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DIALOGUE SOCIAL

Petite conférence entre amis

14 juillet 2014 | Mise à jour le 25 avril 2017
Par | Photo(s) : DR
Petite conférence entre amis

Quatre organisations syndicales, dont la première, la CGT, ont refusé de jouer les figurants lors de la troisième conférence sociale organisée par le président de la République et le gouvernement au CESE. En jeu, non seulement la méthode, qui fait fi d'une vraie démocratie sociale, mais aussi les orientations du gouvernement, déjà prises ou annoncées, cédant aux injonctions patronales. Décryptage.

À situation gravissime, décisions inédites. Prodigalité à l'attention du Medef, provocations à l'encontre des salariés et de leurs représentants syndicaux, décisions promues en avant-première du dialogue pourtant annoncé : les orientations et la méthode du premier ministre Manuel Valls ont plus qu'indigné certaines organisations syndicales. La CGT a participé lundi 7 juillet, comme un acte républicain, à la réunion à huis clos avec le président de la République et avec les autres organisations syndicales et organisations patronales, lors de la première journée de la troisième conférence sociale organisée au CESE par François Hollande. Mais face à ce qui ressemble de plus en plus à un pas de deux entre gouvernement et patronat, elle a décidé de ne pas participer aux sept tables rondes prévues le lendemain et de ne pas assister au discours de clôture du premier ministre. Même refus du côté de FO.

La FSU a elle aussi « claqué la porte » mardi, peu après l'ouverture des tables rondes, tandis que Sud Solidaires avait annoncé plus tôt son intention de ne pas participer. « C'est en respectant les salariés et en revalorisant le travail par une autre répartition des richesses créées par le travail qu'une issue à la crise sera possible », a déclaré Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT, tirant le bilan des résultats catastrophiques de la politique économique du gouvernement et d'une vision quelque peu méprisante de la démocratie sociale dont le président avait pourtant fait l'un de ses chevaux de bataille officiels. « L'attitude du premier ministre à l'égard des partenaires sociaux n'est pas admissible », a-t-il rappelé, soulignant que le gouvernement a remis en cause des mesures qui ont fait l'objet d'une négociation, d'un accord, d'une loi, en donnant « raison au patronat », lequel, notamment, « ne veut pas endosser sa responsabilité dans la reconnaissance de la pénibilité au travail, et qui exclut du travail pour inaptitude 150 000 salariés par an ».

« On a voulu dire attention, vous prenez un drôle de chemin, un chemin qui est dangereux pour l'économie, un chemin qui est dangereux pour le social, un chemin qui est dangereux pour la démocratie, ça s'appelle l'austérité », a précisé, de son côté, Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO pour qui « nous parler de dialogue social, quand un gouvernement décide sans dialoguer, ça s'appelle du cinéma ».

Bernadette Groison a expliqué, pour sa part, le choix de la FSU : « Nous ne restons pas à cette conférence sociale parce qu'elle est trop mal engagée en termes de méthode sur le dialogue social. […] Nous attendons que le gouvernement clarifie la manière dont il conçoit le dialogue social. Aujourd'hui nous ne pouvons pas être sur un dialogue social unilatéral. […] Nous avons eu le sentiment, hier [lundi 7, NDLR] que nous avions déjà la feuille de route de clôture […] alors qu'il y a des désaccords », notamment sur le pacte de responsabilité ou les services publics. Quant au syndicat Solidaires, il avait annoncé la semaine précédente sa décision de boycotter la conférence les 7 et 8, dénonçant l'absence de dialogue social et de « discussion sur les choix politiques du gouvernement » accusé de céder aux « injonctions du Medef ». Aussi l'organisation avait-elle appelé à « rejoindre la conférence vraiment sociale initiée par les mouvements de chômeurs et chômeuses à Paris le 7 juillet ».

