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JUSTICE

Procès Ikea : « qu’il ne soit pas l’illustration de l’existence d’une justice de classe »

26 mars 2021 | Mise à jour le 26 mars 2021
Par | Photo(s) : Bapoushoo
Procès Ikea : « qu’il ne soit pas l’illustration de l’existence d’une justice de classe »

Après huit années d'enquête judiciaire, le procès Ikea, rebaptisé « Flikea » par les syndicats sur les réseaux sociaux, s'est ouvert le 22 mars au TGI de Versailles. Partie civile dans ce procès, la CGT souhaite que la justice érige cette affaire au rang « d'exemple ». La NVO fait le point avec Céline Verzeletti, membre de la direction CGT, sur les enjeux de cette affaire.

De quoi le procès Ikea est-il le nom ?
NVO La Nouvelle Vie Ouvrière le magazine des militants de la CGT Céline Verzeletti liberté de manifester violences policières

Céline Verzeletti

Céline Verzeletti : C'est l'une des illustrations les plus criantes de l'abus de pouvoir des dominants sur les dominés. En l'occurrence, d'un employeur sur ses salariés ou futurs employés.

C'est une affaire choquante, d'abord par son ampleur puisque le système d'espionnage et de surveillance des salariés, des syndiqués et même des clients de l'enseigne, a été déployé sur l'ensemble du territoire, dans la plupart des magasins, en connivence avec des policiers – véreux – et des prestataires privés, pour accéder illégalement à des fichiers dont la connaissance est réservée au ministère de l'Intérieur. Et tout cela, au prix de sommes colossales – on parle de centaines de milliers d'euros par an – engagées par la direction d'Ikea France dans le but de nuire à ses employés ou futurs embauchés particulièrement à celles et ceux qui exerçaient ou étaient susceptibles d'exercer leurs droits syndicaux.

Des délits de fichage illégal des salariés, de surveillance et d'espionnage des syndicalistes sont régulièrement commis dans d'autres entreprises. Qu'en est-il ?

C'est exact et des procédures judiciaires sont en cours dans plusieurs entreprises et même des entreprises publiques. Mais ce qui singularise le cas d'Ikea, c'est la dimension industrielle du système d'espionnage conçu et déployé par la direction. C'est le degré d'hostilité et de défiance patronales envers les salariés et en particulier envers les salariés syndiqués.

Il ne faut pas minimiser cette dimension industrielle du délit, parce que ça reviendrait à faire le jeu de la défense d'Ikea qui, malgré les preuves accablantes, cherche à relativiser les faits en arguant que de telles pratiques seraient monnaie courante et qu'Ikea ne serait au final qu'un « petit joueur » voire un « petit client » d'officines privées prestataires qui se trouvent aujourd'hui sur le banc des accusés, avec les dirigeants de l'enseigne et les policiers impliqués dans l'affaire.

Des miettes pour les salariés d'IKEA

Quels sont les enjeux de ce procès pour la CGT qui s'est portée partie civile ?

Ce procès va agir comme un révélateur et montrer au grand jour l'ampleur et le degré de sophistication que peut atteindre une politique de répression syndicale qui, dans le cas d'Ikea, s'assimile à de l'ingénierie répressive et préventive. C'est-à-dire que même de futurs embauchés étaient espionnés, leur vie privée disséquée et cela à la seule fin de prémunir la direction d'Ikea contre le droit des personnes à se syndiquer ou à soutenir un syndicat. Ce procès va montrer qu'au 21e siècle, dans un État de droit, la défiance patronale envers les syndicats ne recule pas.

Au contraire, elle s'intensifie au point de virer à l'obsession vis-à-vis de celles et ceux qui en sont les victimes : de simples salariés exerçant leur droit constitutionnel à se syndiquer. Ce procès est aussi l'occasion de réhabiliter Abel Amara, un représentant du personnel du magasin de Franconville (Val-d'Oise) qui a non seulement été licencié suite à l'organisation d'une mobilisation historique en 2010, mais qui a été accusé et condamné pour harcèlement moral envers ses supérieurs hiérarchiques, alors que la justice avait déjà en main tous les éléments sur les agissements d'Ikea, aujourd'hui jugés au TGI de Versailles.

À l'époque, l'avocat d'Ikea avait justifié la surveillance et l'espionnage d'Abel au motif qu'il était « le loup », en raison de son poids syndical et de sa capacité à mobiliser les salariés. On est dans un renversement des valeurs, et l'on pourrait de ce point de vue établir un parallèle avec l'affaire actuelle des accusations par l'extrême droite de pratiques racistes contre le syndicat étudiant Unef, qu'elle va jusqu'à accompagner d'une demande de dissolution.

Plusieurs syndicats apportent leur soutien à l'Unef

Alors oui, ce procès est un enjeu majeur pour la CGT dans son combat permanent contre les toutes les discriminations et contre la répression syndicale. Mais aussi pour tous les salariés qui subissent ou redoutent ces discriminations, au point de se priver d'exercer leur droit à agir syndicalement.

Qu'attendez-vous de l'issue de ce procès ?

Nous attendons des condamnations fermes et pas de simples amendes symboliques. Les faits commis sont extrêmement graves et les éléments de preuve accablants. Nous attendons donc que la justice condamne les responsables de ces délits et leurs complices, comme prévu par la loi. Nous attendons de ce procès qu'il ne soit pas une énième illustration de l'existence d'une justice de classe qui peine à condamner les employeurs en classant sans suite les plaintes dont ils font l'objet, mais dont la main ne tremble jamais lorsqu'il s'agit de condamner des salariés ou des syndicalistes pour de simples faits de grève.

J'espère que ce procès permettra de renforcer la loi sur le droit constitutionnel des salariés à se syndiquer et à agir syndicalement. Que la justice démontrera que personne n'est au-dessus des lois ni les syndicalistes ni les employeurs.

Nous attendons que ce procès mette en lumière que ces agissements répressifs ne sont pas des exceptions, mais bien des stratégies patronales pour réduire à néant les droits fondamentaux des salariés. Et qu'il permette à tous les syndiqués et à tous les salariés qui aspirent à prendre des responsabilités syndicales de se savoir non pas surexposés à tous les risques, mais bien protégés par la loi et la justice.

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