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INTERMITTENTS

Réaliser malgré la précarité

20 juin 2017 | Mise à jour le 16 juin 2017
Par | Photo(s) : DR
Réaliser malgré la précarité

Sur le tournage de Tonnerre

Avant d'être « intermittents », ils sont artistes, techniciens, ouvriers du monde de la culture. Ce qui n'est pas une sinécure… Portrait dans les coulisses de la création. Premier rendez-vous avec Guillaume Brac, réalisateur.
1 – Statut d'intermittentCe critère d'un nombre particulier d'heures travaillées (et la cotisation supplémentaire que versent les salariés et les entreprises du spectacle vivant, du cinéma, et de l'audiovisuel) permet, lorsque l'intermittent n'est pas sous contrat, de bénéficier d'allocations chômage, et donc de se consacrer à ses activités artistiques.

Rien ne préparait ce quarantenaire, entré à la Fémis en section production – avant de s'avouer qu'il voulait écrire et réaliser – au fonctionnement complexe du statut d'intermittent du spectacle 1 : « Dans mon souvenir, on nous en a très peu parlé. Peut-être que, dans les départements plus techniques de la Fémis, il en était davantage question, mais j'ai vraiment découvert ce statut sur le tas, quand je suis devenu intermittent. J'étudiais encore à la Fémis lorsque j'ai commencé à travailler. Je faisais des lectures de scénarios, comme font souvent les jeunes aspirants réalisateurs ou scénaristes. Pour France 3-Cinéma, Les films Pelléas, MK2 ou des -Sofica [Sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel – NDLR]. Il s'agissait de les lire et d'établir une fiche de lecture. À cette époque, peut-être est-ce toujours le cas aujourd'hui ?, c'était comptabilisé dans les heures ouvrant les droits au statut d'intermittent. »

Une expérience dont il se souvient avec le sourire : « Parce ce que ça m'a énormément appris. J'ai eu la chance de lire des scénarios de Pascale Ferran, André Téchiné, Claude Chabrol. L'époque était faste ! Et ça m'a permis de réfléchir à la construction d'un scénario. Même si je pense que mon avis, ou celui des autres lecteurs, n'était pas décisionnaire, voire pouvait donner du grain à moudre pour étayer un refus. C'était rémunéré 70 euros la fiche pour une demie à une journée de travail. Ensuite, alors que j'étais en dernière année, j'ai eu la chance qu'une structure de production me demande de réaliser un documentaire. Un bonus de cinquante-deux minutes pour l'édition DVD du film Les Patriotes, d'Éric Rochant. Ce qui a été à la fois des heures comptées et très formateur. D'ailleurs, déclare-t-il avec un brin de fierté amusée, il paraît que ce bonus est devenu un peu culte ! »

L'industrie du cinéma recouvre des réalités très différentes : grosses productions, films « du milieu » et films à microbudget. Ces derniers parviennent à se faire avec beaucoup de cœur à l'ouvrage, mais aussi un côté bricolage et précaire plus ou moins assumé qui n'est pas sans poser problème. « J'ai ainsi travaillé sur un long-métrage assez “à l'arrache” des Films d'ici, puis comme stagiaire assistant-réalisateur. C'était moins d'un an après ma sortie de l'école et j'ai donc pu sauvegarder mon statut. J'ai aussi travaillé un peu dans l'institutionnel et enseigné. Certains de ces contrats donnaient des heures, d'autres pas, selon des critères d'ailleurs assez obscurs et variables. » Toujours soucieux de voir aussi les aspects positifs, Guillaume Brac se souvient pourtant avoir apprécié « d'aller défendre des films, d'essayer de les faire comprendre et de voir comment ils étaient reçus. Cela m'a vraiment permis de mieux connaître le public. »

Un flou peu artistique

Guillaume Brac a beau être sorti diplômé en 2005 de la prestigieuse Fémis (École nationale supérieure de l'image et du son), cela ne l'a pas pour autant mis à l'abri de la précarité qui, dans le monde de la culture, est plus connue sous le nom de son régime spécifique d'assurance chômage dit « intermittent du spectacle ».

Guillaume Brac a beau être sorti diplômé en 2005 de la prestigieuse Fémis (École nationale supérieure de l'image et du son), cela ne l'a pas pour autant mis à l'abri de la précarité qui, dans le monde de la culture, est plus connue sous le nom de son régime spécifique d'assurance chômage dit « intermittent du spectacle ».

