même temps, le Yémen est aussi un enjeu dans la course à l'hégémonie régionale que se livrent l'Arabie saoudite et l'Iran au détriment de sa population, de ses aspirations démocratiques et de son avenir économique. Dans ce pays de plus en plus morcelé, où apparaissent aussi les appétits des jihadistes, la guerre en tout cas, elle aussi en toute impunité, ne cesse de condamner les Yéménites à la faim et à la mort. Loin des caméras.