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ENTRETIEN

Ragga résistant

21 novembre 2014 | Mise à jour le 7 avril 2017
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Ragga résistant

« Trois décennies, trois millions de litres de pastaga, même Paul Ricard a fini à l'Orangina. » Écouter le dernier CD de Massilia Sound System, c'est repartir au combat contre les « conos » avec bonne humeur et détermination, comme depuis trente ans que le groupe marseillais existe.

Rencontre avec les maîtres de cérémonie (MC), Gari Grèu, Moussu T et Papet J, toujours aussi pêchus.Leur dernier album Oai e libertat est sorti il y a sept ans. Quelques mois plus tard mourait le quatrième MC du groupe, Lux Botté.

Ils ont continué à mener leurs projets solos depuis. Pourquoi sortir un nouveau CD aujourd'hui ? « Parce qu'on avait envie d'être ensemble, ça faisait sept ans qu'on ne s'était pas retrouvé en studio. Et vu la merde ambiante, c'était le moment que Massilia l'ouvre à nouveau et redonne le moral », confie Moussu T. « Et puis, il y avait une demande, ça faisait un moment que les “chourmos” [les fans du groupe, NDLR] nous mettaient la pression pour qu'on sorte de nouvelles chansons. Ils en avaient marre de se passer les mêmes morceaux en boucle », rigole Papet J. En combien de temps ont-ils fabriqué ce nouvel opus ? « En gros, ça nous a demandé un an de boulot. À l'automne dernier, on a commencé à y cogiter dans le jardin de ma mère, et puis, de mars à juillet, on a travaillé en studio, tout en continuant à assurer nos tournées solos », raconte Gari Grèu.

 

La chasse aux « conos »

Voilà trente ans que le groupe mène la chasse aux « conos », entendez les gouvernants, les fachos, les gonflants. En occitan et en français, sur des airs de reggae, de ragga, d'électro ou de rock, ils mènent une franche bataille avec « Aoïli » comme cri de ralliement, Marseille comme capitale mondiale et le pastis, distribué aux convives, comme carburant. Leurs chansons sont à la fois joyeuses, déconnantes et cinglantes telles leur premier grand tube « Qu'elle est bleue », en 1993, qui dénonçait la pollution. Par la suite, ils nous ont fait danser « le parpanhas », en hommage aux paysans, nous ont répété qu'il n'y avait « Pas d'arrangement », nous ont fait passer « Un dimanche aux Goudes ». « De longue », ils ont saisi le micro pour mettre le « oai » – le bordel autant que l'ambiance – pour défendre les mêmes idées. Pour faire vite : promouvoir la fête, le vivre-ensemble, la fraternité contre la peur, le repli sur soi, la course au profit et le saignement des plus faibles.

 

Nourrir la révolte

En 30 ans, les choses ne se sont pas arrangées et leur CD tombe à pic. Ce n'est plus la voix de Raimu comme dans un album précédent qui nous fait rire, mais celle de Duras qui nous émeut quand elle évoque la résistance. « Il faut nourrir la révolte, faire écouter les deux n'est pas contradictoire. On n'est pas juste des clowns… Il fallait qu'on réagisse à de nouvelles situations même si les causes du malaise sont les mêmes », explique Moussu T. « Disons que le casting des méchants a changé », ironise Papet J.

La montée du FN dans le Sud notamment ? « C'est clair que la région est bien irradiée. À Marseille, tu le sens au quotidien, les gens ne se gênent plus pour s'afficher. Même mon pharmacien met des tracts pour Marine Le Pen sur son comptoir ! » « Même s'il faut se mettre de front contre le FN, ce n'est qu'un symptôme, la manifestation d'un désespoir », dixit Moussu T. « Et le désespoir peut pousser à se jeter dans les bras de n'importe qui ; c'est la même chose vis-à-vis des gourous des sectes », renchérit Gari Grèu.

 

Lutter et organiser la convivialité

« Y'a un gars du FN qui a été élu dans l'arrondissement où je suis né [Stéphane Ravier, NDLR]. Il faut savoir que de tels élus siègent dans des commissions qui décident de la gestion de la ville et notamment de la politique du logement qui pousse à la discrimination. Ce n'est pas un hasard si on sépare les Noirs, les Blancs et les Arabes dans des tours distinctes et qu'après, ils ne se parlent plus. Il faut que les gens le sachent, ils s'impliqueraient un peu plus. Ça, c'est de l'instruction civique, plutôt que nous bassiner avec l'autre qu'a pas payé ses PV, raille Papet J. La différence, il faut la vivre, pas se contenter de citer Genet ou Camus. » « On assiste à l'échec de notre prétendue démocratie. Ce ne sont pas les élections qui changent les choses. Seules les luttes payent », affirme Moussu T.

Les luttes de Massilia Sound System passent depuis des lustres par leurs créations, leurs concerts mais aussi via des banquets, des lotos ou des concours de belote contrée, où tout le monde se mélange. « Des moments de plaisir partagés où les vieux parlent avec les jeunes. C'est là que l'on retrouve ce Marseille rêvé, raconte Gari Grèu. Même chose quand on organise la sardinade sur la Canebière, le 1er mai. Les Roms se joignent à nous, pas pour faire la manche mais pour pogoter sur “Bellaciao”. »

EN SAVOIR +

Massilia, l'album des 30 ans, éd.
Le Chant du monde, 15,99 euros.
En tournée jusqu'au mois d'août, dont le 5 décembre au Cabaret sauvage à Paris.

www.massilia-soundsystem.com

 

CD MASSILIA NUMBER ONE

Après sept ans d'absence, Massilia Sound System revient pour fêter ses 30 ans. Le groupe marseillais n'a rien perdu de sa verve, bien au contraire (voir page 47). Si leur dernier album fourmille comme à l'accoutumée de sons bien trempés dans le ragga, ils flirtent savamment avec la techno, le rock et même le swing. Quant aux paroles, elles sont revigorantes dans la morosité ambiante. Drôles dans Massilia n° 1, où nos MC sont les plus robustes de l'univers côté fiesta et toujours directes pour dénoncer le FN qui grimpe, les financiers qui nous saignent et « Tous ces mots » qui font mal aux prolos : « Pôle emploi, fin du mois, chèque en bois »… Dans leur titre « Pourquoi je morfle ? », la réponse est claire : « Parce que tu ouvres ta gueule […] et que tu portes le ballon. » Et de citer le raggamuffin syndicaliste, « repéré, catalogué comme un activiste dangereux pour la société ». À faire tourner sans modération !