Valls avec les loups

Dès avant cette troisième rencontre au Palais d'Iéna, le premier ministre a ainsi déclaré vouloir poursuivre, intensifier, accélérer sa politique, comme il l'avait fait lors de sa nomination, au lendemain d'élections, au mépris du message pourtant clair des électeurs contre des orientations injustes et inefficaces. Cette fois, alors que le Parlement débattait du budget, il a accordé au quotidien économique Les Échos un grand entretien précisant ses choix face aux exigences et au chantage du Medef. Et tenté de justifier pourquoi, une nouvelle fois, il a décidé d'y céder. Aussi a-t-il repris de nouveau à son compte l'antienne patronale selon laquelle « nos difficultés viennent avant tout d'un manque de compétitivité de nos entreprises », laquelle serait due au fameux « coût du travail ». Et d'avancer : « En France, on critique beaucoup trop l'entreprise, mais sans entreprise, pas de création de richesse, pas d'emplois », sans préciser évidemment que l'entreprise, c'est le travail, ni que ce qui coûte, c'est la rémunération des dividendes et des intérêts d'emprunt.

PIERRE GATTAZ ANNONCE QUE LA CRÉATION D'EMPLOIS POURRAIT PRENDRE QUELQUES MOIS, VOIRE QUELQUES ANNÉES

Ensuite, il a voulu rassurer le patronat sur la mise en œuvre du pacte dit de responsabilité que celui-ci a réclamé et obtenu, avec de nouvelles aides et exonérations sans contrepartie et par un nouveau plan « d'économies » de 50 milliards. « Je veux donner une visibilité complète sur ces engagements, en matière de baisse du coût du travail et en matière fiscale. Après avoir diminué de 6,5 milliards d'euros, dès 2015, les prélèvements sur les entreprises seront réduits de 8 milliards en 2016 et d'environ 5,5 milliards en 2017. Sans oublier la montée en charge du crédit d'impôt compétitivité emploi à hauteur de 20 milliards d'euros. Jamais de tels engagements n'ont été pris à ce niveau », plaide-t-il alors, répondant explicitement à ce qu'il qualifie d'« inquiétude », d'« angoisse » et d'« exaspération […] de beaucoup d'entrepreneurs, qui créent la richesse et l'emploi » [sic]. Il oublie l'inquiétude, l'angoisse, l'exaspération, bien réelles, des privés d'emplois comme des salariés en mal de pouvoir d'achat, de reconnaissance de leur travail et d'un minimum de considération pour leurs propres exigences. Le patronat, on s'en souvient, a pourtant refusé de s'engager sur des objectifs chiffrés de créations d'emplois en contrepartie du « pacte », reportant la discussion aux branches professionnelles. Des discussions toujours en attente pour la plupart, alors que Pierre Gattaz n'hésite pas à annoncer que la « mobilisation » des employeurs mettrait « du temps » avant de produire « des effets concrets » et que « la création d'emplois » prendrait « quelques mois, voire quelques années »

Au-devant des vœux du Medef

Cela n'a pas empêché Manuel Valls d'annoncer de nouvelles concessions. Ainsi de l'apprentissage : « S'il faut réexaminer les dispositifs d'aide et lever des freins, nous le ferons », a-t-il avancé. Ainsi également de la pénibilité. « Je vais demander à François Rebsamen et à Marisol Touraine de reprendre les projets de décret pour aller plus loin dans la simplification et la sécurisation du dispositif. L'année 2015 sera une année de montée en charge progressive : les facteurs de pénibilité les plus simples à mesurer seront pris en compte, et moins d'un million de salariés seront concernés. Cela facilitera une mise en œuvre plus souple dans des secteurs tels que le bâtiment. »

Le premier ministre souhaite, pour satisfaire le patronat, que le compte pénibilité ne soit généralisé qu'en 2016. En 2015, seuls quatre facteurs de risque sur dix seront pris en compte dans la mesure de la pénibilité : le travail posté, le travail de nuit, le travail répétitif et le travail en milieu hyperbare, mais pas le port de charges lourdes, ni les postures pénibles.
La législation sur le temps partiel devrait elle aussi être révisée, le premier ministre cédant à la demande patronale de revenir sur le plancher des 24 heures hebdomadaires minimales. En outre, le locataire de Matignon n'est pas insensible à une autre sommation patronale : le rehaussement des seuils sociaux dans les entreprises. « Nous allons demander aux partenaires sociaux d'engager des discussions sur ce sujet », dit-il, en ajoutant : « Je vais aussi leur demander d'engager des discussions sur les simplifications possibles du Code du travail ». Bref, les désirs du patronat semblent des ordres et l'attitude du premier ministre allant à leur devant fait désordre.

