À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
BUDGET

Projet de loi de finances 2021 : un budget comme si de rien n’était

11 novembre 2020 | Mise à jour le 10 novembre 2020
Par
Emballement de l'épidémie, aggravation de la récession, explosion de la pauvreté et du chômage, prévision de croissance irréaliste… Imperméable à la situation économique et sociale, le gouvernement s'accroche à son projet de loi de finances pour 2021, qui privilégie les entreprises et accélère sa politique de baisses d'impôts.

Totalement confinés au printemps, privés de vie sociale à l'automne et toujours contraints de vivre et travailler à distance les uns des autres, nos lendemains restent incertains tant que court l'épidémie de Covid-19. Le 28 octobre, à deux jours d'un reconfinement prévu jusqu'au 1er décembre, suite à l'emballement de l'épidémie, le chef de l'État nous a cependant asséné que « face au virus, nous avons tous le pouvoir d'agir. La réussite dépend du civisme de chacune et chacun d'entre nous ».

Certes, la tendance naturelle du Sars-CoV-2 est de circuler et chacun est à même de freiner sa propagation autour de soi. Mais la somme des vigilances individuelles ne fait pas une politique. La crise est sanitaire, économique et sociale et il incombe au gouvernement à la fois de permettre à toute la population d'y faire face et d'assurer la ­cohésion de la société.

C'est ainsi que, le 29 octobre, Jean Castex, l'ex-monsieur déconfinement devenu Premier ministre, n'a pas totalement atteint l'objectif lorsqu'il a présenté « les modalités et les contours de ce nouveau confinement » le 29 octobre, expliquant qu'ils ne seraient « pas les mêmes qu'au mois de mars. Car nous avons appris […] de la première vague. »

Un sondage Elabe publié deux jours plus tard indique que le confinement annoncé est approuvé par 67 % des Français, loin des 93 % de la première fois en mars. De surcroît, seuls 42 % des sondés font confiance au gouvernement pour gérer la crise. Un recul qui aurait pu être moindre si, au cours des derniers mois, les moyens mis par le gouvernement pour lutter contre la crise avaient été plus efficaces et répartis de façon plus équitable.

Pas de changement de cap

Sur le terrain sanitaire, le fiasco du « tester-tracer-isoler » a confirmé la difficulté récurrente de l'exécutif à mener une politique de prévention efficace. En l'occurrence, l'objectif qui était, en amont, de casser les chaînes de contamination, a échoué. En aval, c'est le manque persistant de moyens hospitaliers pour absorber le flot de patients qui témoigne du refus constant de l'État de financer l'hôpital à hauteur des besoins (lits, revalorisation des professions de santé, recrutements, etc.).

Début octobre, Emmanuel Macron a même récusé l'inquiétude d'une soignante, d'un péremptoire « ce n'est pas une question de moyens, mais d'organisation ». Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) montre, qu'en la matière, la crise sanitaire n'a absolument pas modifié la stratégie du gouvernement pour 2021 (lire « décodage » page 36 et 37). Il en va de même sur le plan économique et social.

Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, répond au coup par coup aux aléas de l'épidémie sans modifier son cap. S'il a prévu une quatrième loi de finances rectificative pour 2020 (PLFR4), il n'envisage toujours pas de revoir ses prévisions budgétaires pour l'an prochain, comme l'a fait le gouvernement britannique en renonçant à son PLF.

Le net rebond de la croissance de 8 % sur lequel parie Bruno Le Maire a pourtant été taxé par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) de « volontariste » au regard des « très fortes incertitudes » dues à l'épidémie de Covid-­19. Il n'en a cure. Son projet de loi de finances pour 2021 (PLF 2021), qui doit être adopté avant le 18 décembre, est un budget « de relance qui répond à l'urgence immédiate et prépare l'avenir ». Bercy précise qu'il repose « sur quelques principes fondateurs de notre politique économique », à commencer par « la baisse des impôts ». La messe est dite.

En fait, le gouvernement profite de la crise sanitaire pour accélérer sa politique de réduction des prélèvements obligatoires, notamment pour les entreprises. Outre la poursuite de la baisse de l'impôt sur les sociétés qui doit atteindre 25 % en 2022, le tiers des 32 milliards du plan de relance qui seront décaissés en 2021 sera consacré à la diminution des impôts de production. Réclamée depuis vingt ans par le patronat, la mesure est pérenne alors que les autres aides aux entreprises pour la relance s'éteindront fin 2022.