Malgré ce côté plutôt optimiste, le réalisateur de Un monde sans femmes ou Tonnerre admet pourtant « qu'il y a dans ce système quelque chose de très opaque » et qu'il n'a « jamais très bien su où trouver les infos », difficulté qui se double toujours, notamment face aux institutions supposées les informer « d'une paranoïa : ont-ils vraiment intérêt à ce qu'on sache ? » Ce qui fait que « je n'ai jamais vraiment osé aller demander. C'est un univers où il y a beaucoup de bricolage… On en discute un peu avec les techniciens, mais pas tant que ça, et j'en ai parlé avec ma compagne qui est en train de préparer son premier film et a donc des interrogations. J'avais aussi recueilli quelques informations lorsqu'on a monté une petite société de production avec un ami réalisateur et un ami monteur. Ce qui nous a permis d'acquérir des heures et de l'expérience. Mais certaines choses restent néanmoins très floues. Je ne sais d'ailleurs toujours pas, par exemple, s'il vaut mieux faire plus d'heures à un taux bas ou moins d'heures à un taux plus élevé. Ce que je sais, c'est que quand j'ai perçu 1 300 euros ou 1 400 euros, ça m'a semblé Byzance ! »

Passer de la Fémis du département production à celui de la réalisation n'est pas la voie la plus évidente, mais « il est clair que, sans ce statut d'intermittent, je n'aurais peut-être jamais réalisé de films. La relative protection qu'il donne permet d'essayer, de rater, de tâtonner. Je pense que j'aurais fait autre chose, et donc le statut est fondamental. Il permet aussi d'avoir du temps pour voir des films ! Et au début, ça m'a permis de déconnecter le côté artistique de l'argent. » En même temps, et malgré son allure décontractée, ce grand jeune homme svelte s'est aussi beaucoup interrogé. « Je voyais les bons côtés et, comme je n'ai pas de famille à charge, je n'ai pas vraiment subi les inconvénients de la précarité. Jusqu'au jour où j'ai eu une déconvenue pénible. En effet, une production avec laquelle j'ai travaillé a fait une erreur et a déclaré trop d'heures. Ce qui m'a fait sortir du système d'indemnisation chômage et il m'a fallu huit mois pour récupérer le statut. »

Il avoue aussi qu'il est difficile « d'être à la merci, par exemple, d'un délai d'examen – qu'on ne connaît pas ! – pour le renouvellement des heures. Je trouve que le plus pénible, c'est la culpabilité qu'on finit par intégrer. Ce sentiment d'une faveur qu'on nous fait. Des privilégiés… On intègre ça, une culpabilité qui est presque de la honte. Par exemple, lorsque je vais au théâtre, à la piscine [le réalisateur est un sportif et un cycliste aguerri – NDLR] et qu'en même temps que moi une mère de famille visiblement peu fortunée se présente avec ses gamins, je vais bénéficier d'une réduction et elle va peut-être payer plein tarif. C'est toujours cette question : est-ce que j'y ai droit ? »

Changer l'image de l'intermittence

Biographie1977 : Naissance à Paris
2005 : Diplômé de la Fémis, département production
2009 : Le Naufragé, court métrage
2012 : Un monde sans femmes, moyen métrage
2014 : Tonnerre, long métrage
2016 : Le Repos des braves, documentaire

Récemment, un projet de long métrage, dont le tournage devait se faire pendant la période estivale, est tombé à l'eau, faute d'avoir pu regrouper le financement nécessaire. Guillaume Brac a situé son intrigue en été, donc, si le projet devait aboutir, cela ne serait que dans un an « mais ma productrice me dit que les choses ont encore changé et que les règles sont encore plus rigides ».
Et ça n'est pas la loi « travail » de Myriam El Khomri qui va améliorer la protection des plus précaires. D'ailleurs, Guillaume Brac a manifesté contre ,même s'il ne partage pas la position de la CGT sur la convention collective [grille de salaires minimum – NDLR]. « Car, je crains que les films à très petits budgets, s'ils doivent l'appliquer, ne puissent plus se faire. » Il déplore également que « les fonds d'aide de certaines régions soient supprimés alors que le système est déjà trop parisien. En dehors de Paris, les réalisateurs sont très isolés. »

Qu'aimerait-il changer par rapport au statut des intermittents ? « D'abord son image, parce que, par exemple lorsqu'il s'agit de chercher un logement, en étant intermittent, les propriétaires ne veulent pas de vous. Ensuite, lutter contre ceux qui abusent du système – comme les sociétés de production qui renouvellent les contrats en permanence et déclarent leur personnel comme intermittents – car ça jette le discrédit sur les autres. Ce sont généralement de grosses structures qui exagèrent. Puis, clarifier ce statut étrange et faire qu'il soit un peu moins monobloc. Par exemple, il n'y a pas de dispositif pour les jeunes qui débutent. Il faudrait un minimum de formation sur ces droits. Enfin, une clarification de la comptabilisation des heures d'enseignement serait souhaitable, car dans certaines écoles elles sont valables pour le calcul global, dans d'autres écoles, non. Et pour les réalisateurs, c'est un des rares moyens d'acquérir ces heures. Mais la formation semble une bonne idée, car les plus riches ont accès à des avocats fiscalistes qui leur permettent d'optimiser leur statut… »

Les Intermittents du spectacle – Enjeux d'un siècle de luttesde Mathieu Grégoire, Éditions La Dispute, 2013, 188 p., 14 €.