Dégradations publiques

Et le désordre suscite des frondes. La majorité parlementaire du gouvernement elle-même, si elle ne se fracture pas, connaît en tout cas des dissensions bien réelles. Elles se sont notamment manifestées dans les débats sur le projet de budget nonobstant les votes finaux. Car la politique d'austérité, censée rassurer les « marchés financiers » ne cesse de dégrader la situation économique et celle des salariés.

Thierry Lepaon, s'adressant à François Hollande, le rappelle, fustigeant « hausse des inégalités, augmentation de la pauvreté qui touche d'abord les chômeurs et les salariés, installation du chômage de masse, désillusion, démobilisation et usure des salariés au travail, déstructuration de la vie sociale ». Le nombre de demandeurs d'emploi sans aucune activité a ainsi encore augmenté en mai dernier, atteignant maintenant 3,388 millions de personnes, de même que celui des personnes en activité réduite. Sur un an, le nombre de demandeurs d'emploi de catégories A, B et C est en hausse de 4,8 %. 2,13 millions de demandeurs d'emploi (si l'on tient compte de ceux qui exercent une petite activité) sont inscrits à Pôle emploi depuis plus d'un an (plus de 10 % supplémentaires en un an), dont plus de 636 000 depuis plus de trois ans (+17,7 % en un an).

EN 2015, SEULS QUATRE FACTEURS DE RISQUE SUR DIX PRIS EN COMPTE DANS LA MESURE DE LA PÉNIBILITÉ

Pourtant, le gouvernement a accepté d'agréer la convention d'assurance chômage qui ne peut que réduire les droits des demandeurs d'emploi. « L'industrie continue de perdre des emplois. Les mesures d'austérité prises par le gouvernement aggravent la situation. Le pacte de responsabilité met en danger notre protection sociale. La transformation progressive de notre Sécurité sociale vers une fiscalisation du financement et des prestations n'est pas de nature à répondre aux besoins d'aujourd'hui. Et en l'absence d'engagements clairs du patronat sur la création d'emplois, le pacte de responsabilité va avoir un effet récessif sur notre économie », souligne le secrétaire de la CGT. Il met également en lumière les effets néfastes d'une réforme territoriale décidée « en urgence […] au moment même où vous mettez un terme à la remise à plat fiscale proposée par l'ancien premier ministre, qui aurait pu ouvrir la voie à de nouveaux moyens pour l'action publique ».

Des propositions en débat

Dans ce contexte, la CGT n'est pourtant pas venue les mains vides, au contraire, puisqu'elle a formulé 94 propositions dont cinq exigences prioritaires constituant une « première étape pour opérer un changement de cap répondant aux aspirations du monde du travail et réorienter la politique économique de la France ».

Thierry Lepaon avait précisé que la participation de la confédération à la conférence sociale « dépendrait de l'engagement du président de la République » quant à « l'examen de ces propositions ».

En jeu : le pouvoir d'achat des salariés, privés d'emploi, retraités, les salaires et singulièrement la revalorisation du Smic et des minima sociaux, la relance de l'emploi par l'investissement industriel, la promotion et la reconnaissance de l'emploi qualifié, la mise en œuvre « d'une véritable démocratie sociale, tous les salariés [devant] pouvoir élire un représentant du personnel dans leur proximité, y compris ceux des TPE, bénéficier d'un droit d'expression direct et collectif sur leur travail », mais aussi « le contrôle des aides publiques accordées aux entreprises et leur réorientation pour qu'elles servent à l'emploi et à l'investissement ».

À plusieurs reprises la CGT a mis en garde le gouvernement quant aux dangers d'un rejet massif des revendications du monde du travail, tant sur le plan économique et social qu'en termes de montée de l'extrême droite. Elle a aussi, à plusieurs reprises, appelé les salariés à « faire irruption » sur le terrain social pour que leurs revendications soient enfin écoutées et prises en compte par le gouvernement. Cette nouvelle conférence sociale montre, s'il en était besoin, qu'il est temps.