Autant d'argent qui manquera aux finances de l'État. Se projetant dans un second mandat, l'exécutif a bon espoir de ramener le déficit public à 3 % à l'horizon 2025, après un plongeon à 10 % en 2020. Pour y parvenir, Bruno Le Maire compte sur « la croissance », un assainissement des finances publiques et « des réformes de structures » comme… « le logement ou les retraites ». Bref, à terme, il s'en remet à une classique politique d'austérité.

Construit sur des sables mouvants

La relance prévue par le PLF est donc surtout celle de l'offre, « l'urgence immédiate » étant, pour Bruno Le Maire, de soutenir la compétitivité des entreprises. Comme lors de la première vague épidémique, il met en œuvre des mesures de soutien en leur faveur afin qu'elles soient en état de faire redémarrer l'économie dès la fin de la crise sanitaire… dont nul ne connaît la date.

Aux aides ponctuelles pour les plus précaires initialement prévues au PLFR4 s'ajoutent à présent les « dispositifs d'urgences deuxième vague » – (report et exonérations de cotisations sociales, fonds de solidarité des PME, crédit d'impôt de 30 % pour les bailleurs qui annuleraient une partie des loyers des commerces…) pour un montant de 20 milliards.

Le gouvernement s’attend désormais à une contraction du produit intérieur brut (PIB, la production de richesse) de 12% en 2020 du fait du reconfinement, contre -10% prévus jusqu’ici. Et le risque est grand de voir la récession s'aggraver au gré des pics épidémiques.et des restrictions sanitaires. Stoïque, Bercy, se refuse pour le moment à remanier un PLF construit sur des sables mouvants.

Une composante déterminante pour la reprise va toutefois finir par faire défaut : la confiance. Or, les entreprises en ont besoin pour embaucher et investir ainsi que les français, pour consommer. Et c'est le danger du PLF : il risque d'alimenter la récession, car sans relance de la demande, les carnets de commandes pourraient avoir bien du mal à se remplir.

Urgence économique versus urgence sociale

Si les mesures de soutien aux entreprises ont permis de préserver des savoir-faire et des emplois, elles ont aussi fini par s'apparenter à des chèques en blanc. Depuis juin, ce ne sont plus uniquement les contrats à durée déterminés (CDD) qui ont cessé d'être renouvelés, mais des salariés en contrats à durée indéterminés (CDI) qui ont été brutalement remerciés.

Et s'il s'avérait que l'hémorragie d'emplois n'en est qu'à ses débuts, la politique de l'offre en faveur des entreprises que le gouvernement assume de privilégier deviendrait intenable. D'ailleurs, elle se heurte déjà à une autre « urgence immédiate » qui semble avoir échappé à l'exécutif : l'urgence sociale.

Non seulement, d'ici la fin de l'année, environ 800 000 chômeurs supplémentaires vont venir allonger les files d'attente à Pôle emploi, mais les associations caritatives évaluent à un million le nombre de nos concitoyens qui a basculé dans la pauvreté suite à la crise sanitaire. Ils viennent s'ajouter aux 9,3 millions de personnes vivant déjà en dessous du seuil de pauvreté monétaire, ils sont étudiants, artisans, intérimaires, micro-entrepreneurs… n'ont pas retrouvé de travail entre les deux confinements et l'État n'a pas vraiment prévu de dispositif pour les aider à passer la crise.

Le 2 octobre, Jean Castex a été alerté de leur situation par les associations caritatives venues demander une hausse des principaux minima sociaux ainsi que l'ouverture du revenu social d'activité (RSA) dès 18 ans. Pour le moment, elles ont essuyé un refus. Une récente étude du Conseil d'analyse économique (CAE) – un organisme ­rattaché à Matignon – pourrait toutefois apporter de l'eau à leur moulin.

Elle montre que les 10 % les plus aisés détiennent la moitié des 100 milliards d'euros économisés par les Français au cours du premier confinement et, qu'en revanche, les 20 % des ménages les plus modestes n'ont pas été en mesure d'épargner. Et pour cause : les plus démunis dépensent toujours tout leur argent. Autrement dit : ils le réinjectent dans l'économie, d'où l'intérêt, en pleine récession, d'augmenter les minima sociaux plutôt que de baisser les impôts.

Les données du CAE sont non seulement un indicateur du creusement des inégalités, mais elles mettent aussi en évidence l'inaction de l'État face à un risque important de fracturation de la société. Sourd aux voix qui réclament une taxation des plus riches et indifférent au procès en injustice qui lui est fait, le gouvernement reste cependant droit dans ses bottes. À ses risques et périls.

 

Suivez la NVO sur FacebookTwitterInstagram